Portrait de la pauvreté dans un pays riche. Résumons la situation le plus simplement possible. La France, c’est :
- 7 millions de pauvres (moins de 780€ par mois)
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Rapport de l’Observatoire Natio- nal de la Pauvreté et de l’ex- clusion sociale 2005- 2006, page 26
- 3,4 millions d’allocataires de minima sociaux (soit 6 millions de personnes qui en « vivent » si on ajoute leurs familles)
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Etudes et Résultas n°447, novembre 2005, publié par la DREES.
- 90.000 personnes sans domicile
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Economie & statistique n°391-392 , octobre 2006, publié par l’INSEE.
Un tiers occupe pourtant un emploi
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« Les sans-domicile ne sont pas coupés de l’emploi », INSEE Première n°925, octobre 2003.
- 1 million de travailleurs vivant au-dessous du seuil de pauvreté
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« Pauvreté et activité : vers quelle équation sociale ? », Lettre de l’OFCE n°262, 24 juin 2005.
- 3,2 millions de mallogés
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Rapport mal-logement 2006 de la Fondation Abbé Pierre.
- 3,9 millions de demandeurs d’emploi
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Demandeurs d’emploi indemnisés et non indemnisés en novembre 2006, données UNIstatis sur http://www.assedic.fr/ .
… et 1.700 milliards d’euros de PIB.
Les sans-logis occupent les bords de Seine… et le devant de la scène.
La distribution de tentes aux SDF par Médecins Du Monde avait déjà soulevé des polémiques en juillet 2006. L’association Les
Enfants de Don Quichotte décide de poursuivre dans cette voie en dormant avec les SDF (23 octobre), puis en installant un campement en plein Paris place de la Concorde (2 décembre). Ils sont évacués par la police et retentent l’opération le 16 décembre autour du canal Saint Martin. L’action réussie, l’emballement médiatique s’amorce
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« Des Enfants très médiatiques », Le Monde, 7 janvier 2007.
. De fait,
Les Enfants de Don Quichotte sont moins une organisation structurée et dirigée par les frères Legrand qu’une bannière reprise par tous ceux qui se sont alors mobilisés pour soutenir les sans-domicile. Des militants de diverses associations (No vox, DAL, ATD Quart Monde, Comité des sans-logis, etc.) ont participé et monté des campements dans différentes villes (Nice, Lyon, Bordeaux, Orléans, Tours, Poitiers…) sous l’étiquette des
Enfants (on le verra lors de l’appel à lever les camps). Une stratégie qui s’est avérée payante en plaçant le problème des SDF sous les feux de l’actualité.
Après s’être planté sur l’ampleur du mouvement des tentes par l’intermédiaire de sa ministre de la Cohésion sociale dénonçant « leurre » et « poudre aux yeux », le gouvernement a été contraint de réagir. Un rapport de force s’est alors créé opposant les revendications des associations et les propositions du gouvernement. La poursuite de la mobilisation étant l’élément crucial. En gros, les uns tentent de faire cracher le plus possible aux pouvoirs publics, les autres multiplient les annonces pour enrayer le mouvement. Pendant ce temps, l’opinion découvre chaque jour un peu plus le vrai visage des sans-logis, l’importance de ce drame et le scandale que cela représente. Le 8 janvier, Augustin Legrand, sur le point de partir pour un tournage en Afrique du Sud, annonce la fin de l’opération. Sur le terrain, les réactions des
Don Quichotte sont plus mitigées, mais les campements restent. Le combat contre la misère se poursuit et c’est tant mieux.
Zoom sur quelques actions locales
C’est à Orléans que les
Don Quichotte ont commencé à étendre leur action. Un campement a été installé à côté du cinéma
Pathé le 28 décembre. Les objectifs sont alors de « [1]
montrer aux français la défaillance de l’État dans son rôle de garant des « moyens convenables d’existence » ; [2]
inciter les SDF et les biens-logés à exiger de l’État l’application du droit à une vie décente pour tous sur le territoire français ; [3]
lutter contre les trop nombreux préjugés que nous avons sur les SDF et restaurer par l’action la place des SDF au milieu de la communauté des hommes. » Dès le 30, les organisateurs annoncent la levée officielle du camp considérant «
leur message entendu » et parce que la gestion de ce genre d’occupation est délicate. Cependant, des sans-logis sont restés sur place
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Merci à Vincent B (FA et CNT45) pour les informations concernant cette action à laquelle il a parti- cipé.
. Ensuite, une partie du matériel a été transmis à Tours pour y établir un autre campement, sur la base de relations entre des militants du DAL participant aux 2 actions respectives. Cette opération s’est avérée difficile à cause de l’acharnement du préfet à chasser les SDF et leurs compagnons: 7 expulsions de sites différents au 12 janvier
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« Les sans-abri de Tours et le Dal campent sur leurs positions », La Nouvelle République (Tours), 12 janvier 2007. Pour mémoire, Paul Girot de Langlade, préfet d'Indre-et-Loire, venait juste de se distinguer dans une interview par des propos scandaleux sur les gens du voyage, les demandeurs d’asile et les emprisonnés.
