Brisons le silence nucléaire

 

La mort de Sébastien Briard lors d'une action de stoppage d'un convoi de déchets nucléaires, la construction de nouvelles centrales, les contaminations diverses, etc. sont autant d'informations qui, relayées par les médias, se retrouvent finalement et logiquement complètement vidées de sens. La manière avec laquelle elles sont présentées et manipulées font que la population en arrive plutôt à être indifférente, ignorante et soumise. Elle ne voit pas (ou ne veut pas voir) concrètement à quel danger ce genre d'information correspond réellement, à quel monde, à quelle logique elles participent ou dans le cas de l'action antinucléaire, à quoi elle s'oppose. Voici un texte qui veut essayer de clarifier les choses et redonner un peu de légitimité à un refus catégorique du nucléaire pour lequel il faut exiger un arrêt immédiat. Notre argumentaire se divise en trois parties.

 

Un déni d'empoisonnement qui se perpétue

Aujourd'hui encore des nucléaristes prétendent ou prennent des décisions qui laissent supposer qu'il existe un seuil de radioactivité en dessous duquel il n'y aurait pas de danger. Ce seuil se définit par des normes communément appelées, par les autorités de sûreté, « admissibles ». Pourtant, et ce depuis le début de l'utilisation de cette énergie, la démonstration la plus éloquente de cette tromperie réside déjà dans la baisse continuelle de ces normes décrétées admissibles et du seuil lui-même.

Ces normes supposées inoffensives sont en réalité jugées acceptables par les technocrates. C'est ce qui explique l'emploi du terme admissibles pour les définir. Ce terme sous- entend le fait qu'il est supportable, non par l'individu qui est touché, mais par la société dans son ensemble. En effet, ces prétendus responsables ne peuvent rien ignorer des rapports de la Commission internationale de protection radiologique qui fait référence internationale en matière de radio-protection, à laquelle  certains spécialistes français participent. Les recommandations du rapport de cette commission en 1990 affirment  que toute dose de radioactivité, même minime ou naturelle, comporte un risque de cancer, de morbidité, de malformations génétiques, etc. Aucun spécialiste sérieux ne peut défendre cette notion de seuil ou nier l'effet de faibles doses, même infimes, voire naturelles ou cumulables. Nul ne peut soutenir que l'impact sanitaire des centrales en fonctionnement normal est inexistant. Ce risque même faible existe, il est calculable et proportionnel à la dose reçue dans une population donnée. L'impact de cette pollution sera plus ou moins important, voire peut-être minime par le nombre que cela représente, mais pas moins grave pour la ou les personnes touchées par cette loterie nucléaire. Malgré les idées propagées par le lobby nucléaire, une centrale en fonctionnement normal pollue. Elle rejette des radionucléides dans ses effluents liquides et gazeux dans des quantités considérées comme faibles et en dessous des normes admissibles. Il n'en reste pas moins que les doses de contaminations qui sont ainsi relâchées ou dispersées, qui sont jugées acceptables par nos gestionnaires, conduiront au sacrifice d'un certain nombre de personnes sur l'autel du progrès. Mais pour ces technocrates la balance avantages/inconvénients reste favorable ! Combien de morts sommes-nous prêts à accepter en sacrifice pour satisfaire notre « bien-être » ? Pour nous cette logique n'est pas acceptable.

La perversité de tout cela pour les individus, c'est que les effets de cette radioactivité sont invisibles, dilués et différés dans le temps. On ne peut dire qui précisément développera un cancer  et pourquoi, et si ce cancer est d'origine radiologique. Quand le préjudice apparaît, on n’a aucun moyen d'en prouver l'origine. Néanmoins l'effet n'est pas le résultat du hasard. Les personnes aux conditions de vie, d'alimentation ou sanitaires les plus précaires seront susceptibles d'être proportionnellement les plus touchées (mineurs, intérimaires du nucléaire ou autre, personnes aux revenus modestes, etc.). D'autres catégories de la population sont également plus exposées, comme les femmes enceintes, les vieillards, les enfants en bas âge. Certains ne sont pas encore nés ou conçus qu'ils en traînent déjà le fardeau héréditaire.

Comme le problème des cancers et autre morbidité ne peut plus être occulté, on prétend ici et là dans divers médias que l'origine de certains cancers serait la cigarette, le patrimoine génétique des individus, l'environnement, etc. sans même que la responsabilité nucléaire soit bien souvent citée. La pollution nucléaire est à notre connaissance la seule à avoir un facteur de risque élaboré qui peut permettre d'évaluer numériquement ses conséquences sanitaires. Pourtant elle n'est jamais incriminée. Même s'il ne faut pas attribuer au nucléaire la responsabilité de tous les cancers et autres maladies et malformations, il est certainement avec la chimie un des facteurs les plus déterminants.

