Un jour Dieu mourut et nous fûmes enfin seuls ! Il nous a alors fallu retrousser nos manches pour nous attaquer, comme devait le dire la chanson, « au problème social en suspens »
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La rue des bons enfants de Ray- mond Callemin (Raymond-la- science).
. Ce fut l'ère du socialisme qui vit le prolétariat, dans la lutte des classes, opposer son projet social à celui de l'économie capitaliste.
Le capitalisme avec son absolue nécessité au profit (donc à l'exploitation sans cesse accrue) se trouve confronté à la fin des années 60 à la stagnation de ce profit ; il lui faut alors changer de forme pour mieux accroître le Capital (donc l'exploitation du Travail). C'est là sa dernière mutation en date qui est en train de s'achever aujourd'hui. Le capitalisme, ayant achevé une phase impérialiste (la conquête géographique), est devenu le système économique de la planète et aucun secteur d'activité humaine ne lui échappe : la société entière est capitaliste.
1. Du perdant magnifique à l'individu sublimé (travelling panorama)
Mad Max contre la modernité
En 1979, Mad Max
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Le premier Mad Max (1979) de George Miller. Celui où le propos est entier du début à la fin. Où il n'y a pas encore l'idée d'une saga.
a pu surgir tel le héros, seul et abandonné de tous, dans un univers moderne désorganisé peuplé de méchants qui avaient eu le tort de s'en prendre à la famille, sa famille. Dieu n'existait pas, le capitalisme avait refait son maquillage et le socialisme (le mouvement ouvrier et ses organisations) avait échoué à le détruire. Ne restaient plus que des prolétaires orphelins, des individus atomisés. Et un de ces individus, Mad Max, s'empressa alors de défendre ce qui n'était que l'illusion d'un monde meilleur (le passé) : la famille, le clan, la communauté. Autant dire le lieu même de l'aliénation primitive. Tandis que les méchants, anarchistes débridés, sans feu ni lieu, soit sans foi ni loi, s'acharnaient à détruire toute idée de lien social, toute idée communautaire. À la fin du film la solitude et la nostalgie des valeurs perdues étaient le seul lot de consolation pour notre héros défait. Dans un monde sans dieu.
De l'autre côté de la terre, en Grande-Bretagne, le spectre de Madame le Premier Ministre Margaret Thatcher pointe son nez, en même temps que les Sex Pistols et les braillements jouissifs de Johnny Rotten
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Chanteur du groupe musical Sex Pistols.
. Dans les rues, les chômeurs sont de plus en plus nombreux : l'interdit d'ouverture diurne des pubs est levée.
De l'autre côté de la Manche, où les bistrots ont toujours eu pignon sur rue à toute heure, Dieu fait une timide réapparition chez Citroën : des ouvriers demandent un lieu de prière sur leur lieu de travail (1982). Et c'est dans les années 90 qu'on le voit reprendre peu à peu le haut du pavé autour du one-man-show papal.
Et nos stars mécréantes d'hier confessent les unes après les autres leur adhésion au bouddhisme ou à toute autre religion jusqu'à Mel Gibson (interprète de Mad Max) qui nous fait un scandale chez les puritains en mettant en scène son masochisme inspiré
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La passion (2004) de Mel Gibson.
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Bref, Dieu est de retour. La porte des médias lui est grand ouverte. Et chacun, choix personnel dans la société de consommation oblige, prendrait ce qui lui convient d'obscurantisme.
Jet Li versus Bruce Lee : la force change de camp
C'est alors que notre ancien héros devenu punk malgré lui (no future), mais sans la lucidité punk (pour laquelle le passé est définitivement mort) – d'où sa hargne à tuer ce qui est moderne – est relégué aux oubliettes. Le nouveau bon, toujours opposé aux méfaits de la modernité (la mondialisation), use de sa dignité et de sa tolérance. Il le fait au nom d'un modèle projeté (irréel et irréalisable) où l'exploitation capitaliste serait douce et où, la liberté individuelle mise en avant, tout acquis culturel devient précieux. Entendons bien « culture » et pas politique
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Et voilà comment dieu-l'apolitique peut nous revenir des lieux oubliés où il finissait sans doute par s'ennuyer.
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Le nouveau héros des temps modernes, intégré, comme l'ancien, au capitalisme, mais dans ses formes actuelles, va pouvoir intervenir pour défendre ce que défendait Mad Max mais aussi Bruce Lee bien avant lui : la famille, le clan, la communauté. Autant dire toujours le lieu même de l'aliénation primitive. Sauf que la rage de Mad Max et la gracieuse fureur de Bruce Lee sont devenues inconvenantes aujourd'hui (à part peut-être quand le foudroyant coup de pied de Bruce Lee détruit l'avertissement colonialiste/raciste placardé à l'entrée d'un consulat
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La fureur de vaincre (1972) de Lo Wei.
). Jet Li, nouvelle star populaire du kung-fu occidentalisé
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Il n'est pas question ici des films de cape et d'épée de Hong-Kong où Jet Li incarne le héros dans le plus ou moins traditionnel de ces films, qui grosso modo tendent à prouver la supériorité chinoise sur toute autre forme culturelle.
