La rage ne s'éteint pas, mais la vie si

« Quand j'entends que d'anciens terroristes non repentis font leurs courses sur les marchés, alors qu'ils étaient, disait-on, à l'article de la mort... cela m'est insupportable. »
Pascal Clément, ministre de la Justice (Nouvel Observateur n° 2148, 5 janvier 2006)

Après 17 ans d'incarcération, Joëlle Aubron est sortie de prison le 14 juin 2004 pour raison de santé. Malade d'une tumeur au cerveau et d'un cancer aux poumons, elle s'est éteinte à 46 ans le 1er mars dernier. Depuis un mois, elle demeurait dans une unité de soins palliatifs. Contrairement à Maurice Papon, sorti en 2002, elle n'a pas été libérée pour retourner à la vie sociale, mais pour mourir. Si comme Régis Schleicher, elle reconnaît que « l'hypothèse que nous défendions a failli » et remis en question la légitimité de l'assassinat, elle n'a jamais voulu demander pardon par respect pour les survivants

« Je ne peux pas, humainement et éthiquement, justifier la mort d'un être humain. Je ne veux pas, non plus, de la posture du repentir et du pardon. Je la trouve parfaitement indécente. Elle laisse en l'état la souffrance de ceux qui restent. Et vis-à-vis d'eux, je trouve que c'est un manque de respect. Je peux expliquer dans quel contexte ont eu lieu ces actes. [...] Je pense toujours, aujourd'hui, qu'à ce moment-là nous pouvions redresser la barre et ne pas arriver à la situation à laquelle nous sommes arrivés 20 ans plus tard. Aujourd'hui on peut me dire que vous avez échoué, j'ai envie de dire : oui, c'est facile de le dire 20 ans plus tard... » (Interview à écouter : http://www.liberation.fr/page.php?Article=363989)

Selon Alain Pojolat (collectif Ne laissons pas faire 1 http://nlpf.samizdat.net ) : « Jusqu'au bout, dans ses derniers moments de lucidité, Joëlle n'a cessé de rappeler le sort de ses camarades encore en prison ». Ses anciens compagnons d'Action Directe sont toujours incarcérés, malgré un état de santé plus qu'alarmant pour Nathalie Ménigon (partiellement hémiplégique à la suite d'accidents vasculaires cérébraux) et Georges Cipriani (plusieurs fois interné psychiatrique). Pourtant, depuis 2004, ils ont purgé leur peine incompressible de 17 ans et sont donc libérables, notamment en vertu de la loi Kouchner en faveur des prisonniers gravement malades. Une nouvelle pétition a été lancée en février dernier pour réclamer leur libération et des manifestations ont été organisées le 25 février devant les prisons où ils sont enfermés (Bapaume, Lannemezan et Ensisheim) 2 http://www.action-directe.net . Le 27 février, la cour d'appel de Pau a rejeté la libération conditionnelle de Jean-Marc Rouillan. .
Mais l'état s'acharne contre ces prisonniers dont ils refusent de reconnaître le caractère politique. On ne peut pas gracier des terroristes ? C'est pourtant le cas de ceux du SAC ou de l'OAS qui sont même indemnisés 3 Les terroristes de l'OAS ont bénéficié de la loi d'amnistie du 31 juillet 1968. L'article 13 de la loi du 23 février 2005 prévoit de les indemniser (2800 euros par an) comme les rapatriés d'Algérie. La nomination dans la commission chargée de cette indemnisation d'Athanase Georgopoulos, ex- membre de l'OAS, a été dénoncée par la LDH.  ! Le hic, c'est que les militants d'Action Directe se sont attaqués au système capitaliste et qu'ils refusent toujours de renier leur engagement. Le télescopage médiatique entre la dénonciation de l'acharnement à l'encontre des militants d'Action Directe et la réhabilitation de ceux de l'OAS est particulièrement éclairant sur le fonctionnement de la « Justice ».
La légitimité de la lutte armée révolutionnaire et du terrorisme n'est pas l'objet de ce texte 4 Voir les articles parus dans les numéros 196 (à propos de la lutte armée) et 198 (Entre violence et non-violence et Droit de réponse à propos de l'article entre violence et non-violence) du Combat syn- dicaliste. . Historiquement, l'anarchosyndicalisme est né en réaction à la vague d'attentats anarchistes de la fin du XIXe jugés stériles. Des membres d'AD ont émis des réserves sur la pertinence de leur stratégie, sans jamais la condamner. Même si on rejette ces méthodes, elles visent cependant à détruire un système qui assassine quotidiennement (SDF morts de froid, pathologies découlant de la misère, maladies professionnelles, suicides, famines, guerres…). On peut par contre s'étonner qu'au nom du respect de la vie invoqué pour condamner les militants d'Action Directe, on se permette d'écraser les individus en les enfermant dans des conditions inhumaines qui poussent des détenus à la folie ou à la mort. à l'image de l'ensemble du système judiciaire, la prison n'est qu'une effroyable machine à punir destinée à défendre une société injuste. Les exclus qui se rebiffent doivent être cassés. La répression policière et carcérale est ainsi un pilier fondamental du Capital. Broyés par la prison, toujours révoltés, les membres d'Action Directe continuent donc la lutte.

« J'ai purgé 22 ans, le ministre de l'Armement du Reich 20 ans... »
Régis Schleicher
Syndicat intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – avril/mai 2006 n° 204) Imprimer

1 - http://nlpf.samizdat.net
2 - http://www.action-directe.net . Le 27 février, la cour d'appel de Pau a rejeté la libération conditionnelle de Jean-Marc Rouillan.
3 - Les terroristes de l'OAS ont bénéficié de la loi d'amnistie du 31 juillet 1968. L'article 13 de la loi du 23 février 2005 prévoit de les indemniser (2800 euros par an) comme les rapatriés d'Algérie. La nomination dans la commission chargée de cette indemnisation d'Athanase Georgopoulos, ex-membre de l'OAS, a été dénoncée par la LDH.
4 - Voir les articles parus dans les numéros 196 (à propos de la lutte armée) et 198 (Entre violence et non-violence et Droit de réponse à propos de l'article entre violence et non-violence) du Combat syndicaliste.