ATTAC 45
et les Amis du Monde Diplo :
Pour
soutenir une SARL, c'est la lutte des places !
Derrière les discours
radicaux altermondialistes citoyennistes, il y a des pratiques plus
conciliantes. La lutte déclarée au libéralisme économique et à l'uniformisation
culturelle prend alors une tournure anti-lutte de classes ; et devant
l'objectif ultime de la Culture et de sa promotion militante, certains
supportent finalement l'exploitation salariale et ses extravagances.
Pour
illustrer cette posture, nous allons revenir sur ce qui s'est passé à Orléans
autour d'un cinéma, où une partie du mouvement social, culturel et associatif
orléanais, notamment ATTAC 45 et le groupe local des Amis du Monde
Diplomatique (AMD), s'est arrangé de pratiques patronales bien concrètes.
Quand
l'ancienne SARL gérante du cinéma Les Carmes d'Orléans a eu des difficultés
financières, les seules réponses d'ATTAC 45 puis des AMD furent de demander des
subventions publiques pour renflouer cette entreprise ; à aucun moment ces
associations dites militantes n'ont pris la peine de rencontrer les salariés
pour avoir leur point de vue. Et en août 2004, quand cette même entreprise
privée dite culturelle a licencié un de ces salariés pour faute grave, à la
suite d'une grève (engagée les 28-29 juillet 2004) considérée par l'ancien
patron du cinéma comme « injustifiée »... puis « illicite
et abusive », il n'y a eu aucune réaction de ces associations
alter-mondaines. Celles-ci, ne souhaitant certainement pas revenir sur leur
soutien public à l'ancien exploitant des lieux, poursuivirent leur partenariat
avec ce cinéma et avec la nouvelle direction.
Ouvert
depuis novembre 1999, le cinéma Les Carmes revendiquait légitimement sa
spécificité cinématographique et d'offres culturelles, et est devenu un lieu
important de l'activité socioculturelle orléanaise. Beaucoup d'associations y
ont recours pour des soirées-débats. Quand il s'est agi dès 2001 de demander
des subventions publiques pour la société Eden Carmes, alors en difficultés
économiques (difficultés qui n'ont jamais vraiment cessé durant toute la
période d'activité de cette PME de 10 salariés), les raisons invoquées pour ce soutien par les associatifs de
gauche ou altermondialistes se paraient des attributs typiques du clinquant
combat anti-libéral défendant la diversité culturelle et son accessibilité à
tous. Cette entreprise cinématographique était explicitement considérée par eux
comme un bastion de l'anti-néolibéralisme, un symbole de résistance culturelle.
Bref, le cinéma des Carmes, avant d'être une entreprise privée, était surtout
pour le milieu militant local un lieu de résistance culturelle et à ce titre
méritait bien d'être renfloué par de l'argent public.
On
aurait pu penser que les associations militantes apportant leur soutien
(notamment Attac 45 lors de la campagne de 2001, et en novembre 2003 le nouveau
groupe local des AMD) auraient au moins exigé un suivi de la gestion de
l'entreprise subventionnée. Mais il semble que l'estampille « résistance »
attribuée à ce cinéma leur a amplement suffi comme garantie. Et il n'a donc
encore moins été question pour ces associations de proposer des alternatives
possibles (association, coopérative...) concernant l'exploitation de ce cinéma.
…
Et la culture (d'entreprise)
Passe
encore cette faiblesse politique des citoyennistes, heureux de pouvoir disposer
d'un lieu de choix pour s'auto-congratuler et faire leur auto-promotion à
partir de films « qui dénoncent », en l'absence de réaction des
salariés de l'entreprise leur offrant ce service. Mais une partie de ces
salariés était tenue à l'écart aussi bien des informations sur le devenir du
cinéma que sur son animation, ils acceptaient tant bien que mal des pratiques
patronales paternalistes et individualisantes, et certains d'entre eux avaient
à en redire sur la gestion de ce cinéma.