, moraliste à souhait, ne tue que sous la contrainte, sans vraiment y mettre tout son petit cœur. On le voit dans Roméo doit mourir
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Roméo doit mourir (2000) d’Andrzej Bartkowiak.
, là où les familles acquises au capitalisme sauvage ne peuvent plus protéger leurs enfants, peuvent même aller jusqu'à les sacrifier si les affaires l'exigent. La concurrence est impitoyable dans un univers où il faut écraser l'autre afin de réussir. Notre héros (aidé par une héroïne), après avoir dégangréné les deux familles (entendons les Montaigu et les Capulet
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Roméo et Juliette de William Shakespeare.
), survit (avec notre héroïne) pour reconstruire une famille saine. Celle-ci n'usera plus de la force.
L'usage de la force est passée du côté des méchants ; pêle-mêle, les capitalistes libéralistes, les industries polluantes, les non-démocraties et les terroristes
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Terme toujours employé pour les ennemis de l'État qu'il s'agisse du Viêt-Minh, des Résistants, des anarchistes des siècles derniers, des hashichins ou des réseaux islamistes.
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Erin Brockovich
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Erin Brockovich de Soderbergh (2000).
ou le triomphe du (bon) droit
Et voici que paraît, toutes classes confondues, le citoyen respectueux et digne, regroupé avec ses semblables dans la République.
Du côté des bons, le droit a, dit-on, remplacé la force. Julia Roberts toute mochetingue mais oh combien bellement teigneuse incarne cette histoire vraie à l'américaine. Seule contre tous les nouveaux méchants, usant également de tous les artifices conventionnels dévolus aux femmes, mais surtout utilisant la Justice (avec majuscule) comme arme la plus redoutable qui soit, affronte la puissance industrielle polluante et tueuse de ses prolos. Voici donc la citoyenne nouvelle-née qui prouve que l'individu peut tout. Y compris rendre le monde meilleur hic et nunc
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Ici et maintenant.
: Erin sort victorieuse de son combat. CQFD : le capitalisme est améliorable.
Tout mouvement réformiste obtient parfois des améliorations des conditions de travail et par-là même de vie. Mais l'air qu'on respire est de plus en plus pourri, la nourriture qu'on avale est de plus en plus empoisonnée, la pauvreté est en augmentation constante, et la police est omniprésente sur le globe.
Mais revenons à nos héros, du moins à ceux cités ci-dessus émergeant de films populaires
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Un film populaire est un film qui connaît un grand succès. Il peut être « commercial », cela n'a aucune importance. Un film à gros budget comme Titanic a été apprécié non parce qu'il y avait plein de fric mais parce qu'il y était question de jeune gens qui recherchent à s'émanciper dans un monde de contraintes de classes et de sexes. Un rêve. Et d'autres encore. À ceux qui objecteraient qu'il y a dans ce film tentative de manipulation des émotions du public, il suffirait de rappeler que toute œuvre d'art n'est que cela : manipulation de l'émotion. Et c'est bien pour être manipulés que nous allons au cinéma ou écoutons de la musique, etc.
. Ce sont des héros parmi d'autres et ils ne sont là qu'à titre de démonstration.
Chacun de nous pouvant être Erin Brokovich, il n'y aurait plus de souci à se faire. Sauf que ce n'est pas vrai. Aucun de nous n'est Erin Brokovich (à part elle-même) ; quant au souci à se faire, voir plus haut un aperçu de la planète capitaliste. Mais, isolé des autres, ne pouvant plus revendiquer sa condition d'exploité comme une valeur positive (le prolétariat uni ne porte plus le flambeau de la Révolution), écrasé par les attaques victorieuses de la classe dominante, métamorphosé en citoyen responsable de la bonne marche des choses (ne pas fumer, trier les ordures, respecter les limites de vitesse, se marier/se pacser, faire des enfants, se taire au travail, voter, etc. ), stimulé par une propagande publicitaire constante (la réalisation de soi à travers l'accès à la consommation), l'exploité se voit offrir une nouvelle identité, non plus de classe, mais de culture.
2. De l'émancipation individuelle aux droits des minorités culturelles
La République et ses enfants difficiles
Les médias rattachent ce nouveau citoyen presque systématiquement à une culture spécifique : les Bretons, les Musulmans, les Juifs, les Arabes
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Ce terme est, à vrai dire, devenu politiquement incorrect. Il convient de dire Musulmans, même si les personnes concernées n'ont rien à voir avec une religion quelconque ; il suffit qu'elles ou leurs parents soient nés quelque part au sud ou à l'est de la Méditerranée. Par extension apparaît la notion de Français, concept désignant à peu près les personnes non Noires et non Asiatiques ne pratiquant pas le Ramadan.
, les Comoriens, les homosexuels (pas encore de majuscule pour ces gens-là), les Corses, les Asiatiques
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Pour ceux-là, peu importe leur langue maternelle, du français au thaï, peu importe d'où les uns et les autres viennent, ce sont « les Asiatiques » ; autant dire qu'il n'y a rien à reprocher à l'État américain qui, en raison de son engagement dans la guerre contre les Japonais, en 42 interne tous les « yeux bridés » dans ses camps.
