Par la circulaire du 13 juin 2006, Sarkozy invitait les familles sans papiers ayant des enfants scolarisés en France à déposer dans les deux mois un dossier de régularisation dans leur préfecture. L’été a été rythmé par les déclarations, les actions et les témoignages sur ce sujet et la procédure lancée par le Ministère de l’Intérieur. Au terme de cette affaire, le bilan est ambigu.
Après avoir récupéré le thème de la sécurité lors de la campagne de 2002, la Droite, et Sarkozy en particulier, continue à braconner sur les terres du FN en lui empruntant cette fois-ci son autre cheval de bataille : l’immigration. Avec une telle stratégie, pas question de passer pour un laxiste en la matière. Bien que préconisant une attitude « ferme et humaine », Superflic a surtout fait preuve de fermeté. L’humanisme et la compréhension n’ont été que des formules creuses destinées à amadouer l’opinion forcément sensible au sort d’enfants. à l’annonce du nombre de dossiers déposés (30 000), le ministre n’a pas voulu revenir sur ses estimations de 6 000 régularisations au maximum. Une manière insidieuse de fixer des quotas pour les préfets.
Résultat des courses : une effroyable cacophonie et une véritable loterie. Avec un dossier identique, deux familles différentes ont pu être aussi bien régularisée que déboutée
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« Sans papiers : les inégalités de traitement dénoncées », Libéra- tion, 18 juillet 2006. Un exemple a été donné à travers un témoigna- ge dans le « 7 h / 9 h 30 » de France Inter, le 4 septembre.
. Certains préfets ont été contraints de rejeter des cas pourtant légitimes pour ne pas faire mentir leur chef et ne pas saper les chances de Sarko de voir les voix du FN se rabattre sur lui. Des associations ont dénoncé ces inégalités de traitement entre les départements et à l’intérieur de ceux-ci. Par exemple dans le Loiret, le Collectif Aïssata qui soutient la famille Sylla se réjouit de la régularisation de cette dernière, mais condamne l’avis d’expulsion lancée à l’encontre de la famille d’Astrid-Mira qui possède pourtant un dossier identique
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http://aissata.hautetfort.com
. Dans certains départements, des familles n’ont même pas pu déposer un dossier car la préfecture a limité la procédure à celles faisant déjà l’objet d’un avis de reconduite à la frontière, ce qui n’était pas le cas ailleurs
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« Situation cacophonique dans les préfectures », L’Humanité, 1er juillet 2006.
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En conséquence, l’administration a joué avec l’interprétation de la circulaire pour refuser certaines demandes de régularisation au gré du gonflement des sollicitations. Le Ministère de l’Intérieur s’est ainsi trouvé fort embarrassé quand Libération a fait état d’une nouvelle circulaire dans laquelle figurait un critère supplémentaire : les ressortissants des pays catalogués « sûrs » ne pouvant être régularisés. Le Ministère a précisé que c’était une note de la préfecture de police de Paris et non de ses services
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« Le texte qui embarrasse Beauveau », Libération, 14 juillet 2006.
. En fin de compte, cette procédure s’est avérée être un gros piège pour de nombreuses familles qui ont cru en l’espoir d’une vie normale. On aboutit alors à des situations délirantes, par exemple en Touraine, la demande d’une jeune mère de famille congolaise a été rejetée alors qu’elle possède déjà une carte provisoire pour raison de santé. Le cas d’une famille dont 2 enfants sont scolarisés au collège Michelet de Tours n’a pas été accepté, bien qu’elle remplisse toutes les conditions de la circulaire. Le motif invoqué est tout simplement qu’il faut attendre la réponse à un recours déposé. Si une réponse négative en découle, on leur expliquera qu’il est maintenant trop tard pour bénéficier d’une procédure de régularisation au titre de la circulaire du 13 juin
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« Enfants sans papiers : une rentrée dans l’expectative », La Nouvelle République (37), 2-3 septembre 2006.
! Rappelons aussi que dans l’Indre des Roumains ont été expulsés alors qu’ils attendaient toujours une réponse à un recours auprès des services de l’OFPRA. C’est une procédure d’expulsion exceptionnelle qui révèle l’ambiance folle et désastreuse dans laquelle ont été gérées ces régularisations.
