Quand hiver rime avec… misère

Après une focalisation sur la Coupe du Monde de foot ou les petites phrases de pré-campagne électorale, baisse des températures et trêve des expulsions aidant, les Médias se rappellent qu’il existe des sans-abri dans notre pays. Pourtant, la misère n’est pas un phénomène saisonnier et la chaleur estivale est par exemple problématique pour les SDF.
L’exclusion liée à la pauvreté est une souffrance quotidienne qui frappe des dizaines de milliers de personnes en France : si 7 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté 1 Rapport de l’Observatoire Natio- nal de la Pauvreté et de l’exclu- sion sociale 2005-2006, p. 25. , on estime le nombre de SDF à près de 100 000 personnes. En dehors de quelques attentions ponctuelles, notamment la polémique sur les tentes de sans-abri à Paris lancée cet été par Médecins du Monde, c’est l’approche de l’hiver et son lot de morts de froid (une quinzaine l’an passé) qui invite les Français à s’intéresser un peu plus au sort de ceux qui vivent dans la rue.

Combien de sans-abri en France ?
Évaluer une population d’exclus fluctuante, mobile et passant au travers du maillage administratif est forcément une opération délicate et approximative. Les estimations officielles s’appuient sur une enquête réalisée une nuit de janvier 2001 dans les services d’hébergement et de repas, selon laquelle le nombre de SDF serait de 86 000 personnes dont 16 000 enfants. Cette estimation ne compte pas les non-francophones, ceux qui ne fréquentent pas ces services d’aide ou qui habitent dans une commune de moins de 20 000 habitants. En outre, un recensement sur une journée serait inférieur de 5 % à une estimation réalisée sur une semaine. Enfin, ne sont pas prises en compte les personnes occupant un bâtiment insalubre ou hébergées chez des proches faute de disposer d’un véritable logement. Ainsi 300 000 personnes vivent dans des conditions particulièrement précaires (129 000 en habitat mobile, 51 000 à l’hôtel, 41 000 dans un habitat provisoire, 80 000 hébergées chez une relation). Une exploitation de l’enquête Santé 2003 a révélé que 800 000 personnes logées normalement avaient séjourné au moins une fois dans la rue ou dans un centre d’accueil.
En bref, il faut se contenter d’une fourchette allant de 86 000 à 800 000 personnes faisant la difficile expérience d’une nuit passée dans la rue (certaines ne restant sans domicile que très peu de temps). Les va-et-vient entre les divers modes d’accueil ou entre la rue et une situation moins dramatique s’avèrent très fréquents.

Qui sont les SDF ?
Le stéréotype de la « cloche », homme d’un certain âge passablement crasseux et aviné, doit être complètement revu 2 Économie & statistique n° 391 - 392, octobre 2006. Synthèse d’une enquête INSEE de 2001 sur les « personnes fréquentant les services d’hébergement ou les distributions de repas chauds ». Cet article et tous les travaux tirés de cette enquête sont disponibles sur le site de l’INSEE. :
- plus d’un tiers des SDF sont des jeunes de 18-29 ans ;
- un quart sont accompagnés d’enfant ;
- les étrangers sont surreprésentés (4 fois plus que dans ’ensemble de la population française) ;
- un tiers occupe un emploi (ouvriers ou employés) ;
- les sans-domicile ne consomment pas plus d’alcool que l’ensemble de la population d’âge équivalent (Beck, Legleye et Spilka) ;
- les origines de l’absence de domicile sont : le départ du domicile conjugal (26 %), la séparation d’avec les parents (21 %), l’arrivée d’un autre pays (19 %), une expulsion ou l’impossibilité de payer son loyer (16 %) ;
- sans véritable déterminisme, un certain nombre de facteurs favorisant l’exclusion, notamment dans le contexte familial, ont pu être identifiés (J. M. Firdion). Ainsi, les personnes ayant fait l’objet d’une mesure de placement représentent 23 % des SDF contre 2 % dans la population générale. L’absence d’atouts (scolaire, financier…) et de soutien familial (88,7 % des sans-abri) sont des caractéristiques largement partagées au sein de cette population ;
- les SDF sont une catégorie particulière au sein d’une population plus large souffrant du chômage et du mal-logement, « un cas extrême d’un problème plus général » (C. Brousse). Les sans-abri se démarquent simplement par un manque de ressources encore plus pénalisant : chômeurs, célibataires, immigrés, sans qualification, etc. Il existe un dégradé de situations allant des SDF aux ménages pauvres. Certaines fa­milles en grande difficulté occupant un logement doivent aussi faire appel aux services de distribution de repas ; elles constituent une « forme discrète de pauvreté » (M. Marpsat). 

