La classe ouvrière va au paradis

Utopia, c'est un réseau de cinémas, spécialisé dans le film intello de contes- tation. C'est une affaire qui marche bien, fort bien même 1. L'essaimage progressif du réseau dans toute la France en est d'ailleurs une preuve qui ne trompe pas. Utopia, c'est aussi une Gazette gratuite mensuelle (50 000 exemplaires sur Tou- louse à ce qu'on dit) qui fait, bien sûr, la promotion des films, mais surtout qui consacre ses pages à l'altermondialisme, aux idées progressistes et autogestion- naires. Utopia, c'est aussi le support de multiples soirées organisées par (presque) tous les mouvements de gauche et d'ex- trême gauche.
Avec une programmation de qualité, des moyens financiers impressionnants, un discours très ouvert, une audience consi- dérable, Utopia est pour le « peuple de gauche », une institution. Et une institution intouchable. Pourtant, Utopia, c'est aussi un patron et des salariés. Et c'est là que ça se gâte. Parce qu'il n'y a pas de commune mesure entre le discours de la boîte et… la réalité. C'est pourquoi, la CNT-AIT a dé- noncé publiquement 2 deux pratiques inad- missibles : l'attribution des primes en fonc- tion du travail bénévole pour l'entreprise, et la nécessité d'une « conscience politique » chez les salariés ! Réponse patronale quelques jours après dans une Gazette consacrant deux pages à critiquer la CNT : rien sur les points soulevés, mais la double accusation de ne pas nous être informés sérieusement et de parler au nom des salariés sans leur accord. Mal en a pris au patron d'Utopia. Ce sont des anciens salariés eux-mêmes qui lui ont clos le bec publiquement en publiant des témoignages accablants sur ce qu'ils avaient vécu dans cette entreprise sans jamais pouvoir l'exprimer jusqu'à présent !

Témoignages (extraits)
« La Gazette est prompte à critiquer les autres entreprises, cela tend à masquer la réalité du travail dans ce cinéma : des idées incongrues sur une nécessaire dévotion à Utopia, des heures non comptabilisées dans le temps de travail, des idées politiques que les salariés doivent pouvoir justifier auprès des spectateurs et surtout aucun droit à l'erreur sous peine de recevoir une lettre recom- mandée. Ma déception dans ce cinéma a été immense, j'ai quitté Utopia à la fin de mon contrat sans vouloir discuter avec mes employeurs d'une éventuelle reconduction, j'ai fui sans me retourner. [...] »

Héloïse

« J'étais une Utopiste convaincue lorsqu'en mai 2004 les directeurs d'Utopia m'ont proposé d'embarquer pour une aventure salariée de six mois. Nous nous connaissions mieux depuis un certain temps puisque nous avions créé l'association des Utopistes Associés ensemble et j'en étais alors la vice-présidente.[...] J'ai trouvé cette opportunité extraordinaire. [...] Malheureusement (et le mot est faible), j'ai vite déchanté. [...] Le fait [...] de ne pas avoir notre salaire complet un mois paraît anecdotique ; mais il est important de souligner que lorsque ça nous est arrivé, nos patrons si engagés dans la cause des salariés nous ont reproché en réunion d'être mesquins, de nous monter la tête pour ce genre de détails. Mesquinerie, que de nous soucier de savoir si nous allions pouvoir payer notre loyer en début de mois ou donner à manger à nos enfants lorsque nous ne gagnons que 1100 euros par mois ? [...] surtout quand le salaire n'est pas versé pour la simple et unique raison qu'en août le comptable est en congé, et qu'ils n'ont pas prévu un évènement qui se répète chaque année à la dite période ? [...] »

Anne

« J'ai dû enchaîner des semaines de travail [...] parfois supérieures à 42 heures sans avoir été rémunérée en heures supplémen- taires. »

Christine

« à cela, vinrent se rajouter, hors du temps de travail, hors rémunération : la relecture des Gazettes (pour les volontaires !), leur distribution auprès des commerçants, le démarchage pour de nouveaux emplacements de relais gratuits à cette même Gazette, la mise en place de publicité dans les rues pour le lancement d'Utopia Tournefeuille, l'orga- nisation de futures rencontres avec des metteurs en scène, ces rencontres elles-mêmes, une réunion par mois de 4 heures minimum. Au total, mon ¼ de temps finissait par devenir un bon mi-temps sans rémuné- ration appropriée. Si l'on comptait frais de déplacement, parking, nourriture... je finissais aussi par perdre de l'argent en travaillant et surtout... beaucoup trop de temps ! [...] »

Christian

« [...] il est arrivé que la durée minimale de repos entre deux jours travaillés ne soit pas respectée. Régulièrement, nous avons évoqué ces problèmes au cours de réunions, ce qui ne manquait pas d'exaspérer nos responsables. Selon eux, cela n'était dû qu'à notre évidente mauvaise volonté (je laisse à d'autres le soin d'évoquer l'épisode de la psychothérapie de groupe). »

Guillaume

« [...] la direction a proposé en réunion une psychothérapie de groupe financée par les primes annuelles des salariés [...]. »

Yane


1 Ainsi, dans le grand Toulouse, les deux Utopia, avec 600 000 entrées payantes battent à plate couture le multiplex UGC centre ville. Chiffre d'affaire cumulé 2003 des Utopia : plus de trois millions d'euros.
2 Voir dans La lettre de CDES n° 90, supplément régional au Combat syndicaliste Midi-Pyrénées, les deux articles sur le sujet.