Avec 13 dossiers acceptés, dont celui de la famille de Fatiha, sur 19 et une seule famille reconduite à la frontière, notre département s’en sort plutôt bien. Ce n’est pas le cas partout et le bilan global sera forcément mitigé. Certains seront sans doute plus marqués par les expulsions et les échecs que par les issues heureuses. Dans le Cher, 11 refus ont déjà été enregistrés sur 21 demandes. à Tours, suite à une dizaine d’arrestations survenues entre le 28 et le 30 août, le Collectif de soutien aux sans-papiers (CSDASP) a organisé une manifestation le 2 septembre pour protester contre les expulsions et les « rafles» prévues. Une autre manifestation, le 9 septembre, a pour but de pousser le préfet a communiquer le nombre de régularisations et d’expulsions dans ce département
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« Manifestation symbolique contre les rafles », La Nouvelle Républi- que, 4 septembre 2006.
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Il reste donc de nombreux cas en suspens et des familles risqueront toujours l’expulsion ; le problème n’est pas réglé et la mobilisation doit se poursuivre, au niveau local comme au niveau national. N’oublions pas les 44 sans-papiers de Limoges qui ont mené une grève de la faim du 7 août au 7 septembre pour obtenir un titre de séjour
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http://mdh.limoges.free.fr/support/sanspap/index.htm.
. Pensons également aux expulsés du squat de Cachan parmi lesquels des familles en situation régulière ont refusé d’être relogées séparément pour ne pas que celles sans papiers puissent être expulsées discrètement. Compte tenu de la stratégie politicienne de Sarkozy et de l’attitude bien souvent ambiguë des élus de Gauche, tous les immigrés ont finalement du souci à se faire car ils seront toujours érigés en boucs émissaires. Les familles en situation irrégulière seront simplement les plus visées. Pendant qu’on les montre du doigt, les Français ne voient pas que l’origine de leurs problèmes est ailleurs. Du côté des militants, la montée en puissance de RESF ne doit pas engendrer une ségrégation et une division de la lutte des sans-papiers entre les familles ayant des enfants scolarisés et les autres. Concrètement, les relations tissées localement pour venir en aide aux élèves menacés d’expulsion doivent aussi être utilisées pour soutenir tous ceux qui seraient menacés d’une reconduite à la frontière.
écoles, squats, familles, célibataires, élèves, grévistes de la faim… même état, même combat !
Analyse d’un fonctionnement en réseau
Dans la mesure où des syndicats de la CNT-AIT souhaitent privilégier le fonctionnement en réseau et que les collectifs de lutte contre les expulsions doivent perdurer, il peut être utile de repérer dans la pratique les difficultés que pose ce mode d’organisation. Les actions menées pour empêcher l’expulsion d’élèves et de leur famille s’inscrivent dans une démarche de réseau, notamment au niveau départemental (un Réseau éducation Sans Frontières 36 s’est mis en place à partir de mars 2006). C’est un cas particulier, puisque ce type de réseau réunit des organisations, donc des militants, qui ne partagent pas la même culture de lutte. Les objectifs et les moyens d’action des uns ne s’accommodant pas avec ceux des autres, le bon fonctionnement du collectif est bien plus délicat que lorsque le réseau est relativement homogène. Ce type d’organisation constitue a priori un fonctionnement horizontal et quelque peu informel, donc souple. Des réunions entre les diverses composantes permettent de faire le point et de prendre certaines décisions.
Cependant, les questions d’accaparement du pouvoir ou d’inégalité entre les membres ne sont pas complètement évacuées pour autant. Bien souvent, urgence oblige, les absents n’ont pas le temps ou la possibilité d’émettre des remarques sur les résolutions adoptées. Mais surtout, chaque élément autonome peut prendre des initiatives sans que des mécanismes de contrôle soient utilisés. Les autres ne pouvant réagir que devant le fait accompli, si on a bien voulu les informer (cacher un élève, envoyer des courriers, organiser un rassemblement…). On s’est ainsi retrouvés avec plusieurs personnes ayant entrepris la même action (solliciter des parrains pour des élèves), ce qui entraîne des cafouillages (sans grande conséquence tout de même). Le degré d’implication ou de disponibilité des gens engendre aussi des inégalités : les plus présents imposent de fait leurs idées et finissent par monopoliser les actions. Ceux qui loupent une étape se retrouvent rapidement déconnectés, surtout dans des cas où la discrétion incite à minimiser les communications. En conséquence, une meilleure maîtrise des informations par certains les pose en interlocuteurs « incontournables » vis-à-vis de l’extérieur et notamment des médias. L’accaparement de la parole suit celui de l’action.
