Yannick qui en avril dernier est venu à Marseille pour
raconter ses rencontres avec Mumia Abu-Jamal a fait paraître une partie de
l'article qui suit dans CQFD, journal qui ne lui avait accordé qu'un certain
nombre de caractères.
Cette écriture est celle
d'une personne qui n'a pu prendre aucune note, de quelque façon que ce soit,
lors de ses entrevues avec Mumia Abu-Jamal. Règlement pénitentiaire oblige.
Visite au
prisonnier de Waynesburg
Comment
décrire l'expérience de ma visite,
l'été dernier, à Mumia Abu-Jamal dans
le couloir de la mort de Waynes-burg, isolé à 800 km de Philadelphie ?
Comment restituer ainsi le choc émotionnel que fut l'extraordinaire rencontre
de deux générations (Mumia 50 ans, moi 18 ans) dans un lieu high tech
totalement déshumanisé ? Comment rapporter ce qu'ont été ces 7 h 30 de
discussions passionnées, tout en résumant les 23 ans d'incarcération, de combat
juridique et militant de ce journaliste exceptionnellement intègre qui a su, de
par son caractère emblématique, faire gronder le pavé des rues du monde entier,
combler les salles de débat, animer les discussions militantes et chacun des
numéros du Rire 1 ?
L'opportunité
de parler de Mumia est d'or, à l'heure où ce dernier, en plus de voir ses
ultimes appels rejetés les uns après les autres par la justice (alors qu'il n'y
a jamais eu autant de preuves de son innocence), voit son cas doublement passé
à la trappe par les mass media qui espèrent l'enfouir dans la poubelle
capitaliste de la désinformation et de l'oubli, et se voit triplement enterré
vivant par le zapping des militants (y compris de ceux prétendant vouloir
libérer la « Sardonie » 2, qui osent prendre
pour prétexte à leur désengagement le fait qu'il ne se passerait « rien de
nouveau »).
Énumérer
ce dont j'ai pu parler avec un prisonnier politique qui refuse de renoncer
jusque devant l'échafaud : du pouvoir de récupération du capitalisme, de
ceux qui renient leurs convictions et leurs origines pour accéder à des
positions de pouvoir, de « l'impérialisme de gauche » 3
qui n'arrête pas d'essayer de faire siennes l'énergie et les actions (après
coup !) des jeunes indépendants que nous sommes ; de la montée en
Europe de l'appareil pénal made in USA, de la mise à mort de l'état providence
français, des nécessaires systèmes alternatifs à l'économie de marché,
d'Histoire (Mumia m'a rappelé qu'aucun empire n'a jamais duré ; que la
société US présente les symptômes historiques du déclin de l'Empire romain).
Mais ce dont Mumia m'a le plus longuement parlé, élevant la discussion vers des
lieux surprenants, c'est d'amour, avec ses tenants affectifs (« l'amour
comme énergie la plus puissante ») et ses aboutissants politiques
(« aucun mouvement ne dure sans amour » ; « on ne peut pas
emprisonner l'amour »).
Décrire
l'image bluffante de cet homme libre menotté, intelligent, drôle mais très
sensible, avec qui on s'est marrés comme des bossus ; dire combien ses
grands éclats de rire, derrière la paroi de plexiglas étaient magnifiques,
tonifiants et révolutionnaires, résonnant dans le parloir comme une véritable
nargue envers cette froide institution qui essaie de « tuer l'esprit avant
le corps ».
Yannick Sanchez,
transmis par le Syndicat intercorporatif de Marseille
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – août / septembre 2005 no 200)
1 - [du Combat
Syndicaliste] : Rire est l'ancien titre de CQFD.
2 - [de Yannick] :
est un petit clin d'œil au journal critique des médias, le PLPL,qui
prétend vouloir libérer ce territoire
imaginaire, la « Sardonie »,
libre de toute influence des mass media ou autres grands groupes de
presse. Même si, à mon goût, le PLPL est d'une très grande qualité
intellectuelle et journalistique, regorgeant d'informations précieuses, j'ai
tout de même toujours été déçu par leur
refus systématique de vouloir publier quoi que ce soit à propos de Mumia Abu-Jamal,
qui incarne tout ce qu'un journaliste peut avoir de « sardon »
(intègre, défiant la censure jusque devant la mort).
3 - [du Combat Syndicaliste] :
cette citation (et celles qui suivent) est de Mumia Abu-Jamal.