Encore un ouvrage à inscrire dans la lignée De la servitude volontaire (La Boétie) et du Scum manifesto (Valérie Solanas). Des mots pour la révolte, des phrases pour la vie. Un cri. Le premier date du XVIe siècle, le second du XXe et celui-ci a été achevé d’imprimer en 2004.
Ce livre prend place dans le contexte d’une réalité économique qui est celle de nombreuses femmes orientales « très souvent chômeuses ou employées dans des travaux subalternes, [elles] doivent, pour toucher le SMIC, se débattre sur un marché du travail de plus en plus difficile où la discrimination règne [...] Exclues de leur communauté musulmane quand elles se sont battues pour leur émancipation (cette émancipation qui leur vaut tout au plus le Rmi), exclues du marché de l’emploi, elles ont payé cher leur indépendance. »
Publié par Gallimard, il n’appelle pas à la révolution, bien sûr. Chahdortt Djavann, l’auteur, fait confiance à la République, à la démocratie et aux femmes et aux hommes de bonne volonté pour que cesse le sexisme.
Hormis cet espoir illusoire, tout son ouvrage est un réquisitoire à fleur de peau. Non seulement contre les théocraties islamiques, mais aussi contre les intellectuels français (Cesseront-ils jamais de paver de bonnes intentions l’enfer des autres, prêts à tout pour avoir leur nom en bas d’un article de journal ?) ; contre les familles en France qui voilent les fillettes (Qu’est-ce que cela signifie, voiler les filles ? Cela signifie en faire des objets sexuels : des objets, puisque le voile leur est imposé et que sa matérialité fait désormais partie de leur être, de leur apparence, de leur être social ; et des objets sexuels : [...] parce que le port du voile met l’enfant ou la jeune adolescente sur le marché du sexe et du mariage, la définit essentiellement par et pour le regard des hommes, par et pour le sexe et le mariage) ; contre des intellectuels musulmans partisans du voile mais qui ne l’imposent ni à leur femme ni à leur(s) fille(s) (Et leur mère ? Ne portait-elle pas le voile ? [...] C’est pourquoi les femmes voilées attirent d’avantage le regard des hommes musulmans) ; contre les trois religions monothéistes ([Leur] légitimité procède du fait que cette légitimité est divine, donc absolue et hors de toute discussion. Et comme Dieu, Allah et Yahvé se font rares, les croyants doivent obéir à leurs représentants sur terre) ; contre « quelques voilées nouveau style » (Le voile est ma culture. Le voile est ma liberté. Vieille rengaine qui date des années de la décolonisation [...] Que nous chantent-elles, les égéries de Mahomet « libérées » par le voile ? De quoi sont-elles libérées au juste ? Elles affirment leur « identité », disent-elles. Quelle identité ? Quelques midinettes parlent comme si elles avaient eu le génie d’inventer le voile ou d’en identifier les vertus).
Et encore, mais tout citer ici reviendrait à désincarner cette écriture.
Car si le ton est parfois polémiste, c’est avant tout un texte fait de douleur et de colère. Un texte fait de chair et de sang. Comment pourrait-il en être autrement après tout puisque le voile (euphémisme pour désigner le corps féminin caché, donc interdit et de ce fait convoité) contient tout ce qui est sexuel. Puisque le voile ne peut être que l’expression de l’aliénation des femmes. Puisque le voile rappelle qu’il est honteux d’être née fille. Pas uniquement à l’école, mais partout.
Tandis que la femme-objet est toujours aussi présente sur les affiches publicitaires, et que de plus en plus de vidéos pornographiques où les femmes sont asservies aux hommes circulent, Chahdortt Djavann dénonce une nouvelle image de cette femme soumise au fantasme masculin : « Être voilée [en France ou dans d’autres pays démocratiques], s’afficher voilée, c’est être constamment et avant tout la femme objet sexuel [...] La femme devient un objet qui par son existence même sollicite les fantasmes permanents des hommes. »