Le 27 octobre, vers 18 heures, Zyed et Bouna, 2 mineurs de Clichy-sous-Bois meurent électrocutés alors qu'ils s'étaient réfugiés dans un transformateur EDF pour échapper à un contrôle de police. Un troisième garçon, Muttin, grièvement brûlé, parvient à rentrer et donne l'alerte. Aussitôt, la cité s'embrase. Sans juger de la pertinence de ces actes, ceux-ci semblent relever de 2 natures différentes : le vandalisme enragé d'un côté (véhicules du quartier, crèche, école, maison de quartier...), mais aussi des attaques ciblées contre des adversaires identifiés comme étant responsables des problèmes vécus par les jeunes des quartiers défavorisés (forces de police, entreprises, bâtiments et véhicules publics...). Dans les 2 cas, tous sont animés par une même haine incontrôlable. Pourquoi ?
Au fil des jours, notre société découvre qu'elle offre un visage de guerre interne, déchirée par de graves tensions qui résultent des inégalités sociales et des frustrations de ceux qui en sont les victimes. Les populations dénigrées et exclues attaquent et remettent en cause les représentants d'un système qui les opprime. « On a des papiers depuis des générations mais on n'est pas des Français comme les autres » déclare un quadragénaire de Clichy qui comprend les jeunes
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« Clichy-sous-Bois cristallise les tensions politiques et sociales », Le Monde, 2 novembre 2005.
parce qu'il partage leur frustration. Les « racailles » condamnées par Sarkozy expriment à leur manière un mécontentement bien plus généralisé au sein des habitants des quartiers défavorisés : chômeurs, familles d'origine immigrée, personnes démunies... les exclus clament leur rage et leur ras-le-bol. Actes de « sauvageons » ou de barbares, toutes les formules populistes cherchent surtout à cacher l'existence d'une véritable lutte de classe entre exploiteurs et exploités, nantis et pauvres.
Mensonges et manipulations se sont multipliés dans cette affaire : allusion erronée à un cambriolage d'une cabane de chantier, en fait une effraction, pour laisser supposer que les victimes étaient des voleurs ; polémique autour de la fuite de jeunes qui se sentaient pourchassés par la police mais qui ne l'étaient pas selon le procureur de Bobigny (version contredite par le témoignage de Muttin) ; embarras lorsque l'enquête révèle qu'un policier a signalé cette intrusion et le danger encouru par les jeunes sans que rien ne soit fait pour éviter le drame ; déclaration ridicule sur une grenade lacrymogène de CRS lancée dans une mosquée mais qui n'aurait pas été tirée par la police
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« Ils sont dans la centrale EDF… », Libération, 4 novembre 2005 (http://www.liberation.fr/ page.php?Article=335994).
; théorie fumeuse d'un complot expliquant la propagation des émeutes
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« L'hypothèse d'émeutes organi- sées paraît peu vraisemblable », 4 novembre 2005, (http://www.le monde.fr/).
; ajoutez les propos insultants de Sarkozy sur la « racaille »...
Dans le quartier, les rumeurs font état de jeunes, n'ayant commis aucun délit, fuyant un contrôle d'identité poursuivis par des policiers jusqu'à la centrale EDF. Une contradiction avec des discours officiels et médiatiques qui expliquent l'effervescence et la colère qui ont conduit à des exactions ou à des représailles. Pendant que l'état nous endort sur ses responsabilités en mettant en lumière ce « vandalisme » et en multipliant les déclarations fallacieuses, la répression s'abat : arrestation de centaines de jeunes ; provocations, insultes et tirs de flash ball à tout vent
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« émeutes de Clichy-sous-Bois : les jeunes accusent la police » (http://www.afrik.com/article8965 .html). Une vidéo amateur sur ce site montre des policiers tirant au flash ball sur des jeunes en les insultant.
... les habitants se trouvent coincés dans une spirale de la violence entre les incendiaires, les révoltés et les CRS.
Pourtant ce vacarme ne parvient pas à masquer complètement des voix discordantes rappelant notamment que ces quartiers sont totalement abandonnés et qu'on n'en arriverait pas là si on ne laissait pas la misère se développer et se concentrer de la sorte. « Ces jeunes sont des produits de notre société : il est inenvisageable de s'attaquer aux problèmes des cités sans s'attaquer aussi aux difficultés que rencontre notre société. »
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« L'autre colère de la banlieue », Libération,2 novembre 2005 (http: //www.liberation.fr/page.php?Arti cle=335437).