... Il s'agit alors de mettre en avant la culture des uns et des autres ou, mieux, dans certains cas, l'ethnie
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Équivalent de l'incorrect « race ». Le politiquement correct est une des preuves de l'unicité du modèle dominant où tout est poli. On ne nomme plus le réel comme ça, il n'y a pas de problème n'est-ce-pas ?
. Ainsi on peut entendre, Machin français d'origine truc, ou Chose vivant en France de la communauté bidule, etc.
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On remarquera que les Catholiques ne sont pas évoqués comme membres d'une com- munauté. Le catholicisme (son clergé et ses relais laïcs) est partie prenante du Pouvoir en France. Il est, de plus, considéré comme religion majoritaire.
D'un côté donc nous avons le citoyen responsable abstrait, individu sublimé dans la République qui assimile toute culture (donc gomme toute différence) et de l'autre nous avons le citoyen concret, individu distinct d'un autre par une appartenance culturelle communautaire. Le premier est directement lié à l'État par l'impôt et le vote ; le second est supposé être ce citoyen également respectueux des us et des coutumes d'une soi-disant communauté homogène religieuse, ethnique ou sexuelle qu'on lui attribue ou qu'il revendique. Cette communauté est donc censée avoir des règles communautaires propres qui ne peuvent intervenir en contradiction avec celles de la République. Foutaises et pharisianisme ! C'est dire que Dieu est apolitique ! Et pourquoi nous a-t-on bassinés pendant des siècles avec des histoires de voile à l'école ? Et pourquoi nous a-t-on présenté des incuries de la police perpignanaise comme autant d'histoires de bandes « ethniques » rivales (non-intégrées, cela va sans dire) ?
Mais le royaume d'Albion a aussi ses enfants difficiles, actuellement cet été ce furent les émigrés pakistanais, enfants adultérins du Commonwealth. Ces personnes avaient avant tout en commun leur condition économique et leur quartier d'habitation quadrillé par la police britannique.
Le modèle américain des ghettos noirs a fait des petits. On sait par exemple qu'à Marseille la société de gérance des hlm favorise, dans l'octroi des logements, le regroupement par origine géographique. Et ce ne sont pas des bourgeois qui demandent des logements en hlm. Donc communauté peut vouloir dire ensemble de prolos qu'on ne peut plus nommer comme tels, car le faire serait reconnaître qu'il existe des classes sociales aux intérêts diamétralement opposés, donc en guerre permanente.
Scarface ou le nouveau looser (flash-back)
En 1983, une génération en arrière donc, Al Pacino incarne un voyou cubain ambitieux débarqué en Floride (États-Unis)
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Scarface (1983) de Brian de Palma.
. Il devient un homme puissant après avoir éliminé tous ses concurrents sur la place. Un vrai caïd qui n'a peur de personne. Aujourd'hui entre les t-shirts Nike et les chaussures Adidas, il est de bon goût pour signifier son appartenance à « sa communauté » d'afficher le portrait d'Al Pacino dans ce rôle de Scarface. Donc Scarface a remplacé Che Guevara dans la rue. Images de consommation certes. Mais si l'une, modèle romantique, affirmait qu'il était possible de gagner un combat collectif (la libération de Cuba), l'autre, peut-être tout aussi romantique au demeurant, affirme la puissance de la volonté individuelle. Avec cette chose a priori paradoxale que Scarface finit par échouer : au sommet de son ascension sociale il meurt dans un massacre suicidaire, seul et même très seul. Victime au début, victime à la fin. Donc, je suis le meilleur mâle dans cette jungle et pourtant je suis déjà mort. Je suis superpuissant et pourtant je suis impuissant. Entre les deux j'aurais abattu quelques flics et quelques minables. Sauf, une fois de plus, que ce n'est pas vrai. Mais ce qui ressort c'est que Scarface est un immigré qui « appartient à la communauté cubaine », que Scarface est sacrément malin et fort et que parce que tout ça, il devient très riche : le rêve impossible du prolo aujourd'hui caserné dans son quartier où le chômage et l'aide sociale sont monnaie courante
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Le casernement dans les grandes usines ne vaut (valait) pas mieux.
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Voilà donc le récit d'une émancipation sociale dans le ghetto. En sous-texte : l'enfermement revendiqué comme une identité positive spécifique. De nombreux raps le psalmodient fort justement. Et bien sûr, mon ghetto (quartier), concurrent des autres ghettos, est le meilleur de tous.
La lutte des classes est revêtue d'un voile si opaque qu'on en oublie que des personnes « issues de la communauté x ou y » appartiennent à la classe dominante. Celle qui se satisfait fort bien de tout ça.
Monsieur Slimani et la clientèle captive
Monsieur Slimani est à Marseille un des grands patrons des viandes halal
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La viande qualifiée halal est une viande où l'abattage rituel des bêtes a été respecté.
