Morts
tragiques ou sacrifiés ?
Le drame de l'hôtel Paris-Opéra, survenu en avril dernier, qui a fait 24 morts avait beaucoup ému à l'époque, malheureusement aucun effort véritable n'a été consenti pour lutter contre le mallogement. Inévitablement des catastrophes se sont reproduites et 2 incendies meurtriers ont eu lieu à Paris à 3 jours d'intervalle.
Le
premier (17 morts) s'est déclaré dans un immeuble du boulevard Vincent Auriol
(XIIIe) géré par Emmaüs, qui accueillait 130 personnes
essentiellement originaires d'Afrique. Plusieurs des familles étaient logées
provisoirement dans cet hôtel depuis… 1991, au lendemain de l'occupation du
chantier de la bibliothèque François-Mitterrand 1. La
vétusté de l'hôtel a été soulignée par les rescapés 2 et
les voisins : « Tout le monde savait ce qu'il se passait à
l'intérieur. L'immeuble était en ruines. On avait peur de tomber dès qu'on
empruntait l'escalier. C'était sale, les rats couraient dans les étages » 3.
Il s'agissait de familles en situation régulière, payant un loyer (entre 500 et
900 euros par mois) et attendant désespérément qu'on se préoccupe de leur sort.
Les travaux de réhabilitation n'ont pas été menés à leur terme faute de pouvoir
reloger les occupants 4.
Le
second (7 morts) a ravagé un « squat » de la rue Roi-Doré (IIIe)
occupé en grande partie par des sans-papiers, surtout Africains 5.
Là encore, l'état déplorable de l'immeuble était connu, un reportage réalisé
par des journalistes de l'AFP Vidéo y a été tourné en février 2004.
Pourtant
l'insalubrité de nombreux immeubles et le problème du mallogement ne sont pas
ignorés : il manque 500 000 logements sociaux, Paris compte près de
1 000 immeubles dangereux 6… La situation est bien
connue des pouvoirs publics, mais elle ne leur semble pas digne d'intérêt. Pris
en défaut, chacun se renvoie la balle 7 : accusée
par le gouvernement et des conseilleurs de droite, la mairie de Paris rejette
la faute sur l'état et la municipalité précédente ; les journalistes
clament qu'ils dénoncent régulièrement ce scandale et pointent du doigt la
responsabilité des politiques. Delanoë ne sait plus comment expliquer pourquoi
il préférait financer des travaux colossaux pour accueillir les JO et Borloo ne
parvient pas à convaincre que le volet logement de son plan social n'est pas
une goutte d'eau dans un océan. Le souvenir de l'appartement des Gaymard a de
quoi donner la nausée. Le césar de l'hypocrisie revenant à Sarkozy qui, après
avoir réclamé une estimation des logements insalubres, pourtant déjà réalisée,
n'a rien trouvé de mieux que de rejeter la faute sur les victimes elles-mêmes.
Si
des gens vivent dans des conditions déplorables ce n'est pas par choix, mais
parce que l'état est complice de la misère qui découle de notre système
économique capitaliste, aujourd’hui libéral. La loi du marché et la
sacro-sainte recherche des profits ne s'encombrent pas du sort des individus.
Le résultat est effroyable :
400 000
logements insalubres ont été recensés en France 8 et la
capitale compte 976 « taudis » parfaitement repérés 9.
L'état compte résoudre ce problème en déboursant cette année… 7 millions
d'euros alors que la seule ville de Paris en débourse 33 millions.
3
millions de personnes sont mal-logées (manque de confort pour 1,15 million et
surpeuplement pour 1 million) et 5,7 millions sont en situation de grande
fragilité quant à leur logement selon le rapport de la Fondation abbé Pierre
(625 000 personnes occupent un logement dégradé, 715 000 peinent à
payer leur loyer…) 10. En outre, 809 000 personnes
ne peuvent occuper un logement personnel. Depuis la loi Besson du 31 mai 1991,
l'état s'est déchargé du sort des familles mal-logées sur le dos des
associations. 11
Un
quart des ménages souffrent d'un défaut d'humidité, de chauffage ou de
délabrement ; 10 % cumulent deux de ces problèmes et 3 % sont
victimes des trois. Au total, 9 % des logements sont considérés comme
inconfortables. 12
Il
manquerait 900 000 logements sociaux dans tout le pays 13
et 1,3 million de personnes en attendent un, dont 100 000 à Paris. Il faudra
être patient dans la mesure où de nombreuses communes refusent d'en construire
pour atteindre les 20 % de logements sociaux, comme le prévoit la loi
solidarité et renouvellement urbain (SRU) de décembre 2000. Le ministère du
Logement a dénombré 742 communes n'ayant pas construit suffisamment de
logements sociaux, mais un tiers n'ont toujours rien fait, préférant payer une
amende trop modeste que d'entreprendre des travaux destinés à accueillir des
« pauvres » 14.
L'accès
au logement pour les plus modestes est menacé par la hausse des prix des
loyers : + 4,7 % pour le premier semestre 2005. La part des
ressources consacrée au logement pour les locataires HLM s'alourdit passant de
10,3 % en 1984 à 16,4 % en 2003 15, celle des
ménages à bas revenus de 13 % en 1988 à 16 % en 2002 16.
