Du 23 au 29 janvier 2006, dix organisations sociales et politiques vénézueliennes se sont fait entendre dans le cadre du Forum Social Alternatif (FSA), de manière totalement indépendante et autogérée, utilisant en cela l'expérience accumulée durant des années d'effort dans un contexte vénézuélien tout à fait particulier.
Le FSA était une réponse à l'institutionnalisation progressive du Forum Social Mondial (FSM). Il se voulait aussi et surtout l'amorce d'un espace autonome partagé par des mouvements sociaux variés et dont les revendications sont loin du manichéisme qui a dominé ces dernières années au Venezuela.
Le FSA s'est tenu en trois lieux de Caracas, l'Université Centrale du Venezuela, le Collège des Ingénieurs et l'Organisation Nelson Garrido. Il concernait trois types d'activités : des conférences-débats, des ateliers théoriques et pratiques et un festival de vidéo-activisme.
Les conférences virent des interventions diverses et internationales : Changer le monde sans prendre le pouvoir avec l'Irlandais John Holloway ; Quels changements entrevoir en Amérique Latine avec Daniel Barret (Uruguay) ; Mouvements sociaux et anti-capitalisme au XXIe siècle avec Ezequiel Adamovsky (Argentina) ; avec Frank Fernández (Cuba) ; avec Cristian Guerrero (USA) ; avec Javier Garate (Chile) et Andreas Speck (UK) ; avec Crítica Radical (Brésil) ; avec Ricardo García (Méxique) ; avec Rob Block (USA) ; avec Kristina Dunaeva (Russie). On assista aussi bien sûr à des interventions de militants vénézuéliens : Domingo Alberto Rangel, Fondamentalisme islamique et globalisation ; Humberto Decarli, Militarisme et changement social au Venezuela ; Francisco Prada, Invasion étrangère et protectionnisme ; Ricardo Benaím, Xénophobie et antisémitisme ; Lenin Ovalles, Cultures urbaines et Alfredo Vallota, Bases du socialisme du XXIe siècle. Maria Pilar García et le collectif Amigransa assurèrent la coordination d'une journée de conférences sur les luttes écologiques et les communautés indigènes au Venezuela et dans le monde ; la Croix Noire Anarchiste (CNA) du Venezuela organisa un forum sur la situation dans les prisons.
Activisme et pratiques
Les ateliers du FSA offrirent la possibilité d'échanges de pratiques et d'outils entre activistes de tous les horizons. Introduction au vidéo-activisme était animé par Sonya Angelica Diehn, co-fondatrice d'Indymedia Arizona et productrice de Pan Left Productions (USA). Elle y donna les notions basiques pour réaliser un projet audiovisuel indépendant. L’atelier Droits humains en temps de crise, proposé par Carlos Nieto, du collectif vénézuélien « Une fenêtre sur la liberté » en coordination avec la CNA-Venezuela, proposait des outils pour se défendre dans le cas d'atteinte aux droits humains. L'atelier Les bases du son, à la charge de Fabien, du groupe français Unlogistic, donna les grands principes du chemin du son, de l’enregistrement à sa restitution. Deux ateliers furent présentés par l'Internationale de Résistance à la Guerre (IRG), une des associations antimilitaristes internationales les plus anciennes : Action directe non violente fut l'occasion d'apprendre à construire une action de désobéissance civile ; et Objection de conscience et antimilitarisme avait pour objet de mieux faire connaître les enjeux et les formes de ces luttes.
Et durant toute la semaine le premier festival de documentaires indépendants et de vidéo-activisme fut l'occasion de découvrir une œuvre documentaire et militante en provenance de 8 pays différents, avec entre autres Notre pétrole et autres contes (Nuestro petróleo y otros cuentos), un film censuré par le gouvernement vénézuélien à propos de sa politique pétrolière.
Tisser un réseau, construire l'autonomie
Pendant cette semaine, l'Organisation Nelson Garrido a réellement été l'épicentre du FSA, où furent servis plus de 100 couverts chaque jour et où eut lieu une réunion de l'Action Mondiale des Peuples et la rencontre internationale anarchiste (18 pays et plus de 60 personnes présentes). De cette dernière est issue la « Déclaration Libertaire de Caracas ».
L'ONG proposait aussi un espace de distribution et d’échanges de matériel indépendant, permettant l’autofinancement du FSA. Ajouté aux fonds récoltés lors d'activités organisées à Caracas pendant les 4 mois précédents le FSA, cela a permis de couvrir les frais, qui se sont élevés à près de 3000 dollars. Un tiers a été utilisé pour l'impression d'Alterforo, un journal gratuit publié dans le cadre du FSA et tiré à 10 000 exemplaires.
Le FSA a aussi appuyé et participé à la manifestation convoquée le 27 janvier par diverses organisations indigènes et écologistes de l'état de Zulia (ouest du Venezuela) pour protester contre l'exploitation des mines de charbon, malgré quelques tentatives d'intimidation de la part de groupes chavistes. Ce ne fut d'ailleurs pas la seule intimidation du gouvernement contre le FSA puisque toute la semaine, la DISIP (la police politique) roda autour de l'ONG.
L'objectif de construire un espace dissident du gouvernement vénézuélien, de la gauche étatique locale, des partis politiques traditionnels ou du Capital fut largement atteint. Il permit la diffusion d'une multiplicité de visions et de propositions, sans logistique ou espaces cédés par l'armée, sans promotion ou gestion par la bureaucratie officielle. Le second objectif de reconstruire un tissu social à la base, de monter des réseaux, de développer des mouvements autonomes et offensifs aurait nécessité bien sûr largement plus d'une semaine pour être atteint. L'autonomisation de tous les mouvements sociaux (communautaires, de jeunesse, écologistes, féministes, indigènes, du travail, urbains, paysans, culturels, étudiants) est pourtant le défi à relever dans le futur, car aujourd'hui la réalité politique est polluée par les calendriers électoraux et par les stratégies issues des différents cercles du pouvoir.