Le harcèlement moral, la loi et nous
Le capitalisme, on le savait déjà. tue. Il peut le faire directement ou par procuration, en poussant des exploités au suicide.
La reconnaissance du harcèlement moral par la loi (janvier 2002)
La loi vient toujours sanctionner une pratique. Elle ne la précède jamais. Il a fallu des années et des années pour qu’apparaisse dans le Code du Travail une référence au harcèlement sexuel sur les lieux de travail. L’article L122-46 du code du travail, prévoit qu’aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné. licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers modifié par l’article 179 de la loi). Cette loi précise qu’aucun salarié ne peut être sanctionné. licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de tels agissements ou pour les avoir relatés.
A cet article, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 vient ajouter le délit de harcèlement moral. L’article L122-49 du code du travail prévoit qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi, ou refusé de subir, les agissements de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. Toute rupture du contrat de travail ou toute disposition discriminatoire qui en résulterait, est nulle de plein droit.
La notion de harcèlement moral revêt diverses formes et d’actes visant tous à déstabiliser le salarié. Le harcèlement peut se définir par la méthode utilisée et les effets recherchés qu’ils soient atteints ou non. Les personnes harcelées sont en principe mises à l’écart par leurs collègues et isolées dans leur milieu de travail. Quand cette situation se poursuit dans le temps, et que les agissements sont répétés. on considère qu’il y a harcèlement moral. Les méthodes sont multiples :
- l’isoler (cette méthode est systématiquement utilisée car elle est nécessaire pour le processus de harcèlement) ;
- refuser de communiquer (personne ne lui parle et on ne l’informe de rien) ;
- empêcher la victime de s’exprimer ;
- la déconsidérer auprès de ses collègues et clients. ou la dévaloriser (dénigrement de ses qualités professionnelles devant les tiers) ;
- la discréditer dans son travail (on lui confie des tâches inférieures à ses compétences ou les dépassant) ;
- compromettre la santé de la victime (heures de travail changeant continuellement, persécution psychologique).
Le harcèlement moral au travail
Le harcèlement moral au travail est certainement aussi vieux que le travail lui-même. Mais comme il s’est développé surtout ces dernières années - jusqu’à être utilisé comme technique de management - il a pu être différencié peu à peu de l’abus de pouvoir. Depuis près de dix ans des ouvrages sur le sujet commencent à paraître, en France plus récemment que dans les pays anglo-saxons. Cela va faire deux ans que la médecine du travail a dû organiser un groupe de travail spécifique.
La différence fondamentale entre le harcèlement moral et l’abus de pouvoir c’est la quasi invisibilité du premier par rapport au second. C’est pourquoi. quand il y a abus de pouvoir, il est rare que l’ensemble des salariés ne réagisse pas. Quand il y a harcèlement moral, le salarié harcelé, grâce à une manipulation complexe du harceleur. est isolé. Parfois le harceleur peut même trouver quelques complices actifs parmi les camarades de travail du harcelé, complices qu’il manipule également. Le harcèlement, une fois initié, n’aura de cesse que si le salarié démissionne et/ou se suicide. Le but du harceleur est la destruction de la personne. Il n’existe pas de victime idéale. Cependant quand un salarié refuse de se laisser asservir et résiste à l’autoritarisme d’un chef, il peut être choisi comme victime plus aisément qu’un autre. Des études sur le sujet parlent également de salariés particulièrement travailleurs et compétents dans leur métier ou à leur poste.
Dans la nouvelle organisation du travail la performance de l’entreprise devant devenir la motivation de chaque salarié, il devient de plus en plus fréquent que des salariés s’investissent totalement dans leur travail. La culture d’entreprise, là où elle fonctionne, entretient largement ce rapport au travail. Dans un contexte social où l’on fait croire aux salariés qu’il leur faut accepter n’importe quoi sinon ils seront licenciés, il leur est parfois difficile de prendre le recul nécessaire permettant de reconsidérer le travail pour ce qu’il est, une nécessité économique quotidienne aliénante.
L’intensification du travail, l’annualisation du temps de travail où la pointeuse - honnie il y a encore une décennie - est devenue une garantie pour l’employé, l’usage professionnel du téléphone portable qui rend le salarié disponible en permanence aux besoins de l’entreprise, l’informatisation de nombreux secteurs qui contribue à faire disparaître le savoir-faire et qui asservit l’ouvrier au rythme de la machine, sans possibilité réelle de sabotage, l’hyper hiérarchisation des ateliers masquée par une apparence d’égalité entre « collaborateurs ». etc. engendre un regain de stress et de frustration pour tout salarié. Et c’est sur cette réalité du travail. sur cette organisation de l’exploitation, que vont pouvoir s’épanouir des personnalités perverses.