. Lionel Bellot (Dal 37) expose les pressions exercées par les autorités : envoi d’huissier, des forces de l’ordre, menace d’amende pour déjections canines...
À Poitiers, un campement a vu le jour autour de Notre-Dame-la-Grande. Après 3 semaines d’occupation, sans-domicile et militants poursuivent leur action en attendant que les 14 dossiers soient véritablement réglés. Pour pérenniser leur mouvement, ils cherchent à constituer une association
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« Les Enfants de Don Quichotte cherchent à créer une associa- tion », La Nouvelle République (Poitiers), 18 janvier 2007.
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Globalement, on observe la même volonté de continuer la lutte malgré l’appel à lever les camps et un profond scepticisme à l’égard des promesses de l’Etat.
Hasta siempre
Grâce à un enchaînement d’actions médiatiques, le problème des sans-logis s’est imposé pendant plusieurs semaines. Devant ce déballage de misère, l’Etat a dû cracher quelques miettes pour sauver la face. Le gouvernement a annoncé la création, pour 2007, de 27.100 places d’hébergement d’urgence pérennes et celle d’un comité de suivi réunissant représentants de l’Etat et d’associations. Le projet de loi sur le droit au logement opposable prévoit d’instaurer progressivement celui-ci à partir de décembre 2008 jusqu’en 2012. Les mallogés ou les sans-domicile pourront saisir la commission départementale de médiation qui décidera s’ils doivent être relogés en priorité par le préfet. Un recours pourra alors être déposé contre l’Etat devant le tribunal administratif si on ne leur fournit pas un toit
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« En 2012, le droit au logement concernera tous ceux qui ont droit à une HLM », Le Monde, 18 janvier 2007. « Dès le 1er décem- bre 2008, le droit opposable au logement sera ouvert aux SDF, aux familles menacées d'expul- sion sans relogement, aux personnes hébergées temporaire- ment ou habitant dans des locaux insalubres, dangereux ou "im- propres à l'habitation" et aux mal-logés élevant des enfants mi- neurs. A partir du 1er janvier 2012, il s'appliquera à l'ensemble des personnes qui ont droit à une HLM mais dont la demande n'a pas abouti après un "délai anor- malement long". »
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Néanmoins, la précarité, le mal-logement et les SDF vont subsister, car ils sont le fruit du fonctionnement de notre société. Le gouvernement a simplement voulu sortir de la crise et dégonfler le mouvement en formulant quelques promesses. La loi risque de rester lettre morte comme celle sur les réquisitions, la loi RSU ou encore la loi Besson de 1990 qui instaurait déjà un droit au logement (accéder et se maintenir dans un logement décent), considéré comme « un devoir de solidarité ». Le gouvernement justifie le délai d’application du droit au logement opposable par la nécessité de pouvoir proposer des logements suffisants. Il refuse donc de venir immédiatement en aide aux sans-abri et mal-logés alors qu’il pourrait le faire grâce à la loi sur les réquisitions. La solidarité est sacrifié sur l’autel du droit à la propriété qui dissimule en fait un droit à spéculer. La lutte doit absolument se poursuivre. A chacun de prendre le relais de ceux qui se sont déjà investis pendant des jours. Il faut avant tout veiller à ce que les mesures annoncées soient vraiment appliquées et cela ne se fera pas sans une pression populaire forçant la main au gouvernement. Il convient aussi de trouver une solution immédiate en exigeant l’application du droit de réquisition pour que personne ne dorme à la rue cet hiver. Mais il faut avoir conscience du chemin qui reste à faire pour mettre un terme aux situations misérables, intolérables dans un pays riche. Pour cela, il faudrait accroître la construction de logements sociaux malgré les réticences des élus et des nantis, éradiquer la spéculation immobilière, supprimer le travail précaire, redistribuer les richesses… bref, abattre le capitalisme !
Enfin, l’initiative des
Don Quichotte invite à réfléchir sur l’action directe. Leur objectif étant de contraindre les pouvoirs publics à intervenir sur la question des SDF en menant des actions médiatiques. Un moyen difficile à maîtriser puisqu’il échappe au contrôle de ceux qui mènent la lutte. Ensuite, l’action peut alors se réduire à une image artificielle : on s’émeut face aux images médiatisées, puis on tourne la page car on nous annonce que le gouvernement à solutionné le problème. Enfin, cette action se limitant à forcer la main à nos dirigeants sans énoncer leur inaction devant la misère contribue à légitimer leur pouvoir. Il est donc nécessaire d’affirmer clairement, à travers ce genre d’initiative, l’injustice et l’inefficacité de nos « représentants » : Faites ce qu’on vous dit en attendant qu’on vous chasse !