Globalement, on va retomber sur les mêmes risques que dans une autre structure. C’est moins dans la nature que dans les modalités de fonctionnement d’un collectif que se crée une véritable gestion directe et démocratique. Un réseau nécessite aussi une mentalité adéquate, principalement le souci, et la possibilité, de communiquer avec les autres membres (échange d’idées, compte rendu d’action, etc) et le respect des décisions collectives (au risque de faire échouer la lutte ou de faire imploser le collectif). Il ne faut pas seulement veiller à ce que tout le monde soit sur un plan d’égalité au départ (structure horizontale), mais aussi tout au long du fonctionnement du réseau (empêcher ou contre-balancer le rôle supérieur de certains éléments). Pour cela, il est inévitable de définir clairement les objectifs fondamentaux du groupe et le champ des initiatives possibles. On doit pouvoir concilier les libertés de chacun ou trouver un juste milieu entre un amas de règles paralysantes et la porte ouverte à n’importe quoi. L’absence a priori de hiérarchie reconnue (autrement dit de représentants) ne doit pas masquer le risque de voir certains éléments prendre ensuite l’ascendant. Le réseau peut être une forme efficace à condition de respecter certaines précautions et d’avoir conscience que ce n’est pas la panacée. Il faut essentiellement prévoir tout ce qui pourrait remettre en cause une égalité initiale dans une structure horizontale. Par bien des aspects le fonctionnement fédéral et celui d’un réseau se ressemblent : communication interne (parfois lourde), définition des rôles de chacun (toujours délicate quand on souhaite refuser toute autorité supérieure), exercice réel d’un contrôle par la base de tout ce qui est entrepris au nom du collectif. Les deux fonctionnements ne sont pas éloignés ni incompatibles, c’est plus dans la combinaison et l’enrichissement de l’un par l’autre (corriger les travers de l’un par les avantages de l’autre quand cela est possible) que l’on trouvera la plus grande efficacité.
Dans ces deux systèmes, il est capital que tous les membres partagent les mêmes objectifs (finalités, principes de base, modalités d’action). Ceci favorise la seconde condition indispensable au bon fonctionnement d’un groupe qui est d’entretenir de bonnes relations, notamment pour assurer l’égalité de tous devant l’information. Sans solidarité, un réseau ou une fédération sont voués à l’échec.
Des politiques d’immigration incohérentes et criminelles
Treize clandestins sont retrouvés morts sur les côtes italiennes le 29 juillet dernier, puis ce sont sept Africains qui arrivent les pieds devant sur l’île sicilienne de Lampedusa. Face à ces drames, le gouvernement italien appelle ses collègues européens à l’aide pour… refouler tous ces miséreux. L’Espagne fait de même en réclamant à l’Union Européenne plus de moyens pour lutter contre l’immigration clandestine.
La France n’est finalement pas en reste avec sa politique sarkozyste mêlant immigration choisie et expulsion massive. Une sévérité que l’état justifie en prétextant qu’il faut venir au secours de ces pays pour éviter que leur population ne s’expatrie, autrement dit : nous « envahisse ». Le hic, c’est que notre pays est loin de briller par sa politique d’aide au développement. Selon le classement de l’ONG Center for Global Development publié le 14 août, la France occupe la 18e place parmi 21 pays riches (15
e en 2005). L’« indice d’engagement pour le développement » de cette association tient compte des sommes versées, mais aussi des ventes d’armes, des aides aux régimes corrompus, des obstacles aux importations en provenance de ces pays ou encore du rôle joué dans la dégradation des écosystèmes des états en difficultés.