. Voilà que le trait culturel d'une dite communauté musulmane fait bien ici les intérêts économiques d'une seule famille. Monsieur Slimani, petit capitaliste modéré qui avait l'oreille de la mairie, était prêt à investir beaucoup d'argent et de temps pour qu'une grande mosquée digne de ce nom vît le jour à Marseille. Ben voyons. C'est quoi déjà la phrase que l'on prête à Friedrich Engels ou à Karl Marx
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« La religion […] est l'opium du peuple » in Critique de la philoso- phie du droit de Hegel (Karl Marx - collaboration d'Engels, 1844). En plus de l'alcool, des dérivés de l'opium et tutti bien sûr.
? Mais trêve d'ironie, revenons à notre propos qui est d'essayer de trouver à quoi rime tout ça dans le chaos général de la vie.
On a déjà entrevu une confusion possible entre les termes « communautés » et « exploités ». Mais monsieur Slimani appartient lui aussi à ladite communauté marseillaise musulmane. Et le voici interlocuteur des pouvoirs politiques pour l'obtention d'un édifice religieux pour tout « son » monde. Le voici donc représentant de quelque nécessité culturelle (et cultuelle) de sa dite communauté. Certes, il n'y a aucune raison qu'entre toutes les variétés d'églises de Marseille il n'y en ait pas une consacrée à l'Islam
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L'édification d'une grande mos- quée à Marseille est une valse hésitation récurrente. En fait il existe d'un côté (celui de la mairie) une telle mauvaise foi toute politicienne et de l'autre (celui du clergé marseillais) une telle diversification des cultes religieux, qu'il est quasi impossible pour nos compères de s'enten- dre. L'édification d'une grande mosquée n'est qu'un argument électoraliste (aussi bien pour la mairie que pour des imams ou des associations qui veulent obtenir ou renforcer leur pouvoir politique en ville).
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Le problème n'est pas là ; le problème c'est Dieu ; le problème c'est ceux qui sont favorisés par son existence.
Les films de Matthieu Kassowitz
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Métisse (1993), La haine (1995).
sont typiques d'une transposition de cette mixité des classes dans la communauté. Et de l'égalité de chacune des cultures communautaires (à la différence de ceux de Spike Lee, souvent empreints de racisme). La bonté qui émane finalement de chacun de ses personnages est la démonstration de cette égalité : chacun peut trouver dans la culture transmise par les parents la clé pour vivre tous en paix les uns avec les autres, riches et pauvres.
La reconnaissance de communautés, de minorités culturelles permet la création d'une élite représentative (parfois élue) dans la constitution d'un État démocratique. Il peut s'agir alors de réseaux d'influence (lobbying) ou d'une tendance à la démocratie participative
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Lobbying est péjoratif, « démocra- tie participative » présente un aspect d'équité sociale plus cor- rect. Mais c'est la même chose : il s'agit de pouvoir d'influence.
. Nous sommes bien dans un système représentatif. Dans la pérennité de la démocratie. Et c'est dans ce système que s'entendent des voix où les plus remarquables aujourd'hui sont celles de la communauté homosexuelle.
Car que vont demander ces communautés à l'État : une reconnaissance de la discrimination dont la communauté est l'objet. Donc des droits bien sûr. Des lois. Des décrets. C'est une revendication somme toute bien républicaine, celle des mêmes droits pour tous et de l'intégration de chacun. L'intégration commence par la reconnaissance de la famille. C'est le droit à fonder une famille, le droit à l'héritage.
Le problème n'est pas qu'il faille qu'il y ait des pauvres non-héritiers et des riches héritiers, quelles que soient leurs préférences sexuelles. Le problème c'est la propriété et la constitution d'un patrimoine transmissible.
3. Du modèle hétérosexuel au modèle hétérosexuel
L'homophobie présentée comme une carence juridique ou un choix individuel
Nous sommes élevés les uns et les autres selon le même modèle, pour la même société. Le modèle hétérosexuel monogame pour une société divisée en classes.
Hétérosexuel monogame parce qu'il faut se reproduire (l'érotisme étant alors dévoyé), parce qu'il faut toujours courir après le prince charmant (qui doit bien se cacher quelque part) auquel les femmes se soumettront délicieusement en échange de sa super-protection câline (la relation amoureuse étant alors uniquement fonctionnelle), ou après la femme idéale belle, intelligente mais effacée et surtout bonne mère (id. de la relation amoureuse). Nous sommes tous élevés dans ce schéma si joli que nous sommes de simples moitiés d'orange ! Et nous partons à la quête de l'autre soit pour le dominer soit pour s'y soumettre dans le cadre « privé » de la famille.
Ces choses dont a besoin le capitalisme : courbe l'échine sous le joug du salariat et sois loyal envers ton patron qui te procure du travail. Tout cela nous apprenons à le faire dans la famille où la division du travail est sexuée.
Mais la société capitaliste est sans cesse en mouvement apparent
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Apparent, car le fondement même n'est jamais remis en question, à savoir l'exploitation qui génère la domination d'une classe sociale sur l'autre.
pour pouvoir perdurer. Parfois, certaines conventions sociales ne sont plus adaptées à la course au profit. Ainsi en plein début de la dernière crise économique
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Fin des années 60, début des années 70.
