Quand on parle des mines de manganèse d'Imini, relevant de la Société Chérifienne des études Minières (SACEM), c'est souvent pour dénoncer la précarité, la cadence de travail effrénée, la mauvaise gestion, la pollution et, surtout, le climat anti-syndical qui les caractérise. Le mouvement de contestation des travailleurs au cours des trois dernières années a eu pour conséquence une inflation alarmante des plaintes et des poursuites judiciaires à l'encontre des ouvriers et cadres de la mine et de ceux qui les représentent, sans compter les menaces récurrentes, les harcèlements et les intimidations au quotidien. Cet acharnement a atteint son comble avec l'ouverture de la procédure de redressement de la mine au mois de novembre 2001.
Dans
sa stratégie syndicale, la Direction a toujours préféré les manœuvres
insidieuses et criminelles au dialogue social, bafouant ainsi les conventions
de base de l'OIT et les droits les plus élémentaires consignés dans la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Ainsi, elle a procédé de
nombreuses fois à des coupures électriques au sein du village de Boutazoulte,
elle a fait saboter par une bande de voyous les installations électriques à proximité
du village, elle a poussé les ouvriers résidant à Boutazoulte à déménager à
Timkit sous peine de licenciement. Beaucoup ont été contraints de quitter leur
travail dans l'humiliation, en contrepartie d'une indemnité dérisoire. D'autres ont accepté, de mauvais gré, de
quitter leur logement de Boutazoulte pour s'installer avec leurs familles dans
des baraques vétustes et précaires à Timkit, dans un environnement très pollué.
Le
28 octobre 2002, une note était diffusée instituant le travail à temps partiel
au sein de la mine avec une réduction de 50 % des salaires. Une mesure dite de
redressement, ayant pour but de réduire les charges sociales de la mine, que la
Direction a prise unilatéralement, sans consultation préalable des
représentants du personnel. Cette note constitue une atteinte flagrante aux
dispositions réglementaires et conventionnelles en matière de travail.
Depuis
le 3 décembre 2002, les salariés ont donc mené un sit-in devant le siège local
de la Direction, à Ougoug, pour contester cette décision et revendiquer le
maintien des conditions de travail antérieures et le paiement de leurs salaires
à compter d'octobre 2002. Après plusieurs mois de sit-in, plusieurs séances de
négociation ont eu lieu à Casablanca et Ouarzazate, mais elles se sont toutes
soldées par un échec à cause de l'entêtement de la Direction des mines. De peur
d'un enlisement, les ouvriers et cadres ont décidé alors de recourir au Comité
provincial de règlement de conflits, instance se composant des différents
intervenants dans l'organisation du travail. C'est dans ce cadre que les deux
parties se sont mises d'accord, lors de la réunion du 10 mars 2004, sur la
nécessité de soumettre le litige en cours à l'arbitrage.
La
négociation était enfin sur le point d'aboutir à une résolution du conflit.
C'est alors que la Direction s'est entendue avec le secrétaire général de l'UMT
(Union Marocaine des Travailleurs) régionale, Ahmed Hamden, pour limoger
Mohammed Khouya, le 1er avril 2004, en
tant que membre du bureau régional et coordonnateur chargé de l'action
syndicale dans le secteur minier de la province, mandaté par les ouvriers pour
négocier les mesures d'accompagnement social du plan de continuation de la
mine. à partir de là, les choses se sont gâtées entre les 148 ouvriers UMT et
cadres des mines d'Imini et le secrétaire général de l'UMT Régionale. Les
ouvriers ont alors décidé le 5 avril 2004 de se retirer en bloc de l'UMT pour
adhérer à la CDT (Confédération Démocratique du Travail).
Face
à cet échec cuisant, M. Hamden a constitué un nouveau bureau syndical UMT avec
sept ouvriers déjà de mèche avec la Direction. Il les a ensuite engagés à
signer un protocole d'accord tarabiscoté à la dernière minute, sans commune
mesure avec les aspirations réelles des ouvriers de la mine.
Mais
le paroxysme fut atteint le 15 avril 2004, lorsque le secrétaire général de
l'UMT régionale a organisé avec la Direction locale des mines, et avec
l'assistance et la bénédiction des autorités locales d'Amerzgane, une funèbre
caravane d'assaut des mines d'Imini. Pour cela, il a mobilisé une milice
composée d'environ 120 personnes étrangères à la mine, des chômeurs et des
mineurs en quête de travail, qui ont accepté de monter dans le camion pour
participer au tournage d'un film.
Le
même jour, la Direction avait organisé une coupure d'électricité dans tous les
villages (Boutazoulte, Ougoug et Timkit) pour semer le désarroi au sein de la
population. Les ouvriers et cadres de la mine se sont alors regroupés autour du
transformateur électrique principal et une foule de femmes, d'enfants et
d'adolescents s'est trouvée éparpillée aux abords du rond-point conduisant au
village d'Ougoug.
