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Voter est un devoir car des gens sont morts pour cela ». à ce moment-là, seules les femmes peuvent s’abstenir puisque aucune révolution n’a instauré le droit de vote pour elles. Pourtant, bien des femmes étaient présentes dans les émeutes de 1789, sur les barricades en 1830 et 1848, sans oublier les « pétroleuses » de la Commune. On peut déjà constater qu’il existe un profond décalage entre les révolutionnaires et les modestes réformes qui découlent de leur sacrifice. C’est simplement qu’une fois que les masses ont versé leur sang, une élite tire les marrons du feu pour asseoir son pouvoir. La révolution de 1848 en est le plus parfait exemple, d’autant plus que c’est elle qui a instauré le suffrage universel (qui excluait la moitié des citoyens du pays : les femmes). à peine avaient-ils contribué à renverser la monarchie et son système censitaire en février, les ouvriers parisiens se rebellaient en juin contre la suppression des ateliers nationaux. Ils furent alors gentiment massacrés par un régime bourgeois dont ils percevaient l’hypocrisie. Mais bizarrement, on ne nous parle que du sang versé en février et pas de celui coulé en juin. Comme on oublie de préciser que le premier président élu s’est rapidement mué en dictateur (Napoléon III). Oubliés également les morts de la Commune ou encore l’héritage du Conseil National de la Résistance qui représente quand même quelques martyrs. Pourquoi peut-on se permettre de revenir sur la Sécu ou d’occulter la loi sur les réquisitions qui ont été instaurées grâce au sacrifice de quelques-uns ? En tout cas, si ces fameux héros morts pouvaient voir notre « démocratie », ils regretteraient sûrement leur sacrifice.
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Voter est un pouvoir » nous explique-t-on dans un spot télé. Oui... celui de choisir son maître. Souvenez-vous : «
Ce n’est pas la rue qui gouverne ! » Entendez par là : «
Vous nous avez élus, maintenant fermez-là ! ». Le peuple est souverain un jour tous les 5 ans et le reste du temps… qu’il reste à sa place de sujet docile ! Combien de promesses mensongères (
quid de la fracture sociale après 12 ans de chiraquisme ?), de lois iniques (mesures liberticides de gauche et de droite, casse des retraites orchestrée par Jospin et Chirac, etc.) et de boucs émissaires (chômeurs, immigrés, fonctionnaires, jeunes, voire enfants de 3 ans prédestinés à la délinquance…) faudra-t-il encore subir pour que tout le monde ouvre les yeux ? Sarkozy décroche la queue du Mickey avec sa promesse de « zéro SDF dans 2 ans ». Pas mal quand on réfléchit aux causes du problème : manque de logements sociaux, précarité, obstacle à l’intégration des étrangers… Sarko sera donc le zorro des sans-logis. Lui, l’ancien maire de Neuilly qui a refusé de construire des HLM, en infraction avec la loi SRU (moins de 3 % de logements sociaux contre un seuil fixé à 20 %) ; l’ex-ministre de l’économie qui a pris des mesures en faveur des donations de nantis plutôt que de se préoccuper des démunis ; le ministre de l’Intérieur qui accuse les immigrés de tous les maux lors de la crise des banlieues et qui jette des familles à la rue sans se soucier de les reloger. Sur la question, Ségolène a été moins rapide ; il fallait le temps d’éliminer toutes les promesses déjà lancées et jamais tenues par la Gauche. Soyons sérieux, quel que soit le candidat élu, il y aura toujours des SDF, des chômeurs, des exclus, des expulsions et des travailleurs exploités dans notre système.
Bien sûr, on peut se dire qu’il faut choisir entre la peste et le choléra, qu’un candidat sera toujours pire qu’un autre. Suite au « Choc » du 21 avril 2002, les inscriptions sur les listes électorales ont bondi cette année
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« Les listes électorales ont fait le plein : à qui profitera le civisme ? », La Nouvelle République, 3 janvier 2007.
(+ 3 000 à Châteauroux ; + 10 000 à Tours, soit le double par rapport à 2001), alors qu’on compte près de 3 millions de citoyens non inscrits
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« Trois millions de français ne seraient pas inscrits sur les listes électorales », Le Monde, 17 décembre 2006.