, le travail est de plus en plus ouvert aux femmes, nouveau prolétariat qui, par son manque d'expérience, présente le visage d'une soumission nécessaire. La réaction la plus spectaculaire à cette demande de soumission fut le féminisme (oui papa, oui chéri, oui patron). La modernisation de la société était en cours. Cette modernisation nécessaire donc au capitalisme et revendiquée par les féministes allait donner toute une série de lois garantissant entre autres l'égalité des salaires. Mais ce n'est pas parce que les textes l'affirment qu'il y a égalité des salaires, ni même égalité dans l'accès au travail. On peut trouver un peu partout des tas de chiffres qui démontrent au contraire l'inégalité encore aujourd'hui.
C'est dire que les homosexuel(le)s qui aujourd'hui en France veulent se marier et avoir des enfants, le pourront bientôt, comme c'est déjà le cas dans quelques pays européens (et en particulier en Grande-Bretagne, où l'homosexualité masculine a toujours été un sujet tabou). Rien dans cette revendication ne met le capitalisme en danger : il s'agit encore et toujours d'essayer d'atteindre le modèle, celui de la famille parentale garante du patrimoine et de la reproduction des classes.
Il y aura donc de nouvelles lois ajoutées à celles concernant le mariage et la gestion des biens de la famille. Mais comme les lois sur le travail des femmes n'ont pu abolir la discrimination sexuelle, elles n'aboliront pas l'homophobie qui n'est qu'une des manifestations du sexisme. Le sexisme (et donc l'homophobie) sont une constante « culturelle » quasi universelle. Il ne suffit pas de crier halte à l'homophobie pour que chacun finisse par être convaincu que oui peut-être, après tout. Ce n'est ni un choix, ni une technique à connaître. C'est un ressort morbide extrêmement puissant que celui de l'interdit sexuel et donc de sa valorisation symbolique (la « mâlitude » et la « féminitude »).
Le modèle est le même pour tous, quels que soient les sexes et les pratiques érotiques. Le sexisme (donc l'homophobie) n'est pas une question de lois ni un choix individuel mais bien une nécessité à la bonne marche des affaires (capitalistes s'entend). Le sexisme est la conséquence de la division du travail et des rapports hiérarchisés. Il en est également sa justification. Il nous divise à l'intérieur d'une même classe sociale.
Le réel et le symbolique du voile
Et c'est ce que le voile que portent des femmes affirme : nous sommes dans une société où l'inégalité entre les hommes et les femmes est réelle. L'habit le rappelle constamment dans la rue. Inégalité économique et sociale
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En France, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1946 donc le titre de citoyenne. Avant, elles n'existaient pas socialement. Mais, le travail qu'elles accom- plissaient et accomplissent à la maison n'est toujours pas reconnu comme social. Même s'il est indispensable à la bonne marche de cette société, il reste d'ordre privé.
, donc politique. Voici pour le symbole.
En réalité, des femmes se voilent par contrainte ou volontairement. Ici ou ailleurs. Par contrainte si la pression sociale est telle qu'elles peuvent aller, dans certains cas, jusqu'à risquer leur vie en se dévoilant ; ou volontairement pour afficher une identité sociale. Dans le deuxième cas, on peut dire qu'elles revendiquent l'inégalité sexuelle prônée en l'occurence par l'Islam
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De façon générale les trois religions monothéistes prônent la division du travail entre les sexes. Quelles que soient les interpré- tations des textes, celles-ci ne concernent que les croyants, et parmi eux, ceux lui sont cultivés.
et nous revenons à ce concept relativement fluctuant de « communauté », d'autant plus que le port du voile affirme, en plus de l'appartenance de la femme voilée à un homme (ou à un « promis »), son appartenance religieuse. Monogamie et endogamie se conjuguent étroitement. Les femmes ne se définissent plus alors comme individus autonomes, mais comme éléments complémentaires des hommes (du coup, la réciproque est vraie, et nous voici solidement ancrés dans le modèle hétérosexuel). Ou plus justement, les hommes n'acceptent les femmes que comme quelques choses complémentaires. Une telle revendication, transcendant les classes sociales, relègue les femmes dans un sous-prolétariat corvéable à merci (travail salarié ou domestique et sexe conjugal).
Le collectif féministes pour l'égalité distribuait un tract en juin dernier, lors de la marche des femmes. Il s'intitulait « Inch'Allah l'égalité ! » et présentait une charte démocratique : lutte contre les discriminations, lutte contre les exclusions, défense des libertés individuelles, lutte pour l'émancipation des femmes et l'égalité des droits, organisation d'une éducation populaire, etc. La plupart des articles de la charte considèrent la société comme une juxtaposition de groupes religieux, intellectuels, culturels ou politiques. Tous s'équivalant dans leur essence. Et tous devant jouir des mêmes droits. Ici, le citoyen abstrait républicain est bien également le citoyen concret actif dans sa communauté et par là-même dans la République.
