Les ETT (entreprises de travail temporaire,
ou agences de travail intérimaire),
ou comment « tuer des tigres * » dans la jungle néolibérale
Depuis peu, la présence des
entreprises de travail temporaire nous est devenue familière, ces firmes
apparues dans les années 80 pour orchestrer l'une des modalités les plus
scélérates de la fameuse flexibilisation du travail. À la fin du XXe
siècle, elles représentent une part importante de l'offensive patronale pour
remettre en cause les conquêtes obtenues par les travailleurs dans leurs luttes
historiques contre le Capital.
Au Vénézuéla, la reconnaissance formelle des ETT apparaît avec la promulgation du Règlement de la Loi organique du Travail, sanctionné dans les derniers jours du 2e gouvernement de Caldera (25/01/1999). C'est là que l'on considère son existence et que l'on établit les normes de son fonctionnement (chapitre II, articles 23 à 28). Depuis, la branche s'est développée et il est possible aujourd'hui de localiser par internet plusieurs douzaines d'ETT actives, parmi lesquelles évidemment les filiales locales des firmes multinationales dominantes dans le secteur (Manpower, Adecco, Humanet, SGF Global, ProfessionalRecruiting Services) se taillent la part du lion. Il faut souligner que le florissant négoce des ETT dans notre pays a bénéficié de l'attitude bienveillante et laxiste du gouvernement chaviste : en effet, dans les organismes officiels avec lesquels les ETT seraient en concurrence (l'Institut national des statistiques ou le Ministère du travail), les statistiques, enquêtes ou recherches indiquant au moins l'évolution de ce secteur, sont inexistantes. Les opaques « caudillos » syndicaux de la CTV dans l'opposition, ou de l'UNETE légaliste n'ont rien trouvé à dire non plus à ce sujet, tout occupés à leurs magouilles politiciennes et de corruption.
D'après
la définition du spécialiste espagnol M. Rodríguez Piñero, les ETT sont « des
entreprises de services dont l'activité consiste à fournir temporairement des
travailleurs à d'autres entreprises, clientes ou usagères, afin de satisfaire
leurs besoins temporaires de main-d'œuvre, tant en quantité qu'en
qualité ; à cet effet, elles sélectionneront, recruteront et formeront un
groupe de travailleurs qu'elles mettront à disposition des entreprises, et
elles proposent leurs services par contrat, en garantissant que les
travailleurs mis à disposition se conforment aux accords entre les 2
entreprises ». Dans cette relation triangulaire, l'ETT apparaîtra
comme employeur des travailleurs et prendra en charge toutes les obligations et
responsabilités établies par la réglementation légale pour cette fonction. Les
travailleurs recrutés sont envoyés pour offrir leurs services dans les
organisations productives d'autres entreprises, lesquelles pourront disposer de
ces travailleurs et utiliser leurs services de la manière qui leur convient, en
gérant leur activité qu'elles intègrent à celle de leurs propres employés dans
leur organisation de production ; mais, au moins formellement, le statut
d'employeur revient toujours à l'ETT et l'existence d'une relation de travail
entre l'ETT et les travailleurs envoyés est essentielle, car c'est l'élément
central dans la délimitation de sa compétence dans le cadre de l'entreprise.
La
possibilité de sous-traiter ou de servir d'intermédiaire dans les rapports de
travail est aussi vieille que le capitalisme, mais les circonstances par
lesquelles transite ce système économico-social dans les 25 dernières années
(révolution technologique, expansion du secteur des services, essor de la
spéculation financière, apparition de la Chine et des pays d'Asie du Sud-Est en
tant que nouveaux concurrents, effondrement de l'empire soviétique, etc.) ont
provoqué des conditions d'exploitation de main-d'œuvre telles que les ETT,
appelées à remplir un rôle significatif pour atteindre ces buts de
« compétitivité » et de « rationalisation », masque du
sempiternel désir patronal de profits démesurés. Ces circonstances ont influé
aussi sur l'affaiblissement de la capacité des travailleurs à affronter les
menaces, en plus du rôle de la bureaucratisation des syndicats, de la confiance
soporifique dans le caractère inamovible des acquis, et des changements subis
par la classe ouvrière elle-même, très différente de celle du XIXe siècle.
Ce
qui est sûr, c'est que les ETT servent à merveille les patrons pour satisfaire
aux comptes rationalisateurs de leurs gourous du management. D'après ces
lumières, la formule magique pour être compétitif comprend 2 ingrédients
clés : « fragmenter » – c'est-à-dire rompre avec
l'image traditionnelle de l'entreprise comme un ensemble situé dans un espace
précis et ne pouvant croître qu'en augmentant ses dimensions – et « externaliser ».
Dans ce 2e composant, on impose à l'entreprise et à son personnel de
ne s'occuper que de ce qui est essentiel et basique pour sa rentabilité, en
établissant des « synergies » avec d'autres entreprises qui
s'occupent du complément.
Les
ETT (comme le « outsourcing ») permettent ce que dans le
jargon cacophonique des experts, on nomme l'« externalisation par
réduction de la durée de l'emploi », c'est-à-dire d'établir avec la
main-d'œuvre une relation limitant au maximum les responsabilités de
l'entreprise bénéficiaire. Cela signifie, par exemple, que les industries
soumises à des variations périodiques de demande de production peuvent, grâce
aux ETT, adapter les contrats d'embauche de travail qualifié dont elles ont
besoin, en éludant les contre-prestations dues dans un rapport contractuel
durable, en plus d'éliminer la « perte » que représente une moindre
production et/ou productivité de ces travailleurs à des périodes moins actives
du cycle du marché.
Bien sûr, avec le personnel des ETT « tuant des tigres » selon les besoins conjoncturels, les entreprises capitalistes peuvent restreindre autant leur offre de nouveaux emplois que la possibilité d'améliorer les conditions de travail de leurs propres travailleurs. Ajoutées au reste de l'arsenal s'appliquant au nom de la flexibilisation du travail, les ETT sont une arme stratégique pour affaiblir davantage le Travail dans son affrontement contre le Capital. D'où l'urgence de prendre des initiatives de poids pour lutter contre ces expressions de l'oppression néolibérale, comme le propose actuellement l'Association Internationale des Travailleurs, l'organisation mondiale des travailleurs anarchosyndicalistes.
Armando Vergueiro, Comision de Relaciones Anarquistas,
(CRA-AIT, section vénézuelienne de l’AIT),
article paru dans El libertario no 42 (avril-mai 2005)
traduction Jacquie, Syndicat intercorporatif de l’Hérault
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – août / septembre 2005 no 200)
* Dans le langage populaire
vénézuélien, « tuer un tigre » signifie
effectuer un travail temporaire.