La
milice de 120 personnes est arrivée à 3 heures de l'après-midi sur les lieux,
accompagnée de 10 ouvriers UMT conduits et encadrés par le Directeur local, le
secrétaire général de l'UMT régionale et quelques fonctionnaires de Ouarzazate
tous membres de l'UMT. Ils descendirent du camion près du rond-point, armés de
bâtons, de barres de fer et de couteaux. Aussitôt, le directeur local des mines
et le secrétaire général de l'UMT régionale leur ont expliqué la véritable
raison de leur venue qui était d'attaquer les ouvriers en sit-in et leur ont
conseillé de commencer par jeter des pierres sur les femmes et les enfants dans
le but d'exciter la colère des ouvriers. Un échange de jets de pierres et des
affrontements ont eu lieu, au cours desquels un ouvrier UMT arrivé avec le
camion, Ahmed Berkoni, est blessé à la main. Transporté le soir même en
ambulance à l'hôpital provincial de Ouarzazate, il y subit une opération
chirurgicale suspecte dont il ne s'est jamais relevé, sa mort ayant été
déclarée le 24 avril 2004.
Le
certificat de décès mentionne qu'A. Berkoni est mort suite à un arrêt cardiaque
sur terrain diabétique. Mais le rapport de l'autopsie réalisée le 2 mai 2004 à
l'Institut Ibn Rochd de Casablanca parle d'infection broncho-pulmonaire abcédée
et d'hémorragie méningée d'origine traumatique avec fracture du sternum,
fissuration d'une côte et ecchymoses au thorax.
On
a appris de source crédible qu'A. Berkoni avait été placé quelques jours avant
en réanimation à l'hôpital provincial à cause d'un diabète chronique et que, le
matin du 14 avril 2004, le directeur local des mines l'a fait sortir de
l'hôpital à l'insu de sa famille et l'a mis discrètement dans un hôtel avant de
le faire transporter aux mines d'Imini. On a aussi appris qu'à cause de ses
comas récurrents, A. Berkoni avait été plusieurs fois placé en réanimation
aussi bien à Ouarzazate qu'à Marrakech et Fès.
Sept
ouvriers UMT à la dévotion de la Direction et comptant parmi les assaillants
ont tout de suite déposé plainte contre 14 ouvriers CDT qui ont été mis en
examen le 22 avril 2004 pour coups et blessures, vol, utilisation d'arme
blanche et entrave à la liberté du travail. Trois de ceux-ci ont été
incarcérés.
Parallèlement,
23 personnes étran-gères à la mine ont aussi déposé plainte pour escroquerie et
abus de confiance contre ceux qui les ont fait venir dont le directeur local,
le caïd d'Amerzgane et le secrétaire général de l'UMT régionale.
Quand
la mort d'A. Berkoni est survenue, le juge a ordonné la détention préventive de
quatre autres ouvriers CDT auxquels il a notifié les mêmes accusations que pour
les trois ouvriers déjà incarcérés.
Parmi
les sept ouvriers mis en détention figure Mohammed Khouya, militant
syndicaliste, membre de l'Association Marocaine des Droits de l'Homme et
conseiller communal. Son arrestation sanctionne en fait ses activités
syndicales et en faveur des droits de l'homme, étant donné qu'il n'était pas présent
sur les lieux lors des événements du 15 avril 2004, selon le témoignage de 140
ouvriers et personnes étrangères à la mine.
L'instruction
est bâclée, les méthodes d'investigation restent primitives. Pourquoi le juge d'instruction
n'a-t-il pas encore fait comparaître, malgré la demande réitérée des avocats,
les ouvriers qui étaient sur place au moment des événements, ainsi que les
personnes étrangères que l'on a fait venir de Ouarzazate le 15 avril 2004 ?
La
Direction des mines d'Imini et les représentants de l'UMT semblent conscients
de la gravité de la situation où les a menés leur aveuglement, puisqu'ils
tentent dores et déjà de l'atténuer par des cadeaux et des primes
alléchantes. Mais ils ne mesurent pas à
quel point ces offrandes ne font qu'exacerber l'indignation et l'amertume de la
famille du défunt comme de celles des ouvriers emprisonnés.
L'activité
des mines a redémarré, mais les ouvriers peuvent dire adieu à la protection
sociale, la couverture médicale, les congés payés et les bottes de sécurité !
Bonjour la misère, l'asservissement et les licenciements à tour de bras !
Solidarité
avec les sept ouvriers de la mine d'Imini en détention !
D'après un texte reçu le 24 octobre 2004 par le secrétariat de l'AIT
et provenant de khouya_mhamed@yahoo.fr.
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – novembre/décembre 2004 n° 196)