. L’électeur a donc simplement le pouvoir de choisir le candidat qu’il déteste le moins. Parce que le FN rôde il faudrait se sentir obligé de voter. Pourtant, qui lui a permis d’accéder au second tour en 2002 : les abstentionnistes ou les politiciens qui ont dégoûté les citoyens du système ou poussé certains à préférer un démagogue fasciste ? C’est le comble, les politiciens rejettent la faute sur le dos des citoyens lucides que l’on tente de culpabiliser. Dans le « meilleur des cas », voter est un moindre mal. Mais une fois son devoir accompli, le citoyen se rend compte qu’il a signé un chèque en blanc et que les élus font ensuite ce que bon leur semble. Libre aux électeurs de ne pas revoter pour eux au bout de quelques années et de choisir un autre candidat... qui s’empressera d’agir de la même manière. Un véritable citoyen, impliqué dans la gestion des affaires de la « cité », ne peut se contenter de ce rôle de potiche. Dans un contexte particulier, en 1936, les anarchistes espagnols (CNT et FAI) avaient renoncé à mener une campagne pour l’abstention, craignant que cela ne profite aux forces fascisantes. Durruti expliquait alors que le vrai problème n’était pas de voter ou pas, mais d’agir pour défendre ses intérêts et ses libertés. Un abstentionniste qui ne fait rien ne vaudrait pas mieux pour la révolution sociale qu’un mouton qui se contente de voter. Cependant, en votant on donne une certaine légitimité aux élus, donc un moyen d’exercer le pouvoir. à la première loi anti-sociale, nos dirigeants auront beau jeu de condamner les mobilisations en se retranchant derrière le respect des institutions démocratiques. C’est ce qu’on a vécu depuis 2002 et il semblerait que la classe politique n’ait tiré aucune leçon. Les politiciens jouent dangereusement avec la flamme, persuadés que la raison poussera les citoyens à voter pour eux pour éviter de voir triompher le FN. La démocratie représentative est dans une sérieuse impasse : 79 % des 18-25 ans ont plutôt une mauvaise image des politiciens et 87 % le sentiment de ne pas être assez entendus
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« Sondage : les 18-25 ans ne se sentent pas entendus par les politiques », Le Monde, 20 décembre 2006.
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Par conséquent, celui qui accepte de voter devrait être prêt à s’investir encore plus dans la lutte sociale pour signifier aux élus qu’il est bien décidé à voir appliquer les mesures qu’il souhaite sans se contenter de jouer les moutons dociles. Qu’on vote ou pas, il est indispensable d’organiser des luttes destinées à faire respecter les intérêts des travailleurs. L’important, c’est moins ce que l’on fait le jour d’une élection que ce que l’on accomplit le reste du temps. On a pu constater avec chaque « réforme » rétrograde (retraites, Sécu, CPE…) que le gouvernement essaie de justifier ces mesures comme allant de soi pour « sauver » notre modèle social. Pour démasquer ces supercheries il est nécessaire d’organiser la résistance, pour convaincre de la nocivité de ces mesures et de la possibilité de trouver d’autres alternatives, mais surtout, de mener des actions massives et efficaces. C’est d’ailleurs, le meilleur moyen de créer une dynamique vertueuse : la prise de conscience de la supériorité des acquis par la lutte par rapport à ce que l’on retire d’une victoire électorale de la Gauche incitera à se détourner des urnes pour privilégier l’action directe. Là réside l’enjeu de l’abstentionnisme actif révolutionnaire. Prenons l’exemple des « acquis » du Front Populaire ; c’est la mobilisation des travailleurs, notamment par des occupations d’usine, qui a permis ces avancées (congés payés, temps de travail, etc.). Ces acquis peuvent être perçus comme des concessions accordées par le Pouvoir socialiste pour sauver le système.
Seul le peuple peut s’exprimer en son nom et défendre ses propres intérêts, qui ne sont pas ceux de nos « élites », tant politiques qu’économiques. C’est à nous, abstentionnistes ou votants, de créer des contre-pouvoirs, en dehors du jeu des institutions légales, garantissant l’exercice d’une réelle souveraineté populaire. Le seul véritable rempart contre la « lepénisation » des esprits et la casse sociale qui profite aux candidats populistes, c’est la mobilisation de tous contre la dégradation de nos conditions de vie. Certains prêchent pour une « démocratie participative », bouée de sauvetage au système. Celle-ci se distinguerait du modèle représentatif par une plus grande responsabilité accordée aux citoyens (force de proposition, exercice de charges dans les institutions légales, etc.). Une sorte de cogestion en guise de concession à une population qui ne reconnaît plus la légitimité des gouvernants. Une retouche qui officialiserait pourtant l’absence de représentativité des élites politiques. On pourrait alors se demander ce qui empêcherait les quelques citoyens intégrés au système de se transformer à leur tour en aristocratie dirigeante ? Pourquoi ne pas pousser la logique jusqu’à son terme et franchir le cap de la démocratie directe, autrement dit l’autogestion ?