L'article 3 demande de respecter le choix de chaque femme à porter ou non le foulard (3. Respecter le libre choix des femmes en mettant notamment sur le même plan le droit de porter le foulard autant que le droit de ne pas le porter). Même si l'on considère que cet article s'adresse à des musulmans afin d'amener l'idée que l'on peut être de bonne foi avec ou sans voile, la façon dont il est rédigé reste néanmoins surprenante. Alors que le foulard sert à rappeler la soi-disant omniprésence de la libido (incarnée par les femmes par nature impudiques) et son interdit (incarné par les hommes dévolus corps et âmes à leurs tâches sociales), voici que les porteuses de voiles peuvent choisir d'être ou non impudiques. Ironie et confusion. Il n'y a là hélas qu'une façon de plus de contourner le malaise général engendré par le modèle dominant (le couple hétérosexuel monogame totalement accompli dans la procréation et la constitution d'un patrimoine) en conflit avec les désirs sexuels (vagabonds, passagers, passionnés, sédentaires, sublimés, assouvis, rêvés, etc. bref protéiformes).
Voici donc des féministes, qui, à l'instar de certaines féministes du siècle dernier, veulent s'émanciper du carcan patriarcal tout en y demandant une place. Mais la seule place que puisse avoir une femme dans une société patriarcale, c'est celle qui est dévolue aux femmes ; il n'y en a pas d'autre, ou alors ce n'est plus une société patriarcale. De la même façon que dans la société capitaliste, l'exploité ne peut s'y émanciper. Ou alors ce n'est plus la société capitaliste (qui est patriarcale, rappelons-le).
La référence continuelle à un système communautaire fait plus que brouiller les cartes. Non seulement elle prétend qu'il y aurait une loi unique partagée par tous les individus qui la composent (ici l'Islam, mais ce pourrait être tout à fait une autre), capitalistes ou prolétaires, qui engendrerait des pratiques et des coutumes connues de tous et reconnues par tous, mais elle prétend aussi que quiconque ne répond ni à cette loi ni à ces us ne peut les critiquer. Chaque culture devient « respectable » mais est directement en concurrence avec une autre. Du moins c'est ce qui ressort de l'article 2 de la charte suscitée qui refuse l'idée d'un modèle unique de la libération et de l'émancipation des femmes. Soit, puisque pour l'instant il n'existe qu'un seul « modèle », celui des femmes européennes et américaines qui ont échoué à faire avorter le capitalisme et par conséquent le patriarcat. Mais si les féministes pour l'égalité le rejettent, ce n'est pas parce qu'il n'a pas aboli le patriarcat mais parce qu'il n'englobe pas ce qu'elles considèrent comme un particularisme des femmes musulmanes.
Ainsi un problème universel (le patriarcat, les inégalités qui le fondent et le sexisme qu'il nécessite) intégré au système capitaliste devient le problème particulier d'une communauté
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Bien sûr, il existe différentes pratiques de l'Islam. Il est à noter que, comme dans toutes les religions, chacune prétend être la seule bonne. Il est politiquement correct aujourd'hui de se réclamer d'une pratique non-intégriste. Ce politiquement correct signifie une volonté d'intégration (dans la démocratie) assortie d'un particu- larisme revendiqué (la pratique religieuse).
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Le communautarisme (fondu enchaîné)
Il est vrai cependant que, contrairement à ce qu'elle prétend, la République ne garantit pas les mêmes droits pour tous. Il suffit de vivre en ses frontières pour s'en rendre compte. Mais aucun gouvernement ne peut assurer l'égalité entre tous ni sous le capitalisme ni ailleurs. L'État, fût-il ouvrier, ne peut que garantir les privilèges des privilégiés. Il en est l'émanation.
Les femmes (musulmanes) émigrées en France (en général, femmes ou filles de) sont, d'un point de vue du droit, très largement défavorisées par rapport aux françaises, puisqu'assujetties aux lois du pays d'origine d'un côté et aux lois sur le regroupement familial de l'autre. Mais que des femmes musulmanes (comme le collectif ci-dessus cité) dénoncent cet état de fait au même titre qu'elles revendiquent l'égalité des sexes dans l'Islam, montre comment des groupes de pression se constituent sur un système communautaire. Les deux ressorts en sont la discrimination (réalité politique) et la victimisation (subjectivité identitaire).
Mais une française peut être musulmane, ou une femme émigrée dont les parents sont musulmans peut être athée (et autres combinaisons possibles). Alors de qui parle-t-on ? à qui parle-t-on ? ou plutôt de quoi parle-t-on ?
Pour la classe dominante, le système mythifié (et mystifié) de communautés, riche mosaïque vivante, est un creuset électoraliste clientéliste intéressant (et intéressé)
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Bien que ce ne soit pas le propos direct ici, il est cependant intéressant de noter que, parmi les propositions des politiciens pour raisonner les prolétaires émeutiers d'octobre dernier à Clichy-sous-Bois, il y ait celle de l'incitation à s'inscrire sur les listes électorales.
. Favorisant une apparence interclassiste, il occulte les conflits de classes sociales qui, la société entière étant capitaliste, bouillonnent à l'intérieur même de ces supposées communautés supposées homogènes.