En réalité, seuls l'état et ses experts peuvent avoir les moyens techniques et statistiques pour estimer le coût sanitaire que la population aura à payer. Exiger que l'état produise ce genre de travail reviendrait à lui demander en réalité qu'il prouve sa culpabilité. On peut légitimement douter de la bonne réalisation, de la bonne interprétation des études qui seraient réalisées à cet effet. En définitive, la population se retrouve ainsi à n'avoir aucun moyen de prouver le détriment qu'elle est obligée de payer pour l'emploi de cette énergie mortifère.

 

Une gestion catastrophique

Pour ceux qui sont amenés à gouverner, à gérer cette aberration et dissimuler cette tromperie étatique manifeste, il  faut anticiper les problèmes afin de ne pas être dépassés. Il leur faut nous culpabiliser ou nous persuader que tout cela est naturel afin de désamorcer au maximum des révoltes toujours possibles. Pour enrayer au maximum ces désordres sociaux et peut-être se persuader eux-mêmes de leur bonne conscience, il leur faut nous convaincre du bien-fondé de ce choix énergétique. Pour cela les entreprises de publicité orchestrées par Aréva ou EDF (véritables entreprises de propagande idéologique) sont en train de nous préparer, de nous conditionner comme co-responsables de la future catastrophe, voire à une certaine collaboration ou prise en charge du désastre. Cette propagande sent comme une vague odeur de chantage, de corruption, du genre :  « c'est parce que tu profites d'une vie confortable et du progrès technique, qu'existe le nucléaire et tu n'as qu'à te taire ». Cet endoctrinement donne une importance illusoire au choix du consommateur et du citoyen, pour mieux engager sa responsabilité dans la poursuite de ce programme énergétique et la marche de la société en général.

 L'état, EDF, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui sont conscients que l'accident majeur est possible en France, prennent déjà les mesures qui s'imposent afin de pouvoir garder le contrôle de la situation. Les autorités préparent la gestion militaire d'un tel accident. Elles s'entraînent à l'évacuation, au confinement, à la maîtrise de la population, etc. Pour confirmer ces affirmations, la gestion par exemple des déchets est l'illustration parfaite d'une population tout à fait accessoire et d'une démocratie de fait illusoire. En effet deux décisions qui avaient été reportées au niveau national semblent maintenant revenir pour s'imposer en force au niveau européen 1. Celle de vouloir introduire dans la production industrielle des matériaux faiblement contaminés, des déchets dits de faibles activités, en les incorporant dans les objets usuels (voitures, casseroles, etc.). Il est question également d'autoriser à la vente les produits alimentaires faiblement contaminés. Cette contamination, en dessous de la norme admissible décrétée sans danger par les experts, ne sera mentionnée sur aucun produit. Ces normes ont été bien évidemment fixées assez élevées pour diminuer au maximum ce problème embarrassant de stockage des déchets, mais également pour faire face en plus, en cas d'accident majeur, à des problèmes par exemple d'approvisionnement de nourriture dite saine. Gestion oblige !

La prévision de l'accident grave peut expliquer aussi que l'état veuille décharger sa responsabilité sur le secteur privé et sur une population complice et volontaire. Pour les uns le capitalisme, pour les autres l'homme en général seront des coupables tout désignés  pour innocenter les plus fervents partisans du lobby nucléaire mi-litaro-industriel et scientifique. Si l'on ne peut évacuer complètement la responsabilité de l'individu face à ce qu'on lui impose, il ne faut tout de même pas oublier cette logique de production et de consommation à laquelle sont formatés et désormais dépendants  les individus pour leur survie. Pour y échapper, individuellement, cela représente une marginalisation de plus en plus difficile à assumer. Cette logique de production est de-venue de fait les grilles idéologiques de l'esclavage moderne, de notre dépossession généralisée, le faire-valoir de leur propagande et la justification de leur engrenage mortifère.

 

Une technologie qui ne peut  pas être neutre

Le choix ou la gestion même du nucléaire ne peut pas être vu comme neutre ou innocent d'autant plus quand l'on sait que l'état peut fort bien se passer de nucléaire pour la production d'électricité. Les solutions existent dans ce système avec les centrales au fioul, au gaz, au charbon, dont EDF exporte la technologie. Les conséquences sur la santé, sur la société humaine sont tout de même incomparables avec celles du nucléaire même si elles servent, elles aussi, cette société productiviste et centraliste.