. Ce lien avec des problèmes d'injustice et d'inégalités sociales explique la diffusion des émeutes dans tout le pays à d'autres quartiers partageant les mêmes maux. Sarkozy a déclaré que cet embrasement était somme toute prévisible : « On sentait monter ça depuis plusieurs mois »
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« Un jeune à Aulnay-sous-Bois : Ce n'est qu'un début, on va con- tinuer jusqu'à ce que Sarkozy dé- missionne », Le Monde, 4 novem- bre 2005.
. Force est de constater que rien n'a été fait pour résoudre ces frustrations et empêcher que des cités ne soient dévastées. Vu de Neuilly, rien d'alarmant sans doute.
La cité du Chêne-Pointu n'a rien d'extraordinaire selon une directrice d'école maternelle et un professeur du collège de Clichy pour qui « le quartier n'est pas spécialement dangereux. Ce qui s'est passé ici aurait pu se passer à un autre endroit. Le quartier se distingue seulement par un taux de chômage plus élevé qu'ailleurs »
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« Nuit d'émeute à Clichy-sous- Bois après la mort de deux ado- lescents », Le Monde, 29 octobre 2005.
. Pas un quartier de sauvageons, mais de jeunes en difficultés. Les 2 victimes étaient des jeunes d'origine étrangère, malienne et turque, sans histoire de l'aveu du procureur de Bobigny. Pourquoi les émeutiers seraient-ils alors de simples délinquants ? Parmi les jeunes émeutiers aussitôt condamnés, on dénombre un sans-papier marocain et un demandeur d'asile ivoirien. Un étudiant de 25 ans préparant un concours pour être enseignant a avoué à Guillaume Biet (Europe 1) avoir participé au « caillassage » parce que ce drame aurait pu lui arriver ou toucher des proches. Il témoigne aussi des discriminations à l'embauche et des contrôles de police angoissants pour tous
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Voir l'émission d'Arrêt sur images (France 5) du 6 novembre 2005 qui étudie la façon dont les médias ont couvert les incidents et notamment repris la thèse, fausse, du cambriolage faisant passer les 2 victimes pour des délinquants(http://www.france5.f r/asi/007548/10/129836.cfm). Sur la diversité des personnes parti- cipant aux émeutes, voir aus- si « Les destins fracassés des jeunes jugés à Bobigny pour leur participation aux émeutes », Le Monde, 5 novembre 2005.
. On a plus affaire à une manifestation violente de solidarité entre défavorisés qu’entre voyous.
La situation sociale de Clichy est des plus parlantes : 25 % de moins de 25 ans, 25 % de chômeurs, 80 % de logements collectifs, mais seulement 30 % de HLM dont les loyers sont trop élevés pour 30 % des habitants obligés de s'entasser dans des copropriétés
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« Fuite des classe moyennes, chômage à 25 % : Clichy-sous-Bois, radiographie d'une ville pauvre », Le Monde, 6 novembre 2005.
. Des jeunes sans emploi, souvent victimes de discrimination à l'embauche, qui voient d'un mauvais œil des entreprises qui s'installent dans leur quartier pour bénéficier de franchise fiscale pendant 5 ans, mais qui ne leur offrent aucun emploi. Des municipalités condamnent leur abandon par l'état, rappelant que 310 millions prévus pour l'insertion et le logement social dans les banlieues ont été annulés en 2005
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« Les maires de banlieues s'exaspèrent de la réduction de leurs aides », Le Monde, 6 novembre 2005. « Le gouverne- ment sommé de répondre à l'accroissement des violences urbaines », (http://www.lemonde .fr/), 6 novembre 2005.
. Des maires de Seine-Saint-Denis ont demandé un « Grenelle des quartiers populaires » pour répondre au malaise des banlieues méprisées et abandonnées. Le chaos pousse les élus à réagir : on s'accommode de la misère tant qu'il n'y a pas de vague dans sa ville.
Toute l'affaire est loin d'être éclaircie, mais la mort tragique de 2 jeunes révèle une face cachée de notre société. Celle de la pauvreté et de l'exclusion qu'on cherche à dissimuler, y compris dans les statistiques : baisse du chômage à coût de radiations, trucage des critères de calcul pour ne pas avouer que 12 % de la population, 7 millions de personnes, vivent au- dessous du seuil de pauvreté et 3 millions et demi avec moins de 600 euros par mois
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« 6 % des Français en dessous du seuil de pauvreté », Libéra- tion, 17 octobre 2005 (6 % de pauvres si l'on retient le seuil de 50 % du salaire médian, mais 12 % avec le seuil Eurostat de 60 %).