Supposées communautés (le mythe), car s'il existe bien de multiples cultures (surtout dans les villes portuaires comme Marseille, mais tout aussi bien ailleurs) et des langues diverses, celles-ci finissent toutes par se mélanger dans une vie sociale partagée. Marseille a ceci de particulier qu'au bout du compte – même si subsistent, au fur et à mesure des migrations, des ilôts unicolores – le métissage semble être la couleur dominante de la ville, et ce depuis pratiquement toujours.
Supposées homogènes (la mystification), car outre l'opposition des classes, il n'est, en France, aucune règle communautaire réelle, édictée et respectée, qui soit partagée par de très nombreuses personnes comme cela serait le cas s'il y avait réellement des communautés constituées, qu'elles le soient sous forme de clans, de regroupements religieux, ou d'associations culturelles ou autres. Et pour revenir à Dieu qui a pu faire son come-back, c'est bien parce que cela n'existe pas qu'il faut l'inventer
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Pour illustrer ce qui précède, voir encadré ci-joint.
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extraits de Gouverner Marseille de Michel Peraldi et Michel Samson, édité par La Découverte (2005) : [Les coupures et les notes sont des auteurs du livre.]
« Lors d'une conférence en juin 2005, Robert Vigouroux revient sur Marseille Espérance et confirme son idée : « Il s'agissait de créer un dialogue interreligieux sans qu'on parle de religion, que ce soit un dialogue d'action sociale dans la ville. »
Robert Vigouroux a eu cette idée dès avant son élection, comme en témoigne un de ses anciens colistiers, Francis Allouch. Salah Bariki nous raconte les débuts de la mise en œuvre du projet par un réseau universitaire et militant : « L'équipe de base, c'était Bruno Étienne
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Spécialiste reconnu de l'Islam et des mondes musulmans, Bruno Étienne ne se cache pas d'être lui-même franc-maçon et d'origine protestante. Parmi ses nombreux ouvrages, en peut lire : Islam, les questions qui fâchent, Bayard, Paris, 2003.
, professeur à Sciences Po Aix, Jocelyne Césari, sociologue, Michel Archer, sociologue, et moi. En même temps, Vigouroux avait demandé à quelqu'un comme Victor Abbou du côté juif, et à Charles Haddad, un peu la même chose. On lui a proposé de voir si, peut-être, à travers la religion... [...] Mais on savait pas où on allait. Vigouroux nous a suivis. Il n'était pas obligé du tout de le faire, mais il l'a fait, et ça a marché, puisque les chefs religieux sont venus. Alors, s'est posé le problème des musulmans : on ne savait pas qui inviter. On s'est dit : ils ne sont pas trente-six, il y a cinq ou six imams archi-connus. [...] On les invite et puis on verra bien. Donc, on en a invité cinq ou six. Alili a répondu par fax : « Moi, je suis membre du CORIF, je me fous du local » ; il n'est pas venu. Doudi est venu (il est sur la première photo de Marseille Espérance, il venait d'être rejeté par Alili, il venait de fonder les puces). Il y avait aussi Seck Boughouma, qui est sénégalais, le costaud, le seul Noir qui a yeux bleus. [...] On les a invités, ils étaient trois, Doudi ne parlait pas le français, il s'est emmerdé, il n'est pas revenu. Sont restés Dahmani et Seck Boughouma. Après on s'est dit : « Comment on fait pour les Jaunes, les Vietnamiens, les Asiatiques ? Est-ce que le bouddhisme est vraiment une religion ? » On a dit : « On va pas entrer dans les détails », et Jocelyne Césari a dit : « Moi, je connais quelqu'un qui est vachement bien, qui a une association d'entraide sur Aix-Marseille : Louis Tailhandier. Il n'y a qu'à l'appeler. » Donc on l'a appelé, il est venu, ça a très bien marché. Bon, on avait les Asiatiques. Et pour nous, Tailhandier, il était bouddhiste. Au bout d'un moment, il nous a dit : « Puisque c'est un truc religieux, je vais vous ramener le Grand Vénérable de la pagode de la Savine. » On ne savait pas trop ce que c'était un Grand Vénérable, donc il nous en a ramené un de la pagode de La Savine. On se retrouve avec un Grand Vénérable en jaune, ça faisait couleur locale. Et au bout de quelques réunions, le Vénérable dit : « Attendez, lui, Tailhandier, il est peut-être asiatique, mais il est pas bouddhiste, il est catholique, donc il faut le virer. Sauf si l'archevêque veut bien le désigner comme catholique, mais moi, je veux désigner mon propre délégué. » Frottement ! »
Mise malgré tout sur les rails, l'association n'a pas de statut officiel qui impliquerait une hiérarchie. Elle ne peut évidemment pas avoir de chef, même limité à un rôle administratif. Elle fonctionne donc sur la base d'une charte, dont la première phrase stipule : « Les représentants des différentes familles spirituelles et communautaires sont convaincus qu'il faut instaurer un dialogue et une meilleure compréhension entre tous les marseillais, chrétiens, juifs, musulmans et hommes de bonne volonté. » Et comme le dit explicitement le rabbin Ouaknin
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Robert-Paul Vigouroux et Jacques Ouaknin, Laïcité + religion. Mar- seille Espérance, Transbordeurs éditions, Marseille, 2004.
