Mexique

Le 14 juin 2006, alors que près de 12 000 des 40 000 instituteurs de l’état d’Oaxaca en grève depuis le 22 mai occupent pacifiquement la place centrale de la capitale de l’état, la police charge brutalement (92 blessés). C’est spontanément que des centaines de milliers d’habitants de l’état s’insurgent en portant aide aux instituteurs. Ils occupent et barricadent les rues de la capitale (Oaxaca) et une trentaine de mairies. La police est défaite. Aux revendications salariales des enseignants (hausse des salaires et embauches) s’ajoute celle des insurgés : la démission du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz.

L’Assemblée Populaire u Peuple d’Oaxaca
Les insurgés se dotent dès le 23 juin d’une structure politique : l’Assemblée Populaire du Peuple d’Oaxaca (APPO). Elle est constituée par des délégués de quartiers, des représentants des communes de l’état, des représentants de près de 400 organisations (communautés indigènes, syndicats et associations civiles), des individus, des artistes, des libertaires, des membres de partis politiques, etc. L’APPO désigne une commission pour les négociations. Celle-ci traite directement avec l’État fédéral (sis à Mexico DF). Elle rend compte à l’Assemblée qui, elle seule, prend les décisions. Le vote est à la majorité. Le consensus est recherché. Il est souvent majoritaire. Les assemblées sont ouvertes à tous.

Le mouvement
L’APPO lance, avec succès, une campagne de désobéissance civile. Les points stratégiques de la ville et les établissements publics sont barricadés, ainsi que des lieux symboliques comme des hôtels de luxe et le palais gouvernemental qui est vide. Les insurgés contrôlent toute la ville. Radio Universidad informe régulièrement les habitants. Le mouvement se durcit encore lors des élections fédérales du 2 juillet.
Il s’affirme de plus en plus indépendant des pouvoirs de l’État. Il devient un « gouvernement » alternatif réel. C’est un mouvement plus avancé encore dans son organisation sociale et dans ses initiatives que celle du Chiapas en 1994. De nombreuses commissions comme celles de l’hygiène, de la santé, de la cuisine et de l’approvisionnement, de la surveillance et de la sécurité, sont les gestionnaires de la ville. Elles dépendent toutes de l’APPO. De nombreuses radios et des journaux sont mis à la disposition des Oaxacaiens.
La solidarité entre toutes les communes de l’état (argent, nourriture, etc.) montre à quel point le mouvement est général. La vie à Oaxaca continue (sans les touristes).
Les médias (mexicains et autres) oubliant ou calomniant le mouvement, pour éviter l’isolement, les insurgés organisent une rencontre internationale. Suit une marche sur Mexico DF (capitale fédérale).

La répression
Le 22 juillet, la station de radio Universidad est attaquée par des paramilitaires. Le 1er août encore, des paramilitaires attaquent un studio de télévision occupé par des femmes ; le 9, trois membres de l’APPO « disparaissent », un enfant et un employé municipal sont tués.
Puis, tout au long des semaines suivantes, se succèdent les disparitions, les emprisonnements, les tortures et les meurtres. La pratique argentine des escadrons de la mort est en action (depuis les disparitions jusqu’aux tirs de « civils » depuis des camionnettes en marche).
Le 21 août, l’état de siège est décrété. Le 26 octobre, 31 000 instituteurs votent pour la reprise du travail (20 200 contre). Le 27 octobre, les militaires sont prêts à intervenir. La ville est encerclée. Le 29, la police militarisée entre dans la ville et reprend la place centrale. On compte une vingtaine de morts, des centaines de blessés et une centaine de disparitions. Le 2 novembre, cette même police attaque l’Université et la radio où l’APPO s’est retranchée. Ce jour-là, la police militarisée est repoussée. De nombreuses communes de l’état sont encore aux mains des insurgés.

Le zapatisme
C’est dans ce même esprit qu’existe le mouvement insurrectionnel d’Oaxaca : une aspiration profonde à une autonomie dans le cadre d’une démocratie participative. Ce n’est pas à proprement parler une idéologie, mais plutôt un pragmatisme issu de siècles de pratiques culturelles indienne et paysanne.
Le regroupement dans l’APPO de toutes les tendances politiques et culturelles est une gageure qu’a su tenir pendant un certain temps la commune d’Oaxaca. Mais dès que la grève des instituteurs cesse, les divergences politiques, réunies jusqu’alors par le consensus, deviennent évidentes. La partie radicale de l’APPO s’oppose plus ouvertement à celle liée au Parti de la Révolution Démocratique (à gauche) et aux forces du capitalisme de façon plus générale. C’est donc une APPO au bord de la division que l’État fédéral va combattre tout ce mois de novembre.

Aujourd’hui, 1er décembre
Lesradios et télévisions françaises nous font part de la houle parlementaire qui règne à Mexico DF pour l’intronisation contestée du nouveau président. Des barricades désertées devant l’Université d’Oaxaca ou des flics entrant dans les locaux de la radio occupée, il n’en est pas question. La ville est reprise, toutes les maisons sont fouillées, de nombreux habitants arrêtés pour délit de droit commun, d’autres violentés ou violés, des prisonniers sont déportés vers les états du Nord. La soldatesque s’en donne à cœur joie…

Syndicat intercorporatif de Marseille
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – décembre 2006/janvier 2007 n° 208) Imprimer