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Ce drame a été la goutte d'eau de trop. à Clichy, en Seine-Saint-Denis, puis dans l'ensemble du pays, les cités ghettos s'embrasent. Soutenu par tout le gouvernement, Sarkozy mène une répression bornée. Pourtant, en offrant des cadeaux fiscaux aux plus riches sans se soucier des plus nécessiteux en tant que ministre de l'économie et en refusant de construire des logements sociaux comme maire de Neuilly
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« Neuilly-sur-Seine à la traîne », Le Monde, 13 octobre 2005. En 2004, la ville ne compte que 2,6 % de logements sociaux et ne fait guère d'effort pour atteindre les 20 % imposés dans la loi SRU de 2000.
, il a grandement contribué au développement de cette situation explosive. Heureusement la Gauche marque sa différence en expliquant qu'il aurait simplement fallu... conserver une police de proximité ! Contrôler les populations à défaut de régler leurs problèmes, voilà qui est généreux ! Nos politiciens de tout poil montrent leur incapacité à trouver de véritables solutions. La situation démontre que nous sommes dans une impasse et qu'il ne sert à rien de vouloir gérer le système, mais qu'il faut en changer.
L'état préfère naturellement entrer dans une logique d'affrontement et de guerre civile plutôt que de tenter d'apaiser la situation en luttant contre les inégalités sociales à l'origine des tensions. L'état confirme qu'il n'a pas vocation à assurer le bien-être des populations, mais à protéger un système inégalitaire et l'ordre établi en se plaçant au service des nantis.
Les émeutes sont essentiellement un cri de ras-le-bol, la misère et l'exclusion étant intolérables. Malheureusement, les destructions frappent surtout les habitants de ces quartiers déjà démunis et risquent d'en pousser plus d'un à se laisser séduire par les sirènes populistes, de Sarkozy à Le Pen. Au lieu de compter les voitures incendiées, les médias et les politiques feraient mieux de dénoncer plus souvent les difficultés quotidiennes de gens qui doivent survivre avec un RMI, de jeunes privés d'emploi à cause de leur nom, de femmes seules élevant 3 enfants avec seulement 580 euros... Vivant dans de telles conditions alors que d'autres amassent des fortunes, qui n'aurait pas, à l'heure actuelle, les mains sentant l'essence ? La seule réponse que connaît l'état, c'est la répression : occupation des quartiers par la police, couvre-feu, justice expéditive et bâclée
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« Les présumés émeutiers con- damnés à la chaîne », Libération, 8 novembre 2005.
(http://www. liberation.fr/page.php?Article=336 800)
. Pour éviter cette violence, envoyer les forces de l'ordre ne sert qu'à attiser la colère, au mieux à étouffer provisoirement le problème, mais après ?
Il faut simplement mettre un terme aux inégalités révoltantes engendrées par le capitalisme et pour cela, l'état sera toujours un adversaire. Ces évènements laissent penser que notre société injuste a atteint ou atteindra inévitablement un point de rupture, notamment si une conscience de classe se forge au sein des jeunes révoltés et de leur famille. Dévastés, les quartiers défavorisés sont également divisés puisque certains sont victimes de la rage des autres. Le salut et l'espoir résident dans la prise de conscience par les familles pauvres de leurs véritables adversaires, et la réflexion des émeutiers sur les moyens les plus efficaces pour remettre en cause le système inégalitaire qui écrase ces populations. Volontairement ou non, ces actions ont placé le problème des banlieues sur le devant de la scène, en contribuant à l'instauration d'un rapport de force qui pousse l'état à essayer d'acheter la paix sociale en même temps qu'il tente d'étouffer l'incendie qu'il a allumé. Il revient aussi à l'ensemble des masses laborieuses de choisir entre un ordre inégalitaire qui engendre de graves tensions et la nécessité d'une révolution sociale afin d'instaurer une véritable justice, seule garante de la paix et du fonctionnement harmonieux d'une société.
Le capitalisme orchestré par l'état produit des inégalités qui engendrent la violence.
Pas de justice, pas de paix... sans destruction du capitalisme !