: « Marseille Espérance ne peut exister qu'à l'initiative et par la volonté du maire en exercice, mais aussi par l'adhésion des chefs spirituels en exercice dans les différentes communautés. »
L'affaire est lancée spectaculairement par une première photo du groupe, en janvier 1991. Jacques Ouaknin continue : « On était là pour la photo et, brusquement, le père Cyrille a eu une idée géniale : qu'on se tienne la main. On l'a fait, et la photo a eu un impact extraordinaire. »
* Spécialiste reconnu de l'Islam et des mondes musulmans, Bruno Étienne ne se cache pas d'être lui-même franc-maçon et d'origine protestante. Parmi ses nombreux ouvrages, en peut lire : Islam, les questions qui fâchent, Bayard, Paris, 2003.
** Robert-Paul Vigouroux et Jacques Ouaknin, Laïcité + religion. Marseille Espérance, Transbordeurs éditions, Marseille, 2004.
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Par contre, ce qui existe ce sont des comportements sociaux ; et même si cela paraît simpliste de l'écrire ainsi, ils sont souvent rapportés par la télévision. Bien sûr la télévision n'invente pas tout à fait. Elle se contente de souligner certains traits puis de les généraliser. C'est plus simple. Et ça va dans le sens du poil : il n'y aurait plus de lutte des classes mais un simple problème de gestion des différences culturelles. La pauvreté n'est plus alors le résultat d'une société d'exploitation mais un livre comptable aux données diverses et souvent problématiques. Le travail du grand administrateur qu'est l'État se trouve allégé si une partie de sa gestion repose sur la responsabilité de représentants de groupes sociaux. Ces représentants sont souvent auto-proclamés, faisant dans le même temps surgir l'existence de communautés souvent fictives. Ainsi, le contrôle de l'État s'étend jusqu'à une sorte d'auto-contrôle plus ou moins efficace.
Sauf que la « paix sociale » reste toujours menacée surtout quand les écoles (symbole de l'intégration aux « valeurs » républicaines) brûlent. Là on est dans la panade : des exploités (français qui plus est ! membres de la communauté des cités ?) montrent, à la télévision même, que le truc ne marche pas. L'image d'une école qui brûle se superpose à celle du prolétariat uni dans une même classe. Puis fondu au feu.
D'où émergent Adidas et Nike. Deux des grands seigneurs de la guerre des classes. Des visages aussi, monsieur et/ou madame de telle communauté ou de telle association. Le cirque peut reprendre. Et nous autres, pauvre purotin ou canaille selon les circonstances, arborant sur nos fringues le nom de nos vrais maîtres, continuons à trimer ou à crever la dalle. Individus isolés et, bien que l'ayant oublié, poursuivis par l'échec du socialisme, partons à la recherche d'une nouvelle identité sociale.
L'individu exploité isolé n'aurait plus qu'une alternative : l'affirmation de soi dans le social (non pas dans une classe sociale). Tout un chacun peut alors bénéficier d'une identité sociale idéalisée : appartenir au groupe social le meilleur du monde. L'individu fera valoir la spécificité culturelle (immuable et intouchable) et la discrimination (en réalité socio-politique) dont ce groupe fait l'objet. Mais c'est avant tout en tant que victime que cet individu s'affirmera au travers d'une communauté opprimée dans et par la République. Être à la fois le plus beau, et le plus réprimé. C'est le lien dynamique entre la discrimination et la victimisation qui nourrit le « communautarisme », même si les communautés n'existent pas.
La tolérance qui soi-disant prévaut dans les démocraties permettra à des morales favorables au capitalisme d'être équivalentes à d'autres (fussent-elles fondamentalement anti-capitalistes) et aux comportements sociaux les plus réactionnaires d'être justifiés. Qu'une homosexuelle puisse aisément considérer que si des femmes sont contraintes à porter un voile c'est bien ennuyeux pour elles mais que ça ne la concerne pas (ce qui est le miroir exact des propos du collectif féministes pour l'égalité), ou qu'un hétérosexuel puisse affirmer que les femmes ne devraient pas travailler et que c'est bien dommage de voir des enfants traîner dans les rues (parce que leur mère travaille) : il y a équivalence. C'est apparemment l'expression de la pensée d'une communauté ou d'une autre, mais ce sont deux expressions qui chacune valorisent la façon de parvenir au modèle micro-capitaliste (la famille). Elles sont concurrentes puisque chacune prétend être exemplaire. C'est le repli identitaire.
Bien sûr, tout cela peut mener des exploités, alors qu'ils subissent en permanence l'offensive des capitalistes, à s'entre-dévorer. Pendant ce temps, Dieu se refait une santé et la famille et son cortège d'horreurs se portent de mieux en mieux. Et le citoyen concret, tant prôné par les attacs et autres démocrates, peut continuer à trier ses ordures, ça ne mange pas de pain ! L'ennemi (le capitalisme) est planqué derrière tout un fatras de relais et d'intermédiaires visqueux.