Quelle solution apporter au problème des sans-domicile ?
Toutes ces enquêtes « pointent les faiblesses de l'état-providence » 3 « Une enquête de l’INSEE sur les SDF décrypte les facteurs de l’ex- clusion », Le Monde, 27 octobre 2006. . Si la question des SDF s’inscrit dans la problématique plus vaste de la pauvreté et du mal-logement, force est de constater que les pouvoirs publics ne se démènent pas sur ces sujets. Le dernier rapport de l’ONPES souligne une remontée de la pauvreté depuis 2003 et le gouvernement cherche à assouplir la loi SRU relative aux logements sociaux plutôt qu’à accroître leur nombre à un niveau suffisant pour résoudre la crise du logement 4 3 millions de mal-logés et 400 000 habitats insalubres et un déficit de 900 000 logements sociaux par rapport aux besoins réels, alors qu’on compte 2 millions de logements vacants. « M. Sarkozy veut un recensement » et « Une conséquence de la pénurie de logements à loyers modérés et destinés aux grandes familles », Le Monde, 27 août 2005. .
Le « plan hiver » prévoit 100 000 places d’accueil d’urgence (4 200 de plus que l’an passé). D’ici janvier, 1 100 places seront destinées à héberger pendant plusieurs semaines les personnes en grande exclusion dans des centres ouverts 24 h/24 en région parisienne. Mais il y aurait seulement 60 000 places stables, pour près de 90 000 SDF et environ 2 000 personnes à la rue à Paris 5 « SDF : l’extrême précarité comme héritage familial », Libération, 26 octobre 2006. . Ces mesures ont d’ailleurs été imposées sous la pression de l’action menée l’hiver dernier par Médecins du Monde qui a distribué des dizaines de tentes à des SDF, notamment pour rendre ce problème plus visible 6 « Des tentes pour les sans-abri », Libération, 21 décembre 2005. . En outre, ce dispositif reste théorique car de nombreux SDF refusent de dormir dans des foyers 7 « Ces SDF parisiens qui préfèrent vivre à la rue que dans un fo- yer », Le Monde, 4 août 2006. (vol, agression, problème des horaires d’ouverture…). La seule solution consiste à offrir à tous un habitat décent, donc à s’atteler véritablement à résoudre la crise du logement et par conséquent à lutter contre la persistance de la pauvreté. Des objectifs bien éloignés de la politique des pouvoirs publics qui consiste plutôt à jeter des squatters, y compris des enfants, à la rue. Le salut des SDF vient d’initiatives de solidarité d’individus et d’associations qui pratiquent l’action directe et font le choix de gérer eux-mêmes cette question. Pourtant, éradiquer ce fléau n’a rien d’irréalisable dans un pays dont le PIB atteint 1 700 milliards d’euros, qui multiplie les cadeaux aux nantis (baisse de l’impôt direct bénéficiant surtout aux ménages les plus riches, exonérations sur les droits de succession et les donations…) et compte 2 millions de logements inoccupés 8 « La proportion de logements vacants la plus faible depuis 30 ans », INSEE Première n° 880, janvier 2003. La moitié sont an- térieurs à 1945, mais tous les logements vacants ne sont pas vétustes : 5 % des logements neufs sont inoccupés. Selon l’En- quête Patrimoine 1998 de l’INSEE, 160 000 ménages possèdent plus de 5 appartements (cité in Le Monde libertaire n° 1448, 28 sep- tembre/4 octobre 2006). . Le fait que l’État préfère user de la force coercitive pour expulser des locataires insolvables, plutôt que réquisitionner des appartements pour les nécessiteux est révélateur de sa véritable nature : défendre un système, pourtant injuste, et ses classes dirigeantes. Aider les sans-abri et les plus démunis impliquerait de remettre en cause le principe de propriété privée et une vision marchande de la société : le logement est défini comme un produit marchand et non un besoin vital.
Remédier au problème des sans-domicile revient donc à réaliser une véritable révolution sociale.

Syndicat Intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – décembre 2006/janvier 2007 n° 208) Imprimer

1 - Rapport de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’exclusion sociale 2005-2006, p. 25.
2 - Économie & statistique no 391-392, octobre 2006. Synthèse d’une enquête INSEE de 2001 sur les « personnes fréquentant les services d’hébergement ou les distributions de repas chauds ». Cet article et tous les travaux tirés de cette enquête sont disponibles sur le site de l’INSEE.
3 - « Une enquête de l’INSEE sur les SDF décrypte les facteurs de l’exclusion », Le Monde, 27 octobre 2006.
4 - 3 millions de mal-logés et 400 000 habitats insalubres et un déficit de 900 000 logements sociaux par rapport aux besoins réels, alors qu’on compte 2 millions de logements vacants. « M. Sarkozy veut un recensement » et « Une conséquence de la pénurie de logements à loyers modérés et destinés aux grandes familles », Le Monde, 27 août 2005.
5 - « SDF : l’extrême précarité comme héritage familial », Libération, 26 octobre 2006.
6 - « Des tentes pour les sans-abri », Libération, 21 décembre 2005.
7 - « Ces SDF parisiens qui préfèrent vivre à la rue que dans un foyer », Le Monde, 4 août 2006.
8 - « La proportion de logements vacants la plus faible depuis 30 ans », INSEE Première no 880, janvier 2003. La moitié sont antérieurs à 1945, mais tous les logements vacants ne sont pas vétustes : 5 % des logements neufs sont inoccupés. Selon l’Enquête Patrimoine 1998 de l’INSEE, 160 000 ménages possèdent plus de 5 appartements (cité in Le Monde libertaire no 1448, 28 septembre/4 octobre 2006).