Or,
il se trouve que 3 employés de cette fameuse entreprise, ayant finalement osé
courant 2004 exprimer publiquement leur mécontentement et agir collectivement
pour imposer leurs droits de salariés, sont remerciés dès l'automne 2004. Les 3
ex-salariés du cinéma orléanais s'étaient remués face à leurs conditions de
travail et avaient espéré un minimum de soutien de la part du milieu militant
orléanais, notamment des associations impliquées dans un partenariat avec leur
cinéma. Ils ont osé dire dans un texte (Rappels aux spectateurs, juillet
2004) leur mécontentement sur leur situation, et en appelaient aussi à la
vigilance des spectateurs pour qu'ils ne tombent pas dans une logique de
consommateurs. Deux salariés se sont mis en grève les 28-29 juillet 2004,
contestant l'aménagement du travail estival. C'est au moins un mois après que
ces trois énergumènes sont sortis de l'effectif salarial du cinéma (juste avant
le changement de la société exploitante). Ils ont disparu de l'équipe dans des
conditions différentes mais quelque peu originales : un licenciement pour faute grave le 30 août
2004 motivé par la grève, un congé sans solde ... démissionné (démission fixée
au 31 août 2004) sur un CDI transformé en CDD (fin de contrat fixée au 15
septembre 2004), une vraie démission datée du 22 septembre 2004.
Ces
pratiques patronales peu reluisantes ne sont pas une exception. La situation
est comparable notamment dans les très engagés cinémas Utopia (autre SARL).
Ainsi à Utopia Toulouse, la réunion d'équipe du 25 novembre 2004, révèle le
licenciement en cours de deux salariés
dont les motifs sont pour l'un « un déficit d'heures de travail d'un
délégué du personnel » et pour l'autre le manque « d'un
minimum de conscience politique ». D'après un collectif d'anciens
salariés, les conditions de travail contraignent au surinvestissement personnel
et au bénévolat ; ils font constater entre autres qu'il y a eu « 25
départs entre juin 2002 et octobre 2004. Départs protéiformes qui, exception
faite de trois licenciements [...] ont été pour beaucoup à l'initiative
des employés eux-mêmes ».
Le
salarié licencié du cinéma orléanais est alors soutenu publiquement par la CNT
(45 et Spectacle Paris) et par un petit groupe de spectateurs solidaires ;
ils dénoncent clairement (malgré des moyens modestes) la remise en cause du
droit de grève, les conditions de travail et les pratiques patronales de ce
genre d'entreprise, les illusions entretenues par le vernis culturel, et
l'indulgence des milieux militants. Car ces derniers, si prompts à collaborer
avec l'entreprise culturelle cinématographique, ne réagissent aucunement à
cette répression patronale concrète, comme si rien n'avait lieu. On a pu même
ressentir de leur part, du début à la fin, une certaine gêne à ce que les
salariés manifestent un point de vue dérangeant leur confort militant. Après
leur grève, les deux activistes ont ressenti le besoin de s'expliquer : « On
nous a reproché de sous-estimer les difficultés financières [...] On
nous a aussi reproché de méconnaître voire d'ignorer la spécificité attendue de
fonctionnement d'un cinéma d'art et d'essai [...] le projet final
(montrer des films différents) serait plus décisif ? »
La
CNT-AIT soutenant les salariés du cinéma de Toulouse explique très bien ce
silence autour de ce genre de structure de résistance culturelle : « Utopia
est en effet un véritable média pour ces organisations ; elles peuvent y
laisser leur presse, y organiser des débats. Ce qui leur permet d'accéder à
leur clientèle et de tenir à distance les concurrents. Que le prix en soit de
s'associer à leur adversaire de classe et de fermer les yeux sur le sort de ses
salariés compte si peu à leurs yeux. L'intérêt de leur organisation prime sur
celui de la cause qu'elle est censée défendre. [...] Quant au salarié
d'Utopia, il sait qu'il a une pluralité de patrons : les patrons-militants
d'Utopia et les militants-patrons de la quasi-totalité de la gauche toulousaine. »
À
Toulouse, à Orléans comme ailleurs, c'est au même exercice que s'adonnent les
organisations de gôche et alter-patronphiles, celui de l'art de la neutralité
bien ordonnée : on demande l'intervention des pouvoirs publics pour aider
une entreprise – avec la « nécessité d'agir rapidement »
(selon les mots d'un adhérent d'Attac 45 soutenant en 2001 le cinéma géré par
Eden Carmes) – tout en restant muet face aux pratiques patronales
internes... pour la culture et la résistance au libéralisme bien sûr. Un peu
comme les rédacteurs du Monde Diplomatique qui s'invitent chez Daniel
Mermet sur France-Inter pour vendre leur argumentaire dit alternatif, sans se
soucier des pratiques de leur hôte Mermet avec ses collaborateurs.
