« Achevons le travail » : un mot d'ordre à double sens ?
Quel bilan tirer au terme de la mobilisation contre le CPE ? Comme au lendemain de tout mouvement social, satisfaction et frustration se mêlent.
Victoire ?
Après deux mois de manifestations contre le CPE, le gouvernement décide le 10 avril de remplacer l'article 8 de la loi sur l'égalité des chances qui instaure ce contrat. Le nouveau dispositif (loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise) est voté, les 12 et 13 avril, puis promulgué le 21 avril. Une rapidité qui traduit la volonté du gouvernement de sortir de la crise pour limiter les dégâts.
Si l'opposition et les directions syndicales ont aussitôt crié victoire, le sentiment des jeunes et de la base est beaucoup plus partagé. Un goût amer qui résulte notamment de la frustration de voir survivre le CNE et les autres dispositions de la loi sur l'égalité des chances (apprentissage à 14 ans et travail de nuit à 15, contrat de responsabilité parentale avec possibilité de suspension des allocations familiales...). Certaines facs ont poursuivi un temps le blocus après le vote de la loi remplaçant le CPE (Toulouse, Le Havre, Lille…). Partout, même là où les cours ont repris, des groupes de jeunes réfléchissent aux stratégies pour prolonger la lutte jusqu'à l'obtention de nouvelles satisfactions, en particulier l'abrogation du CNE.
En bref, après la mort du CPE, le combat est loin d'être terminé. à l'occasion de cette lutte, certains jeunes ont pris conscience des méfaits du capitalisme salarial (une « tendance ni CPE, ni CDI » sans doute minoritaire, mais pas marginale) et de la démocratie représentative (des élus nous imposent des mesures décriées par la population, comme en témoigne aussi le problème des OGM. Un parallèle qu'un étudiant de Châteauroux s'est acharné à expliquer lors d'AG).
Ni triomphalisme hypocrite, ni défaitisme démoralisant, on peut plutôt parler d'un goût d'inachevé qui invite à de nouvelles mobilisations
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« On a gagné une bataille, pas la guerre », L’écho-La Marseillaise, 12 avril 2006.
de la part des jeunes qui ont créé et animé ce mouvement.
Mobilisation générale...
à défaut de grève générale
On ne peut que se ravir de l'ampleur de la fronde anti-CPE qui a rassemblé plus de 2 millions de personnes lors des journées nationales et a tenu plus de 2 mois. Un mouvement qui a dépassé celui du printemps 2003 et a réussi à faire reculer le pouvoir politique.
Cette lutte est d'autant plus remarquable qu'elle était imprévue et spontanée. Selon une note de l'association EßP, regroupant DRH et directeurs de grandes entreprises, aucune explosion sociale ne devait survenir en 2006. Leur étude comptait sur la résignation et l'utilisation de scrutins (référendum du 29 mai et échéances de 2007) pour déminer le mécontentement grandissant
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« Pas de risque d'explosion so- ciale avant le grand rendez-vous électoral de 2007 », La Tribune, 28 septembre 2005.
. Il est encourageant de voir que la jeunesse ne s'est pas conformée à ce schéma, préférant la lutte sociale au scrutin électoral.
Dans la forme, on peut aussi apprécier les efforts d'organisation du mouvement par le recours à des Assemblées Générales et la volonté de ne pas se laisser manipuler par des organisations (UNEF, MJS…). Dans les villes, comme Châteauroux, ne possédant pas de grand pôle universitaire, le problème crucial consistait à coordonner les lycéens (le gros des troupes) et les étudiants mobilisés (minoritaires dans leur fac).
Les salariés et les syndicats n'ont finalement fait que soutenir tant bien que mal ce mouvement à travers 5 journées d'action. Face à une opinion publique favorable à la lutte anti-CPE et à la motivation des jeunes, aucune centrale ne pouvait prendre le risque de lâcher le morceau. C'est l'action de la jeunesse qui explique pourquoi si le CNE est passé, le CPE a échoué.
Loi du 21 avril 2006 sur l’accès des jeunes à la vie active en entreprise
Elle remplace le CPE (article 8 de la loi sur l’égalité des chances) en instaurant une aide de 2 ans aux employeurs qui embaucheront un jeune de 16 à 25 ans, peu qualifié ou résidant dans une zone urbaine sensible ou encore signataire d’un contrat d’insertion dans la vie sociale (Civis).
Le montant de l’aide sera fixé ultérieurement par décret, mais les parlementaires envisagent que celle-ci soit de 400 euros par mois la première année et 200 euros la deuxième. Ce projet devrait coûter 150 millions d’euros en 2006 qui iront dans la poche du patronat. Une somme qui s’ajoutera aux milliards déjà accordés aux entreprises (24,5 milliards d’euros en 2004).
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Quelles perspectives pour l'avenir ?
à court terme, il est important de maintenir la pression pour lutter contre l’action répressive de l’état. Il ne faut pas se borner à défendre ceux arrêtés injustement en laissant punir les « casseurs ». Face à la surdité du Pouvoir qui a refusé de tenir compte de l’ampleur des manifestations, il était légitime de recourir à des actions plus radicales. Le mot d’ordre doit être « amnistie générale ». Des dizaines de personnes ont écopé de prison ferme au terme d’une procédure en comparution immédiate bâclée. La logique est implacable : la parole d’un agent assermenté vaut toujours plus que celle d’une autre personne, pas besoin de preuve
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« Les dossiers vides de la répression » et « Plaintes contre la police à Toulouse », Libération, 15 avril 2006. Voir aussi le dossier de l’Humanité du 7 avril 2006
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Autre objectif immédiat, prolonger la lutte en s’attaquant au CNE, grand frère du CPE qui en reprend les principales caractéristiques : période d’essai de 2 ans et licenciement sans justification. La loi sur l’égalité des chances est également dans le collimateur, particulièrement l’apprentissage à 14 ans et les sanctions financières contre les parents de délinquants. Le problème est de relancer la mobilisation avec les échéances des examens puis des vacances scolaires.
On ne doit pas non plus faire l’impasse sur une remise en cause de la loi sur l’accès des jeunes à la vie active qui remplace le CPE et se traduit simplement par de nouveaux cadeaux faits aux patrons (voir encadré).
Surtout, il faut dès maintenant étayer la réflexion sur la condition des salariés. Dans une société fondée sur l’accumulation des profits des entreprises, les travailleurs ne sont qu’une variable d’ajustement. Licenciements et délocalisations montrent que tout salarié est un précaire. Non seulement il faut convaincre des méfaits du salariat (CDI ou CNE), mais proposer une alternative en mettant en valeur les expériences autogestionnaires passées et présentes.
Enfin, lycéens et étudiants devraient envisager les modalités d’une nouvelle mobilisation pour empêcher les expulsions de leurs camarades qui vont avoir lieu à partir du 30 juin prochain.
En conclusion, on peut parler de réussite relative du mouvement anti-CPE car construire une mobilisation est déjà un succès et obtenir le recul de l’état n’est pas aisé. Ce résultat doit surtout à la pugnacité des jeunes et à une convergence de lutte entre la jeunesse et les salariés. Tout doit être mis en œuvre pour transformer cet essai en poursuivant une lutte solidaire contre le capitalisme et l’exploitation des travailleurs. Chômeurs et intermittents du spectacle ont par exemple besoin d’un soutien immédiat de la part des étudiants et des salariés.
Accentuons les luttes sans compter sur les élections, l’expérience montrant que cela est illusoire.
Il ne tient qu’à nous que la victoire soit la plus complète possible.
Seule la lutte paie !
Nous n’aurons que ce que nous prendrons !