Le mardi 23 novembre 2004 s’est déroulée à la fac de Caen une réunion publique orchestrée par la gauche proclamée alter-mondialiste, dont l’invité de prestige était l’ineffable José Bové ! L’éminente star de l’alter-mondialisme a jugé utile de participer à cet énième show.
À mon avis, son déplacement a pour but inavoué de tester le degré d’exaltation de ses nombreux et éclectiques admirateurs venus en troupes bêler de concert dans l’amphithéâtre Pierre Daure, car Bové risque encore de retourner dans les geôles de la république suite au dernier fauchage effectif d’un champ d’OGM le 25 juillet 2004 dans la Haute-Garonne en compagnie de deux figures versatiles de la scène politique, membres actifs des Verts, Gérard Onesta et Noël Mamère.
Leur procès est fixé au 25 janvier 2005. Ils encourent jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende,
mais l’ex-leader de la confédération paysanne s’expose au double, car il y a récidive. Toutefois, il y a fort à parier que les condamnations ne tomberont qu’après le référendum sur la constitution européenne. Quelle est donc la marge de manœuvre du « clan des faucheurs d’OGM » durant ce répit ? Bové et ses complices se targuent du concept de « désobéissance civique » et l’enrobent d’un discours soporifique largement vulgarisé par le biais des mass médias perpétuant la réduction des êtres humains à de vulgaires consommateurs.
Suffit la piètre tartuferie de ces orateurs et levons le principal tabou de leurs discours. Penchons-nous pour cela sur l’un des postulats de la doctrine bourgeoise amèrement valorisé depuis la fin du XVIIIe siècle via l’accaparement des pouvoirs et la liquidation systématique des différentes tendances révolutionnaires (les bonnets rouges, les sans-culottes, les hébertistes.), par la classe devenue dominante des possédants. Avez-vous deviné ? Il s’agit de « la propriété privée ». Elle se légitime par la conception du « droit positif » défini par exemple dans l’ouvrage le plus célèbre de Jean-Jacques Rousseau : Le contrat social. Pour ce philosophe des « Lumières », « le droit positif » s’axe sur le constat que la « propriété privée » garantit pleinement la liberté individuelle dans une société qui se régit aussi par l’approbation d’une constitution dans laquelle la souveraineté ne se concentre plus entre les mains d’un monarque imposé par la volonté transcendante du « démiurge » (dieu). Ainsi, elle est léguée au « peuple ». Bové et les siens, adeptes de cette philosophie, ne remettent donc pas foncièrement en cause la doctrine bourgeoise. La désobéissance civique dont ils se targuent n’admettant pas même l’utilisation de la grève, ces rhéteurs pathétiques en deviennent contre-révolutionnaires.
Qu’en est-il maintenant de la « désobéissance civile », dont le discours de Bové dénature l’essence avec la connivence des médias ? Théorisée et appliquée par Thoreau (1817- 1862), ce personnage controversé refusa de s’acquitter de ses impôts pour protester contre le conflit que menait son gouvernement (les États-Unis) contre son voisin du Mexique en 1846 ; une action que ne renieraient pas les alter-mondialistes. Il faut attendre Léon Tolstoï (1828- 1910) et Benjamin Tucker (1854-1939), deux personnalités exceptionnelles du courant anarchiste rénitent, pour qu’à la désobéissance civile soit adjoint le projet formel de renverser l’ordre en place afin d’instaurer une société nouvelle sans État. La désobéissance civique de Bové parait alors dépouillée de véritable contestation et la pensée de Foucault conserve ainsi toute sa pertinence.
Aussi, je crois que la gauche « alter-mondialiste » (la gauche baba-cool) amalgame délibérément la désobéissance civile et civique en fascinant les consciences pour dissimuler l’absence d’un projet formel face au capitalisme triomphant.