Trois jours ordinaires dans société une capitaliste

Quand des cyclones se succèdent à quelques jours d'intervalle, on se dit que les dérèglements climatiques ont atteint un niveau alarmant. Quand des immeubles insalubres causent la perte de dizaines de personnes, les pouvoirs publics se sentent obligés de faire croire qu'ils vont intervenir. Quand un cas de récidive défraie la chronique, certains se disent qu'il faut restreindre les libertés individuelles. Mais si l'on s'attarde un peu sur notre quotidien, on s'aperçoit qu'un fléau nous accable constamment, inexorablement et insidieusement : l'exploitation salariale.
Chaque jour, des êtres, des familles sont opprimés : inquiets pour leur survie, ou condamnés à des conditions d'existence déplorables pour les uns ; contraints à l'obéissance et spoliés des richesses qu'ils produisent pour les autres. Pas un jour ne passe sans que ce système ne dérape et fasse éclater son ignominie. Prenons simplement l'exemple de 3 jours ordinaires en Indre-et-Loire à travers le prisme, pourtant bien édulcoré et anesthésiant, de la presse locale 1  La Nouvelle République du Cen- tre Ouest, édition de Tours.  :
- Le 28 septembre 2005, on apprend que la Cour d'appel d'Orléans a alourdi les peines contre la société Synthron et le directeur du site d'Auzouer-en-Touraine : amende de 150 000 euros pour l'entreprise et 6 mois de prison avec sursis pour le directeur. L'établissement a été condamné pour sa mauvaise gestion de « produits particulièrement dangereux pour l'environnement ainsi que pour la santé et la sécurité des employés de l'entreprise et des populations locales ». En clair, l'entreprise préférait mettre en danger ses salariés, les habitants et l'environnement pour maximiser ses profits en ne se pliant pas aux règles de prévention. Dans une enquête de juin 2002, la DRIRE avait relevé 17 infractions aux obligations de sécurité. La Cour a rappelé 5 accidents survenus (incendie, pollution des eaux de la Brenne...) et les pressions exercées, notamment par les salariés, pour que le directeur respecte les consignes de sécurité relatives au stockage de produits dangereux.
Impossible ne pas faire de lien avec la tragédie d'AZF et ses 31 morts, dont c'était l'anniversaire le 21 septembre. Difficile de ne pas penser aux salariés victimes de l'amiante dont certains ont manifesté le 15 octobre à Paris en dénonçant les 3 000 décès par an liés à l'utilisation d'un matériau dangereux pour les travailleurs 2 « Entre 2 000 et 4 000 manifes- tants ont manifesté à Paris pour réclamer justice », Le Monde, 15 octobre 2005. . Comment ne pas songer aux 600 travailleurs qui périssent chaque année dans leur labeur 3 « Au travail, 600 morts par an », Libération, 17 février 2005. . Cette course folle au profit ne met pas en péril que la vie des salariés : la mort du petit Bilal, tombé dans une cage d'ascenseur, résulte d'une erreur d'un technicien dont le tribunal a reconnu l'absence de formation. Il est bien moins onéreux de recruter des sous-traitants ou des intérimaires sans formation ; une technique utilisée également dans... les centrales nucléaires !
- Le 30 septembre, c'est la condamnation à 13 ans de prison d'un éleveur canin pour harcèlement, agressions et viols sur mineures à l'encontre de 7 anciennes apprenties entre 1990 et 1999, date d'un dépôt de plainte.
Les pressions exercées par des supérieurs hiérarchiques vont parfois jusqu'au harcèlement sexuel et au viol. Les statistiques sur ce problème sont rares en France : selon une étude de la Commission européenne de 1998, entre 30 et 50 % des femmes en auraient subi. Tout comme le viol en général, beaucoup de victimes éprouvent des difficultés à témoigner ou à porter plainte (environ 50 procès ont lieu chaque année dans notre pays) 4  « La question de la preuve est la plus grande difficulté des procé- dures de harcèlement sexuel », http://www.liberation.fr/, 3 octo- bre 2005. . Propos grivois et actes déplacés sont parfois considérés comme de simples pratiques maladroites de séduction, des pervers finissent même par remporter des procès pour dénonciation calomnieuse si les preuves s'avèrent trop faibles, les peines sont souvent modestes, les inspecteurs du travail mal formés... Trop de facteurs poussent à se taire 5 « Rapports non protégés », Libé- ration, 3 octobre 2005. . Cette forme abjecte de violence est condamnée depuis 1992, au-delà des supérieurs hiérarchiques en 2002, mais la France n'a pas transposé une directive européenne du 23 septembre 2002.
Des pratiques courantes, traumatisantes et condamnables. Le cas d'une secrétaire de mairie du Pêchereau (36) a été signalé dans le précédent numéro du Chat noir déchaîné [supplément régional Centre du Combat syndicaliste], depuis elle a été réintégrée. Un autre témoignage à la mairie de Blagnac a été dénoncé par la CNT-AIT Toulouse 6 ( http://cnt-ait.info/article.php3?id_ article=516 ) et ( http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=580 ). . Mais des pratiques banales 7 Témoignages sur http://www.av ft.org « La galère d'une cadre pri- vée de statut clair », L'Humanité, 5 août 2005 ( http://www.huma nite.fr/journal/2005-08-05/2005-08 -05-811507 ), « Harcelée jus- qu'aux coups », Libération, 3 octobre 2005 ( http://www.libera tion.fr/page.php?Article=328091 ). et impunies qui traduisent une trop grande complaisance de notre société envers les pressions exercées contre les femmes et les travailleurs dans leur ensemble. Les hiérarchies sociales alimenteront toujours des abus de pouvoir des dominants contre des subalternes trop souvent voués à l'asservissement. Pression et harcèlement sont même présents dans des manuels de management ! 8 « Les harcelés du travail », Le Monde, 26 avril 2005.
- Le 1er octobre 2005, on apprend que l'entreprise métallurgique APM (ex-Valfond) est condamnée à verser des dommages et intérêts à 62 salariés abusivement licenciés durant l'été 2003. Les patrons ont coutume de considérer leurs salariés comme de simples outils dont on use et abuse à sa guise. La législation évolue dans un sens favorable à l'écrasement des travailleurs : le droit de licencier sans contrainte introduit par le contrat nouvelles embauches en est l'un des exemples les plus récents.

