Tel parti perd le pouvoir, c'est la faute aux abstentionnistes parce que, bien entendu, s'ils-elles s'étaient déplacé(e)s aux urnes, ils-elles auraient voté pour lui. Tel autre parti n'obtient pas la majorité absolue et doit donc composer des alliances et c'est encore la faute aux abstentionnistes. Pour tous les partis dits « démocratiques » et, pour ceux de droite, dits « parlementaires », les scores des partis extrémistes et, notamment, de l'extrême droite sont encore dus aux abstentionnistes... Ainsi, l'abstentionnisme a bon dos : il est le bouc émissaire auquel on fait porter la responsabilité de toutes les « défaillances » du système de représentation parlementaire. Il serait en particulier le symptôme d'un désintéressement de la politique autant que du politique, de l'inconscience politique, d'une perte, voire d'un refus des responsabilités « citoyennes »... bref l'ennemi à abattre !
Il existe deux abstentionnismes, l'un positif, l'autre par défaut.
L'abstentionnisme positif est le refus délibéré, conscient de participer aux divers scrutins du régime politique considéré, voire même, encore plus en amont, de s'inscrire sur les listes électorales. Mais, ce refus, en fait, n'est que secondaire, consécutif ; l'abstentionnisme est, d'abord, le refus du système en place. En ce sens, il est bien un acte... politique par excellence parce qu'il est fait au nom d'une autre conception du politique et, singulièrement, du mandat politique ainsi que de la « souveraineté » (au sens de liberté non… délégable).
L'abstentionnisme par défaut est la non-participation, ponctuelle ou durable, à des scrutins en raison de l'incapacité qu'ont les votant(e)s à choisir parmi l’« offre » faite, de leur déclinaison de cette même « offre » (ce qui sous-entend que leur choix se porterait sur une autre offre, non officielle, c'est-à-dire non « légale » si elle leur était faite) ou, tout simplement, d'un désintérêt à l'égard de tel ou tel scrutin parce que d'autres priorités sont faites (c'est le cas « classique » des pêcheurs-euses à la ligne !). Dans ce cas, il n'y a pas d'acte politique posé, affirmé, revendiqué mais, au plus, un « retrait » du politique.
L'accusation de « dé » ou « a » politisation lancé aux abstentionnistes positifs est, à l'évidence, totalement infondée puisque les intéressé (e)s, bien au contraire, ont une action politique constante mais… dans d'autres lieux que l'isoloir (le lieu de travail, le syndicat, le milieu associatif, la rue, le voisinage, la famille...) et que leur abstentionnisme n'est jamais qu'un élément d'action (je dirais volontiers, de lutte) parmi d'autres. D'ailleurs, et en ce qui concerne l'extrême droite, ces abstentionnistes sont de tous les combats menés contre elle, voire même à leur pointe lorsqu'il s'agit de faire le « coup de poing ».
L'extrême droite ne naît pas du non-vote, de l'abstentionnisme mais de la logique même du système politique ainsi que de la situation sociale, économique, culturelle... de la société où elle se développe. La preuve en est que, même interdits et donc absents de l'offre électorale, les partis d'extrême droite existent et mènent une action politique, dans la clandestinité ou au grand jour. De même, les abstentionnistes n'ont aucune influence sur les querelles intestines auxquelles se livrent les partis et qui, parfois, peuvent inverser un rapport de forces électoral en leur défaveur ou sur les alliances (plus ou moins sincères ou... assassines) dont les fluctuations peuvent faire imploser et donc « tomber » une majorité parlementaire ou gouvernementale. Ils-elles n'exercent pas non plus la moindre « force » sur le contexte international politique, économique, militaire, diplomatique... alors que celui-ci peut bouleverser des équilibres politiques nationaux et, de ce fait, faire et défaire des gouvernements et des parlements.
Les abstentionnistes ne sont pas non plus responsables de l'effet de yo-yo dont est coutumier l’« opinion publique » du fait de la médiatisation, voire de la marchandisation non seulement de la politique mais des partis et des politicien(ne)s.
Parce qu'il ne s'inscrit pas dans mais contre le système, l'abstentionnisme n'est pas à l’origine de ses éventuels « dysfonctionnements » puisque ceux-ci ne sont jamais que le fonctionnement normal du… système. Les abstentionnistes allemand(e)s des années trente n'ont pas été les « parents » d'Adolf Hitler et du nazisme. De même, en avril 2002, les abstentionnistes français(e)s n'ont pas enfanté Le Pen et le Front National. Dans l'un et l'autre cas, c'est le système politico-économique en place qui a engendré puis porté ces monstres sur les fonts baptismaux de la démocratie bourgeoise. C'est à lui et à lui seul d'assumer sa paternité ! Et puisque ces monstres sont les « enfants » du système - enfants qui, pour reprendre une image biblique, sont à l'image de leur créateur - il est illusoire de s'imaginer que c'est ce système qui éradiquera la peste brune qui se répand. Non, le système ne se livrera pas à l'infanticide car ce serait pour lui l'aveu de sa paternité et donc de sa culpabilité. Dans la famille démocratique - du moins telle qu'elle est dans le système actuel - on ne peut pas accepter les parents et refuser les enfants, sachant que ces derniers, parfois, jouent aux parricides : soit on accepte toute la famille, soit on la rejette dans sa totalité. Et c'est bien ce que font les abstentionnistes positifs-ves qui, considérant que, de toutes les façons, les dés sont pipés, se refusent à jouer au jeu démocratique.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer : les abstentionnistes positifs-ves sont minoritaires (pas… un sur cent ?). Mais, bien que minoritaires, ils-elles sont... politiquement agissant(e)s à la différence de ceux-celles qui ne le sont que par défaut, par amateurisme, en dilettante. Et l'une de leur action doit justement consister à faire de cet abstentionnisme par défaut un abstentionnisme positif : un choix politique, celui d'une... autre société. Une société sans État, sans représentation parlementaire, sans parti, sans drapeau, sans frontières, sans nationalité, sans exclusive... Une société véritablement humaine, c'est-à-dire d'individus libres, égaux et fraternels. L'Anarchie ! Un tel combat n'est pas vain, illusoire. En effet, compte tenu du nombre croissant de non-votant(e)s, le jour où l'abstentionnisme positif sera le fait d'une écrasante majorité, alors ce jour sera, d'une certaine manière, le… Grand Soir puisque faute de joueurs-ses et, surtout, de spectateurs-trices, le système actuel ne pourra plus se donner en spectacle, ne sera plus LE jeu... et tel un fruit pourri sur l'arbre, il tombera de lui-même.
Une utopie ?... Mais ne sont-ce pas les utopies qui, quoi qu'on dise, font avancer les choses ?