Sur le Sionisme et le conflit au Moyen-Orient

Pour être honnête, je peux dire que je ne considère pas le débat sur le sionisme et le Moyen-Orient comme très actuel. Si j'étais Israélien, le nationalisme de « mon » état pourrait m'inquiéter et sans doute passerais-je du temps à polémiquer à ce propos. Mais Israël est loin de moi et de mon pays. Et nous avons ici beaucoup de problèmes locaux.
Je me suis pourtant décidé à intervenir sur le sujet dans le seul but de dire la vérité et parce que c'était une bonne occasion de présenter et d'illustrer le point de vue anarchiste sur ce qu'on appelle la « question nationale ». C'est un point sur lequel il existe beaucoup de confusions dans l'anarchisme moderne et à mon avis, il y a trop de partisans des différents « mouvements de libération nationale » dans le milieu libertaire. C'est l'une des mauvaises influences du marxisme.
Mais revenons au sionisme et au problème israélo-palestinien. Il n'y a probablement personne qui puisse remettre en cause l'idée que le sionisme est l'une des formes du nationalisme. Et si quelqu'un considère que le nationalisme est une chose valable, je n'ai pas envie de poursuivre la discussion avec lui. L'idée de l'existence de nations séparées, avec des intérêts communs, des destinées et des cultures singulières est pour moi un délire de sadomasochistes malades qui ne peuvent qu'être soignés dans les institutions médicales adéquates. La même chose est vraie pour les partisans paranoïaques des supposées « conspirations juives internationales ». On ne continuera la discussion qu'avec ceux qui sont d'accord avec ces présupposés. Mettons les points sur les « i » à propos du conflit israélo-palestinien et sur la guerre récente entre Israël et le Hezbollah au Liban. De nombreux libertaires et gauchistes affirment leur solidarité avec les « peuples palestiniens et libanais ». Mais qu'est ce que le peuple « libanais » ou le peuple « palestinien » ? Ces catégories ne sont pas des catégories de classe. Que peuvent avoir de commun les riches et puissants dirigeants du Hamas, de l'OLP et du Hezbollah et les hommes et les femmes ordinaires qui subissent l'oppression de leurs ennemis de classe.
D'un point du vue internationaliste il n'existe pas de « bons » et de « méchants » dans les conflits internationaux, et tout d'abord parce que l'internationaliste ne peut et ne doit accepter la logique même de la « responsabilité collective ». « Ils » sont tous bons ou tous mauvais, telle est la logique du nationalisme, la même qui mène à Auschwitz quand on la pousse jusqu'au bout. Aucun peuple ne peut opprimer un autre peuple dans son ensemble. C'est l'autorité (le pouvoir politique, économique ou idéologique) qui opprime. Nous devons opposer à la logique « un peuple contre un autre », une logique différente : les opprimés de tous les peuples contre les oppresseurs, les exploités contre les exploiteurs. Notre patrie est le monde entier, notre loi est la liberté, comme le dit un vieux chant anarchiste.
Lénine et les autres étatistes pouvaient autant qu'ils le voulaient distinguer entre le mauvais nationalisme d'une nation qui opprime et le bon nationalisme progressiste d'une nation opprimée. Pour moi il ne peut y avoir de nationalisme bon ou progressiste. Tout nationalisme est le pire ennemi de l'émancipation humaine et du libre développement de la personnalité humaine sur lesquels il fait peser les chaînes de la responsabilité collective. Appliquée à la situation du Proche-Orient, cela montre que le nationalisme israélien (le sionisme), le nationalisme arabo-palestinien, le fondamentalisme islamique du Hamas et du Hezbollah sont tous réactionnaires et barbares par définition. Je ne peux soutenir aucun des deux, ni l' état israélien ni le probable état palestinien, pas plus que l' état libanais ou un khalifat islamique. Une position unilatérale dans ce conflit est intolérable pour tout véritable internationaliste. Les opposants à la politique d'Israël soutiennent que l' état israélien pratique l'apartheid et le terrorisme d' état. C'est vrai. Mais où avez-vous vu un état qui mène une « bonne » politique ? Les états sont des états, des hommes qui gouvernent d'autres hommes, et c'est tout. Les mouvements nationaux palestiniens aspirent eux aussi à leur propre état et cet état ne peut être meilleur que les autres, y compris que celui d'Israël. Il est intolérable de soutenir la libération nationale arabo-palestinienne, qui sera aussi étatique et intolérante que le sionisme et les autres nationalismes vis-à-vis des dissidents.
Juifs d'Israël ont droit à un état propre, disent les uns. Les Arabes de Palestine aussi, répondent les autres. Je me moque de cette logique. On ne peut considérer que l'existence d'un éat propre rende heureux et libre l'un ou l'autre de ces peuples. La langue qu'utilisent tes exploiteurs et oppresseurs n'est pas très importante. Et si c'est dans ta langue, ta situation ne sera ni meilleure ni plus facile. Le maître reste toujours le maître. Bien sûr les répressions de l'état d'Israël contre les populations civiles palestiniennes et libanaises sont terribles et doivent être condamnées. Mais les actes de terrorisme de mas-se des nationalistes palestiniens et les tirs de missiles du Hezbollah contre la population civile israélienne méritent aussi une condamnation. Une vie humaine est toujours une vie humaine. Je trouve indigne de jouer sur les chiffres : qui tue le plus est pire, qui tue le moins est meilleur et plus « humaniste ». Les morts « bons » ou « mauvais » ou « meilleurs » n'existent pas. La mort est toujours la mort. Les admirateurs de la « libération nationale » considèrent que les actions des kamikazes nationalistes palestiniens sont le résultat d'une situation désespérée et désolante. Cela signifie que les Israéliens eux-mêmes sont coupables de ces actions. Mais ces opinions sont franchement amorales et puent le fascisme. Aucun désespoir ne peut excuser le meurtre de masse de populations civiles par des terroristes nationalistes. Ces actions sont aussi anti-humaines et anti-pro-iraniennes que les politiques répressives de l'état terroriste qui cause le désespoir. Il n'est pas possible de soutenir les actes terroristes et profascistes qui partent de l'idée de la responsabilité collective des peuples en général pour les crimes de leurs chefs.
