La véritable utilité du CNE et du CPE

Ce n'est, semble-t-il, pas pour créer des emplois et remédier au chômage. Deux économistes de la Sorbonne, Carcillo et Cahuc, pourtant favorables à l'instauration d'un nouveau contrat de travail unique, émettent de sérieuses réserves quant à son utilité et estiment que le CNE ne devrait créer que 70 000 emplois en 10 ans 1 « Emploi : le CNE ne créerait que 70 000 emplois de plus », Le Monde, 25/02/06. « CNE et CPE ne vont quasiment pas créer d'em- plois », L’Humanité, 28/02/06. . Ils concluent que son impact concerne surtout le droit du travail en facilitant les licenciements. Ce contrat, plus favorable aux employeurs, va essentiellement se substituer aux autres contrats d'embauche. Par ailleurs, leur rapport souligne qu'« il est possible que l'introduction du CNE se traduise à terme par un accroissement, et non une diminution, du chômage » dans la mesure où un patron peut virer beaucoup plus facilement un salarié. En outre, ce licenciement ne lui coûtera que 8 % de la rémunération versée contre 10 % pour la prime de précarité (CDD, intérim).
En clair, CNE et CPE servent tout simplement à écraser un peu plus les salariés en aggravant la précarité sans véritablement résoudre le problème du chômage. Selon ces économistes, la généralisation du CNE à toutes les entreprises créerait 100 000 emplois d'ici fin 2008. Mais ils reconnaissent que ce système conduira à multiplier les embauches et les licenciements : l'employeur fera tourner successivement plusieurs salariés recrutés en CNE sur un même poste. Dans le cadre du CPE, le patron peut aussi réemployer la même personne en laissant simplement passer un « délai de carence » de 3 mois.
La remontée du chômage (+ 0,7 % en janvier dernier) au moment où le CNE devrait faire sentir ses prétendus effets positifs contredit les justifications apportées par le gouvernement à cette casse du Code du travail. Il faut dire que les baisses des mois précédents devaient beaucoup aux départs en retraite des salariés ayant commencé à travailler à 14 ans, aux radiations des listes de l'ANPE et aux contrats aidés. Et quels emplois ! Un contrat aidé gagne 574 euros par mois, moins que le seuil de pauvreté (645 euros mensuels). Enfin, les réductions de périodes d'indemnisation des chômeurs permettent de faire baisser les statistiques du chômage… en augmentant le nombre d'allocataires du RMI (1 200 000 personnes) 2 « La réforme du chômage entraî- ne une augmentation du nombre de Rmistes », Le Monde, 13/09 /05. .
Pas facile de justifier l'instauration du CPE qui reprend les dispositions du CNE si l'efficacité de ce dernier est remise en cause. En revanche, les effets pervers attendus sont confirmés : les premiers salariés embauchés en CNE et jetés sans raison valable tentent d'obtenir réparation 3 « CNE : première scène de rupture aux prud'hommes » et « Viré pour avoir demandé son salaire », Libération, 23/02/06. « Les premiers dossiers de salariés embauchés en CNE arrivent aux prud'hommes », Le Monde, 14/02/06. Nombreux témoignages sur http://www. legrandsoir.info/article.php3?id_arti cle=3136 . Dans la mesure où l'employeur n'est pas tenu de justifier la rupture du contrat, il n'est pas aisé de démontrer que celle-ci est abusive. Les affaires portées en justice ne représentent qu'une petite partie des licenciements infondés et masquent l'ampleur des pressions exercées sur les salariés recrutés en CNE. La précarisation constitue une formidable épée de Damoclès permettant d'exploiter encore plus ses employés 4 « Le CNE dissuade les salariés de revendiquer », L’Humanité, 7/02 /06. .
Pour enfoncer le clou, un rapport de Proglio, patron de Véolia et proche de Chirac, démonte le CPE en préconisant l'embauche des jeunes en CDI 5 « Quand un patron de droite vante le CDI », Libération, 21/02/06. . Le gouvernement l'a planqué jusqu'à l'adoption du CPE à coup de 49-3. Autre magouille politicienne : de Villepin a travesti les estimations du chômage des jeunes pour assombrir le tableau. Quand il affirme qu'il faut « huit ans pour un CDI », il oublie de préciser que c'est, selon Eurostat, le délai nécessaire pour que 90 % d'une classe d'âge en décroche un. En réalité, après 3 ans de vie active, les deux tiers des jeunes sortis du système éducatif obtiennent un CDI 6 « Chômage des jeunes : les vrais chiffres », Le Nouvel Observa- teur, 9-15/02/06. . La justification du CPE ne tient plus, d'autant plus qu'un CDI est loin d'être un emploi idéal et durable.
La ficelle est trop grosse et l'opinion boude le CPE. Selon un sondage CSA/L'Humanité (publié le 2 mars), 66 % des personnes interrogées pensent qu'il risque d'accroître la précarité et 67 % refusent son extension à tous les salariés. Mais qu'importe l'avis des gens face aux intérêts des actionnaires et des patrons ?
Il est déterminant de s'appuyer sur ce refus des évolutions que le capitalisme tente de nous imposer, pour démontrer la perversité de ce système. Pour combattre la précarisation des travailleurs, il est indispensable d'œuvrer pour leur émancipation du joug du salariat. La question fondamentale n'est pas d'opposer le mauvais CPE et le bon CDI, mais de prendre conscience que tant que les travailleurs resteront sous la dépendance d'un employeur, leur condition sera toujours fragile et soumise à des régressions. à quoi bon comparer les indemnités de licenciement ou les droits à l'allocation chômage accordés selon les types de contrat ? On doit surtout s'opposer à ce que l'avenir de travailleurs ne tienne qu'à un fil et à l'accaparement des richesses par une minorité qui ne laisse que des miettes à ceux qui les produisent. Le CDI n'empêche ni le chômage, ni la pauvreté et sûrement pas l'exploitation. Ce n'est qu'un moindre mal imposé à force de pressions et de mensonges, exactement ce que le gouvernement tente pour le CPE.
Si l'objectif immédiat est de lutter contre le CPE, le but à atteindre est l'abolition d'un système qui écrase les travailleurs au profit des possédants. Rien ne laisse présager que la mobilisation anti-CPE puisse déboucher sur une révolution sociale, mais qui ne tente rien n'obtient rien. Plutôt que de refuser de reculer, essayons au moins, pour une fois, de faire un pas en avant. Espérons que le projet CPE capote et qu'il serve finalement à affaiblir le capitalisme.

Syndicat intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – avril/mai 2006 n° 204) Imprimer

1 - « Emploi : le CNE ne créerait que 70 000 emplois de plus », Le Monde, 25/02/06. « CNE et CPE ne vont quasiment pas créer d'emplois », L’Humanité, 28/02/06.
2 - « La réforme du chômage entraîne une augmentation du nombre de Rmistes », Le Monde, 13/09/05.
3 - « CNE : première scène de rupture aux prud'hommes » et « Viré pour avoir demandé son salaire », Libération, 23/02/06. « Les premiers dossiers de salariés embauchés en CNE arrivent aux prud'hommes », Le Monde, 14/02/06. Nombreux témoignages sur http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=3136 .
4 - « Le CNE dissuade les salariés de revendiquer », L’Humanité, 7/02/06.
5 - « Quand un patron de droite vante le CDI », Libération, 21/02/06.
6 - « Chômage des jeunes : les vrais chiffres », Le Nouvel Observateur, 9-15/02/06.