Le nucléaire a été imposé à la population et il est évident que ce choix du nucléaire n'est pas anodin, son effet sur la société n'est pas neutre, bien au contraire. Les conséquences de l'utilisation de cette énergie nucléaire ne sont pas seulement sanitaires, elles ont également des répercussions sur la psychologie de l'individu et la société dans son ensemble. La peur, la soumission qu'elle génère inévitablement, et cela depuis les premiers essais de la bombe, sont certainement les principales raisons de son utilisation et de la capitulation, de l'adhésion apparente de la population au monde moderne. Avec le nucléaire on ne fait pas n'importe quoi pour sa gestion comme pour s'y opposer. L'utilisation de cette énergie nucléaire à des buts prétendument pacifiques, induit dans ce monde des exigences de spécialisation,  de sécurité, de contrôle, de militarisation avec un état incontournable. Elle induit aussi des comportements logiques que sont l'aveuglement, le nihilisme et le réformisme. C'est pourquoi avec le nucléaire s'impose insidieusement aussi la cogestion qui pense sincèrement limiter ou empêcher le désastre. La cogestion c'est une relative stabilité sociale par la soumission et l'adhésion assurée au monde industriel. Ce que chacun peut constater aisément aujourd'hui.

Tous ces gestionnaires ou aspirants gestionnaires de l'état sont pronucléaires ou seront amenés à le devenir. Ils aident ainsi à prolonger le nucléaire en maintenant la population le plus possible dans l'ignorance ou dans des mensonges crédibles, pour assurer au mieux le maintien de cette société technocratique et industrielle. Les experts y font foi et loi. Peu importe quel parti a en charge la gestion de cette aberration et les solutions électorales pour s'en débarrasser  sont illusoires. Les Verts ne sont guère différents des autres gestionnaires en abondant dans le sens d'une hyper-sécurisation que seul l'état, dont ils sont les garants, est susceptible d'assurer. En réalité, il n'y a pas de bonnes gestions du nucléaire ni de résistance miracle ou de victoire prête à consommer.

Cet état, sous des airs démocratiques, assimile, dans sa nouvelle loi de sécurité intérieure 2, tout opposant à un terroriste. La gestion du nucléaire civil relève dorénavant du ministère de la Défense. Alors quelle légitimité peut-on accorder au vote pour organiser notre gestion, nos obsèques, notre « sécurité sociale », après nous avoir pris pour des sujets cobayes ? Là comme dans d'autres domaines, la population consciente des risques sanitaires et totalitaires ne peut compter que sur elle-même pour s'opposer efficacement à ce terrorisme d'état.

Pour un antinucléaire, ce serait une erreur que d'attendre un accident majeur et la réaction de la population pour manifester son refus de cette technologie. Les difficultés économiques, sanitaires et autres que cela occasionnerait, la gestion militaire qui sera mis en place, nous empêcheront d'autant plus d'agir et de nous opposer à cette logique technocratique délirante. N'attendons pas la catastrophe ici pour être antinucléaire. Car, de l'avis même des experts, nous sommes loin d'être à l'abri de ce type d'accident aux conséquences incalculables en France. Si, et ce n'est pas certain, une partie de la population était évacuée, elle se retrouverait transformée en émigrés et ainsi condamnée à subir ce qu'elle reproche aujourd'hui à d'autres ! Quant aux RMAstes, entre autres, ils se trouveront désignés comme liquidateurs.

C'est pour toutes les raisons qui ont été invoquées ici, qu'il est complètement aberrant de demander un arrêt différé en 20 ans. Le danger ne doit pas être minimisé, il faut donc exiger un arrêt immédiat du nucléaire.

Ce constat est alarmant mais nécessaire. Nous devons manifester partout où cela nous est possible notre refus de cette technologie, que ce soit dans des discussions-débats sur la question, ou bien en empêchant par exemple la circulation des convois de déchets comme ont essayé de le faire Sébastien Briard et ses camarades. Cette action représente un bon axe de lutte pour s'opposer à l'ensemble de la filière et à la continuité du nucléaire.

Si un mouvement d'opposition radical arrivait à imposer au pouvoir d'abandonner le nucléaire, cela ne voudrait pas signifier pour autant que le système serait perdu. Ce serait bien évidemment une victoire bien réformiste et limitée. Par contre cette victoire pourrait certainement nous en faire espérer d'autres et laisserait un espoir à la lutte et à la vie.

 

                                                                             J&J, syndicat intercorporatif de l’Essonne

(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – janvier/février/mars 2005 n° 197) Imprimer

 

1 - Source : CRIIRAD - Trait d'union n°29/30. Le Cime, 471 avenue Victor Hugo 26000 Valence. Email : contact@criirad.org Web : htpp://www.criirad.org

2 - Arrêté du 24/07/2003, publié au JO le 9/08 relatif à « la protection du secret de la défense nationale » et décret du 8/09/2003 « portant création du comité inter-ministériel aux crises nucléaires ou radiologiques » (CICNR).