Parce que nous vivons dans une société capitaliste, au sens où aujourd’hui aucune sphère d’activité humaine n’échappe au capitalisme, il n’y a pratiquement plus de différence entre la vie au travail et la vie dite privée. Même si le capitalisme a toujours besoin de cette fameuse séparation social/privé et qu’il entretient cette illusion qu’il existerait quelque part un domaine qui échapperait au social, il organise le travail de telle façon que ce qui concerne le monde du travail déborde largement sur ce qui n’est pas le temps passé à travailler. Aussi une personne harcelée moralement sur son lieu de travail trouvera rarement de l’aide en dehors de son lieu de travail ; elle n’y sera pas plus crédible. Le capitalisme a fait peau neuve et les solidarités ouvrières sont difficiles à reconstruire. L’individualisation des salariés fait partie de la restructuration économique.
On constate aujourd’hui que les tribunaux traitent de plus en plus d’affaires, que les prud’hommes ne désemplissent plus. Il s’agit-là d’une multiplication de cas individuels. Les salariés, isolés les uns des autres. finissent par remettre leurs problèmes aux mains de la Justice ; et seuls dans l’entreprise ils se retrouvent une fois de plus seuls dans cette machine judiciaire. Démunis de l’exercice de leur propre pouvoir. Et même si pour la victime d’un harcèlement moral le fait de porter son cas en justice est, psychologiquement, un acte positif, il n’en demeure pas moins qu’elle reste seule, et qu’elle n’agit pas directement. Son cas est jugé en dehors du contexte social de l’exploitation.
Il semble donc que la seule façon de ne point réagir au cas par cas, c’est bien en replaçant ces relations de travail dans le contexte du travail et dans le sein même de l’entreprise. Soit en étant solidaires les uns des autres. Alors nous pourrons empêcher toute tentative de harcèlement (sexuel ou moral) ou nous pourrons le faire cesser. Point n’est besoin de s’en remettre aux tribunaux.
Les éléments de la loi sur le harcèlement moral au travail
Certes. déjà une « décision de la Cour d’Appel de Mulhouse du 11 octobre 2000 a reconnu coupable une entreprise alsacienne. filiale d’un groupe américain. d’avoir pratiqué le harcèlement moral à l’encontre d’une ancienne salariée (secrétaire âgée de 40 ans. avec plus de 20 ans d’ancienneté) licenciée après avoir été victime pendant 18 mois de harcèlement moral. La société a été condamnée à verser une indemnité de 60.980 € (actualité du 19/03101) ». Ce un an avant la loi de janvier 2002. Cette nouvelle loi nous dit que : le délit de harcèlement moral est passible d’un an de prison et de 15.000 € d’amende. Les victimes de tels actes peuvent désormais faire appel à un médiateur extérieur à l’entreprise. De plus, les représentants des salariés voient leurs pouvoirs renforcés pour lutter contre le harcèlement moral au travail. Devant le juge civil ou prud’homal, la victime bénéficie d’un renversement de la charge de la preuve mais devra tout de même présenter des éléments de présomption précis et concordants relatifs aux agissements allégués.
Ainsi. à l’aide de quelques éléments la victime peut porter plainte contre son harceleur et que c’est à celui-ci de faire la preuve de non-harcèlement. Or la victime trouve rarement de témoin du fait qu’elle a été harcelée, non seulement parce que chaque collègue aurait peur de perdre sa place, mais également parce que les techniques manipulatoires dont usent les harceleurs sont si insidieuses qu’ils arrivent à faire paraître leur victime comme unique responsable du trouble et du désarroi dans lequel elle se trouve. La décision appartient en dernier lieu à un juge qui statuera si oui ou non il y a eu harcèlement moral. Un juge n’est pas nécessairement plus malin que le moindre harceleur rompu à la manipulation. Et s’il ne reconnaît pas le harcèlement c’est une humiliation de plus que subira la victime.
Ensuite la loi propose un médiateur. Si le salarié harcelé n’a pas fui l’entreprise, c’est qu’il est déjà déprimé et soumis à son harceleur. Le mettre en présence de celui-ci dans le but d’une médiation et d’un arrangement entre les parties c’est l’amener dans une situation où il aurait à partager les « torts », où il devrait assumer une part de responsabilité. Or, il n’en a pas. Il n’y a pas d’aménagement possible.
Le seul aménagement qui soit possible n’est que dans l’intérêt de l’entreprise. Le harcèlement moral est devenu dans certains cas une technique de management dans le but de faire démissionner un salarié, afin de ne pas lui verser d’indemnités de licenciement par exemple. Dans tous les autres cas, beaucoup plus fréquents, le harcèlement moral est nuisible à la bonne marche de l’entreprise : dégradation de l’ambiance de travail, perte de productivité, etc. Il va donc de l’intérêt de l’entreprise d’arranger ce genre de situation. Elle ne le fait pas par souci d’humanité. Elle avait donc besoin d’une loi. Et la voici. Cette loi est comme toutes les lois : si elles peuvent nous servir parfois à nous défendre, elles protègent surtout les intérêts de ceux qui les font.
Loiseau (syndicat interco Marseille)
Sources : divers textes légaux et études sur le sujet émanant d’associations, de syndicats, de psychiatres.