Annoncée par les médias à longueur d'antenne, d'informations en désinformations, le « grand mouvement » débutant le 22 novembre 2005 (en fait le 21, à 20 heures) a accouché d'une souris. Ils y voyaient (ou feignaient d'y espérer ou de craindre) une ampleur pouvant déboucher sur un conflit du type de celui de 1995.
Quant au terme employé de « grève reconductible », il est la version allégée et modernisée de la grève illimitée, de la même manière que le mot « libéralisme » a démodé le terme « capitalisme », renforçant l'ambiguïté ambiante.
Au préalable, début octobre, la Direction désirait verser une prime à l'intéressement de 160 euros aux cheminots actifs, suite au « bilan excédentaire de l'exercice 2004 ». Cinq syndicats dits « les plus représentatifs » refusèrent la notion d'intéressement et le fait que cette prime ne profite qu'aux actifs. La Direction décida de garder l'enveloppe pour « l'amélioration des conditions de travail ».
Cette attitude, digne pour une fois, avait été malheureusement considérée par beaucoup de cheminots comme un manque à gagner, n'y voyant pas le côté pervers d'une libération larvée et d'une pression sur les actions sociales à venir. Le manque de communication et d'explication des syndicats ainsi que leur faible présence sur le terrain y sont pour quelque chose. Nous y voyons d'emblée, une fois de plus, les limites flagrantes de la démocratie représentative.
Le mouvement de grève par lui-même a fortement mobilisé les conducteurs qui avaient leurs propres revendications, dont les principales étaient :
- le refus de la séparation en 4 entités professionnelles différentes ;
- le refus de l'avancement au mérite ;
- et le rallongement de la durée de la conduite de nuit.
à peu près 70 % des conducteurs étaient en grève. Dans les autres services, c'était plutôt 70 % des cheminots au travail !
La participation à l'AG du 22 novembre était faible, 90 cheminots sur un potentiel de 300 à 400 avec une très forte majorité de conducteurs. Le vote, sans appel, reconduisit la grève jusqu'à l'AG suivante du lendemain. La Direction ayant égrainé son pseudo-panel de concessions (déjà pour la plupart annoncées avant la grève) et la possibilité d'un « grand mouvement » s'émoussant, cette AG rassemblait encore moins de monde. Les orateurs syndicaux demandaient la reprise : celle-ci fut effective.
Les conducteurs obtinrent que la traction ne soit pas scindée en activités distinctes, le recrutement de 700 conducteurs pour 2006 (simple maintien des effectifs !), l'interruption pour l'année des mesures visant à rallonger le temps de conduite de nuit. Par contre, rien en ce qui concerne l'avancement au mérite...
Pour tous, augmentation de 0,3 % des salaires, à valoir sur la négociation salariale prévue (c'est-à-dire : rien) et une prime d'exploitation augmentée de 120 à 360 euros (hiérarchie quand tu nous tiens).
La vitrine la plus symbolique, vitrine de la privatisation oblige : le service ID-TGV (réservation sur Internet) rentre dans le giron de la SNCF.
D'autres mesures, comme la moindre décroissance du nombre de vendeurs de billets ou les 200 emplois qui renforceront les services à la clientèle, seront plutôt le fait d'une réorganisation interne au service.
à l'équipement, 350 emplois sont affectés à la suppression de 80 % des ralentissements de voie (ces ralentissements qui sont dus au manque d'entretien, pour cause d'économie, augmentent le temps de parcours sur beaucoup de lignes régionales ou interrégionales).
Au fret, les sites de triage, figés récemment, seront maintenus en l'état pendant 2 ans, en cas de réouverture. Le réseau des points de livraison et d'enlèvement sera maintenu. à noter que ces deux points étaient acquis avant le départ de la grève.
Au vu des résultats, simple ralentissement de l'évolution prévue par l'entreprise, on se demande pourquoi cette grève, puisque même l'idée de prime d'intéressement n'a pas disparu pour 2006. Rien n'apparaît sur les partenariats public / privé de plus en plus nombreux (régionalisation, lignes interrégionales, travaux TGV, etc.). Pas de recul non plus sur la présence des prestataires étrangers comme la CONNEX dans le fret et bientôt le voyageur.
à moins de 3 mois d'une élection professionnelle, il leur fallait une mobilisation exemplaire. Celle-ci n'a pas eu lieu malgré le matraquage des médias et les nombreux tracts présents, pour la première fois depuis longtemps, dans les chantiers.
Une radicalisation de façade du mouvement, avant que celui-ci ne démarre, avait sur un plan plus politique l'arrière-pensée de mesurer l'impact des forces de la « vraie gauche » capable, dans l'avenir, d'avoir une certaine influence dans l'ombre des partis traditionnels.
Il faut bien parler d'échec pour cette grève. Pourtant, à la SNCF, les problèmes sont nombreux. La réorganisation du fret équivaut à un véritable démantèlement. Le cloisonnement par activité provoque des situations aberrantes (trains annoncés supprimés... qui roulent bel et bien – et vice versa – machines allant chercher une rame qui n'existe pas, aller-retour de machines « haut le pied »
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Locomotive haut le pied : qui cir- cule sans être attelée à un train.
totalement inutiles, trains de voyageurs ne prenant pas de voyageurs parce qu'il manque le contrôleur – parce qu'à la suite d'un retard du train précédent, celui-ci ne peut pas être à son poste – incidents sur le matériel roulant, les caténaires, les voies...).
Les cadres, de plus en plus nombreux, sont de plus en plus exigeants. Le nombre d'arrêts maladie pour dépression est en constante augmentation.
Chaque jour, chaque cheminot peut constater une dégradation de l'entreprise, comme si on en sapait les bases, avec pour but la privatisation.
La notion de service public et un non à cette privatisation auraient pu impliquer un contact avec la population des usagers (parce qu'ils le peuvent encore) et de non-usagers (parce qu'il n'y a déjà plus de service public).
Le bilan de cette grève n'est pas optimiste. Les tentatives de manipulation ont été nombreuses. D'abord, la Direction faisant pression sur les cheminots pour les culpabiliser, par du courrier interne puis par médias interposés, les syndicats non grévistes ne restant pas dans la neutralité, mais faisant le jeu de la casse du mouvement. Et, finalement, l'attitude des syndicats appelant à la grève qui, en faisant le jeu de pression politique de la dernière chance, n'ont su rallier l'ensemble des cheminots, alors que les motifs d'insatisfaction sont si nombreux, que le service public n'existe plus, que le délire de la vitesse et du profit saccage la campagne et anéantit le plaisir de voyager. à suivre ...