Entre 1998 et 2005, les loyers des logements anciens ont augmenté de 86 %
(+ 67 % en euros constants) 17.
2
millions de logements sont inoccupés, soit 7 % des 29 millions de
logements du pays (un taux de 6 % à Paris). Si certains sont vétustes,
près de 5 % des logements neufs sont vacants 18.
Selon DAL, Paris en compterait 140 000.
La
loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 prévoit un budget de 4 milliards
d'euros sur 8 ans, soit 500 millions par an, et fixe pour objectif la
construction de 500 000 logements sociaux en 5 ans. Si Borloo a présenté
ce programme avec fierté, force est de constater qu'il s'avère gravement
insuffisant au regard des besoins en matière de logement. Un budget avare qui
témoigne le manque de considération à l'égard des problèmes de logement des
plus modestes. Tant que les serviteurs de l'état, ministres en tête, sont
royalement installés, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. à titre comparatif,
l'Impôt de Solidarité sur la Fortune qui touche 335 000 nantis, dont
l'existence est menacée, a rapporté 2,65 milliards d'euros en 2004 19.
L'état envisage donc de faire un cadeau aux plus riches, représentant plus de 5
fois ce qu'il consacre au logement social.
Il
existe des lois pour chasser les squatteurs, les nomades et les locataires
insolvables. Elles sont respectées : ainsi, les expulsions ont augmenté de
123 % en 5 ans 20. Il existe des lois pour
réquisitionner des logements vacants ou obliger les communes à construire des
logements sociaux. Elles ne sont guère appliquées.
La
réalité sociopolitique démontre que loin de l'image qu'il souhaite donner,
l'état se place du côté des plus favorisés et défend le droit de propriété aux
dépens des conditions de vie des individus. Combien de familles pourraient
recevoir un logement décent si on osait récupérer les 22 milliards d'euros de
dividendes reversés en 2004 par les entreprises du CAC 40 21 ?
Richesses accaparées, argent public gaspillé… Chaque gouvernement, chaque
commune a englouti des sommes énormes dans des projets inutiles et démagogiques
au lieu de les consacrer au logement des masses. Si le peuple veut que l'on
s'intéresse à ses problèmes et que l'on réponde à ses aspirations, il faut
qu'il soit maître des décisions. S'il veut être souverain, il doit exercer le
pouvoir (démocratie directe, mandats impératifs et rotatifs, contrôle par la
base…) et non attendre que ses dirigeants, du haut de leur tour d'ivoire, ne
daignent poser leur regard sur son malheur.
Syndicat intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – octobre novembre 2005 n° 201)
1 - « 14 enfants parmi
les tués de l'incendie d'un immeuble parisien », Libération, 26 août 2005.
2 - « Les rescapés
témoignent : c'était ça ou la rue », l'Humanité, 29 août 2005.
3 - « Parce qu'ils sont
noirs et que tout le monde s'en fout », Libération, 26 août 2005.
4 - « Du provisoire qui
a duré 14 ans », Le Monde, 30 août 2005.
5 - « Un nouvel
incendie d'un immeuble vétuste a fait 7 morts à Paris », Le Monde,
30 août 2005.
6 - « Avant le drame,
vétusté et saturnisme » et « Déficience », Libération, 27 août 2005.
7 - « Un nouvel
incendie à Paris intensifie la polémique sur le logement », Le Monde,
31 août 2005.
8 - M. Sarkozy veut un
recensement », Le Monde, 27 août 2005.
9 - « Paris, capitale
aux 976 taudis », Libération, 31 août 2005.
10 - Rapport 2005 sur
l'état du mallogement, Fondation abbé Pierre.
11 - « Quand l'état régule le mallogement », l'Humanité,
3 septembre 2005.
12 - « Mallogement,
bidonvilles et habitat indigne en France », rapport de J. Darmon, responsable
de la recherche à la Caisse nationale d'Allocations Familiales, Recherches et
prévisions no 76, juin 2004.
13 - « Une conséquence
de la pénurie de logements à loyers modérés et destinés aux grandes familles »,
Le Monde, 27 août 2005.
14 - « Logement
social : villes effrontément hors-la-loi », Libération, 30
août 2005.
15 - « La hausse des
loyers s'est poursuivie de manière
soutenue au premier semestre », Le
Monde, 31 août 2005.
16 - Les conditions de
logement des ménages à bas revenus, INSEE Première no 950, février 2004.
17 - Logements
anciens : des prix toujours en forte hausse en 2004, INSEE Première no
1029, juillet 2005.
18 - La proportion de
logements vacants la plus faible depuis 30 ans, INSEE Première no 880, janvier
2003.
19 - « M. Breton veut
examiner les inconvénients de l'ISF », Le Monde, 12 août
2005.
20 - « La pauvreté touche d'abord les femmes, les jeunes et les
étrangers », Le Monde, 16 octobre 2004.
21 - « CAC 40 : 22
milliards de dividendes », Le Monde, 19 mars 2005.