Bien sûr les amis de Sharon sont des fascistoïdes. Mais les nationalistes palestiniens et les fondamentalistes islamistes sont aussi fascistoïdes (ce n'est pas un hasard si le Hamas propage le célèbre « protocole de Sion » sur la fictive « conspiration juive internationale » et que le Hezbollah utilise un salut nazi). Les premiers ordonnèrent la répression contre les habitants arabo-palestin iens qui étaient « parents de terroriste ». Les seconds tuent les juifs « en tant que juifs », y compris les Juifs d'Israël qui sont contre la politique nationaliste de leur « propre » état. Ils tuent sans distinction. On sait qu'ils tuent plus de civils que de soldats. Dans la société palestinienne, les groupes armés nationalistes éliminent leurs adversaires sans hésitation. Tout doit être soumis aux objectifs de la lutte nationale sous le leadership des chefs palestiniens : les actions sociales de la population ont cessé depuis longtemps, il n'y pas de grèves des ouvriers palestiniens contre leurs patrons arabes. Seuls les actes terroristes demeurent – des deux côtés.
De plus il semble que les nationalistes des deux côtés s'entendent et coopèrent, tuant éventuellement les esclaves de l'autre camp. On sait que l' état israélien appuya parfois le Hamas pour affaiblir le très « modéré » Arafat. Usurpant l'influence sur la société palestinienne, les islamistes et les fondamentalistes initièrent une nouvelle escalade du nationalisme et du terrorisme, le terrorisme d'état israélien répondit, etc. Nouveaux attentats, nouvelles armes et par conséquent nouveaux bénéfices ! Arafat n'était pas pour rien l'homme le plus riche de Palestine.
La question des réfugiés n'est pas le moindre des arguments dans le conflit israélo-palestinien. On sait qu'Israël expulsa quelque 750 000 Palestiniens et c'est authentiquement affreux : ce n'était pas une abstraction mais des personnes bien réelles qui perdirent leur toit ! Mais ce genre d'actes est caractéristique de tous les états. Les vainqueurs de la seconde guerre mondiale expulsèrent d'Europe de l'Est des millions d'Allemands parce que certains d'entre eux furent fascistes. « Tous » les expulsés payèrent pour une partie d'entre eux, ce fut encore une « faute collective ». Je n'ai aucun doute sur le fait que si le camp arabe avait gagné la guerre de 1948, 600 000 Juifs auraient été expulsés. Et les « Juifs » ne sont ni meilleurs ni pires que les « Arabes ». On parle souvent dans les milieux de gauche des massacres de masse des habitants de la Palestine. Mais il n'en existe pas moins des exemples analogues de massacres perpétrés par les nationalistes arabes à l'encontre des Juifs. Il suffit de se rappeler les massacres d'ouvriers juifs des raffineries de Haïfa peu de temps après la seconde guerre mondiale. Et que dire des pogroms de masse anti-Juifs en Palestine dans les années 20 et 30 ?
Je considère le débat sur la possession de la terre d'Israël et de Palestine comme une absurdité absolue. La Terre n'appartient à personne, elle appartient à tout le monde comme le disaient les anciens paysans communautaristes russes. Il y a assez de place pour tous, si tous les peuples apprennent à vivre en harmonie et à cultiver la terre en paix. L'histoire même du conflit palestinien montre de façon convaincante toute l'impasse de l'option nationaliste. Les immigrants juifs établis en Palestine (nombre d'entre eux souhaitaient vivre en communauté) construisirent leurs colonies sur des terres achetées à des nobles arabes. Ainsi les paysans arabes perdirent les terres qu'ils cultivaient mais les nobles les distraient de leur colère liée à leur problème de classe (c'est en effet un problème de classe lorsque les seigneurs vendent les terres de « leurs » paysans) en les focalisant sur la question de l'immigration juive. D'autre part les ouvriers juifs immigrants étant pour la majeure partie sous le contrôle des dirigeants nationalistes (sionistes) sociaux-démocrates, ils ne firent rien pour établir des contacts internationalistes avec les travailleurs arabes. Ainsi les deux nationalismes se renforcèrent en lieu et place de la lutte de classes. Choisir entre deux nationalismes, c'est choisir entre la peste et le choléra, les deux tuent.
En résumé, l'unique résolution possible des problèmes israélo-palestiniens consiste en une lutte anti-nationaliste pour l'émancipation sociale, humaine et personnelle. Aucune autre solution n'existe. Il n'est pas possible de séparer un nationalisme quelconque de l'existence même de l'état et du capitalisme. Nous pouvons seulement en appeler aux travailleurs et aux travailleuses d'Israël et de Palestine : qu'ils se lèvent une fois pour toutes contre leurs gouvernements et dirigeants corrompus, criminels et terroristes pour parvenir à une coopération et une aide mutuelle et non à la guerre – pour en terminer une fois pour toutes avec cet enfer et cette folie. Cessons le délire sur « le droit des nations à l'autodétermination » ! Notre « nation » est l'humanité, notre patrie est la terre mère.

Vadim Damier Militant du KRAS, Section russe de l’AIT
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – décembre 2006/janvier 2007 n° 208) Imprimer