Amiante : état et employeurs coupables


En 1977, l'amiante est reconnue cancérigène, mais ce n'est qu'en 1997 que ce matériau est interdit. Un rapport remis le 26 octobre par une commission du Sénat souligne « l'indifférence inexplicable de l'ensemble des acteurs, employeurs et pouvoirs publics » devant « une menace connue de longue date », puisque dès 1906 un lien est établi entre maladies professionnelles et fibres d'amiante.
Dangereux, certes, mais très rentable, ce matériau a continué d'être utilisé pendant près d'un siècle, au mépris de la vie des travailleurs. Le bilan est éloquent : 35 000 morts de 1965 à 1995 et 100 000 décès « attendus » d'ici 2025. Une négligence meurtrière qui aurait été provoquée par l'action d'un lobby de l'amiante, le CPA, regroupant des industriels, des scientifiques ou encore des représentants des ministères.
En bref, patrons et état ont été trompés par un lobby sournois composé de... patrons et représentants de l'état ! Dirigeants politiques et économiques essaient simplement de minimiser leur responsabilité. Ces dizaines de milliers de victimes ont été sacrifiées pour leur assurer des bénéfices juteux. C'est donc bien le capitalisme, géré par l'état et le patronat, qui est coupable.
Logique de profit, logique de mort !

« Amiante : l'État et les industriels accusés », Libération, 27 octobre 2005.
« Pour les sénateurs, l'État a trop longtemps nié le danger de l'amiante », Le Monde, 27 octobre 2005.

Pour les patrons, les salariés ne sont que des pions qu'on peut sacrifier, des données statistiques, des variables d'ajustement pour optimiser les profits... Un autre témoignage de mépris à l'encontre des travailleurs s'est malheureusement produit dans l'Indre ce même mois. Beaulieu International Group a annoncé la fermeture de Berry Tapis (Buzançais) et Berry Tuft (Châteauroux), donc la suppression de 320 emplois, sans qu'aucune information concernant le sort de ces derniers ne soit communiquée. à ce jour, la situation reste inchangée et les salariés ont décidé de protester en organisant une manifestation le samedi 19 novembre.
Dans une société capitaliste on se sépare des travailleurs aussi aisément qu'on se débarrasse d'une paire de chaussettes démodées. Tant pis pour vous si votre patron trouve des salariés encore plus exploités et moins chers.
Pressurés, exploités, oppressés, agressés... Voilà le quotidien des salariés. Un quotidien injuste pour combien de temps encore ?

Syndicat intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – décembre 2005/janvier 2006 n° 202) Imprimer

1 - La Nouvelle République du Centre Ouest, édition de Tours.
2 - « Entre 2 000 et 4 000 manifestants ont manifesté à Paris pour réclamer justice », Le Monde, 15 octobre 2005.
3 - « Au travail, 600 morts par an », Libération, 17 février 2005.
4 - « La question de la preuve est la plus grande difficulté des procédures de harcèlement sexuel », http://www.liberation.fr/ , 3 octobre 2005.
5 - « Rapports non protégés », Libération, 3 octobre 2005.
6 - ( http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=516 ) et ( http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=580 ).
7 - Témoignages sur http://www.avft.org « La galère d'une cadre privée de statut clair », L'Humanité, 5 août 2005 ( http://www.humanite.fr/journal/2005-08-05/2005-08-05-811507 ), « Harcelée jusqu'aux coups », Libération, 3 octobre 2005 ( http://www.liberation.fr/page.php?Article=328091 ).
8 - « Les harcelés du travail », Le Monde, 26 avril 2005.