Il
y a compromission et compromission.
On
peut rétorquer à ceux qui dénoncent la passivité des associations et militants
face à une situation de conflit social dans ce genre d'établissement
socioculturel – qui ne sont pas foule – que, quoi que l'on fasse
comme action, militante ou non, on se trouve toujours corrompu d'une manière ou
d'une autre.
Effectivement
on se trouve dans un état de société où on se compromet tout le temps. Ne
serait-ce qu'en allant au supermarché, on cautionne l'exploitation des
caissières. Mais – même si c'en est un – le problème dénoncé n'est
pas celui-là !
La
comparaison à faire porte plus sur quelle réaction apporteraient les
associations et militants, si (poursuivons notre exemple) des caissières de leur supermarché (préféré ?) se
mettaient en grève ? S'il était diffusé l'information qu'une procédure de
licenciement pour fait de grève avait été engagée ?
Quelle aurait été la réaction de nos joyeux drilles militants si un conflit social avait eu lieu dans leur librairie préférée, celles où ils essayent de mettre en dépôt leur canard par exemple ? Ces associations participent à l'animation de ces lieux culturels, qui prennent ainsi surtout grâce à elles, une teinte sociale, voire militante. Ces structures mélangent alors de fait (de façon plus ou moins poussée) militantisme et tiroir-caisse (si ce n'est bénéfice). Il est donc d'autant plus important, ne serait-ce que d'un point de vue de cohérence au sein même de leur activité militante, que ces associations – impliquées par leur partenariat –- prétendant intervenir sur un plan économique et social, réagissent (inutile de préciser qu'en présence du loup et de l'agneau, la neutralité – libérale – consiste à se ranger du côté du plus fort).
Reste
à savoir si ces associations sont prêtes à mettre en cause leur mode de
rentabilisation militante.
Dans
un article intitulé Depuis le 29 mai... écrit par un éminent
alter-militant orléanais, grand défenseur du cinéma des Carmes à Attac 45 puis
au groupe local des AMD, tout devient plus lumineux : « Le 29 mai
au soir les temps ont changé. » On découvre dans ce texte pourquoi les
associations citoyennistes ne pouvaient réagir lors du conflit du cinéma
local : « La mission d'éducation populaire d'Attac et d'autres
associations, les Amis du Monde Diplomatique par exemple, doit impérativement
se développer sur ce terrain aujourd'hui favorable. » Donc, d'une
part, le terrain n'était pas favorable ; et de l'autre, l'éducation
populaire se fout éperdument du droit des salariés, l'exploitation de l'homme
par l'homme étant un bien nécessaire à l'humanité et à ses éducateurs. Et
l'alter-écrivain se dévoile : « L'alliance objective du PS et de
l'UMP sur le texte constitutionnel [...] a été un révélateur puissant
sur l'ambiguïté - voire la duplicité – du social-réformisme » ...
On peut transposer : l'alliance des gôches locales avec l'exploitation
patronale locale – mais de gauche – est « un révélateur
puissant sur l'ambiguïté – voire la duplicité – du social réformisme »
de toutes ces associations alter-conciliantes.
Les Révoltés du Bounty, août 2005, ( laluttecestpasducinema@nolog.org
)
transmis par le Syndicat
intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – octobre novembre 2005 n° 201)
Un dossier plus complet est disponible sur Internet :
http://nantes.indymedia.org/article.php3?id_article=6356