L’année scolaire 2005-2006 fut riche en lutte sociale chez les étudiants et les lycéens. Le mouvement dit « anti-CPE », qui s’attaquait en réalité à la loi sur l’égalité des chances tout entière et, par endroits, à la précarité dans son ensemble, est venu à bout de la détermination du gouvernement. Malheureusement pourrait-on dire, deux mois de lutte n’ont servi qu’à retirer le CPE, et les autres mesures demeurent en place, comme le travail de nuit à 15 ans. Le bilan du mouvement anti-CPE peut nous aider à brosser dans les grandes lignes quelques idées pour ne pas répéter certaines erreurs à l’avenir.
Tout d’abord, nous avons pu constater le manque d’engagement des syndicats dans la lutte. Ceux-ci se sont contentés de mobilisations ponctuelles, concentrées sur quelques jours seulement. Par ailleurs, les leaders syndicaux s’exprimaient en notre nom dans les médias, se prenant pour les porte-parole de notre mouvement ; bien souvent, ils déformaient totalement nos revendications, les réduisant au simple retrait du CPE. Ceci nous montre que nous ne pouvons avoir confiance ni en ces organisations, ni dans les médias : la meilleure façon de ne pas se faire trahir par ses chefs, c’est de ne pas en avoir ! L’auto-organisation des étudiants, lycéens et autres personnes en lutte doit être la règle. On n’insistera pas assez sur la nocivité des SO et à la collaboration policière dont ils ont pu faire preuve, laissant apparaître une sale impression d’apartheid dans les manifs.
Le fonctionnement des Assemblées Générales doit également être repensé. Une AG, c’est un moyen permettant aux gens en lutte de s’organiser à la base ; ce n’est donc pas une assemblée de fac où les anti-grévistes peuvent voter et remettre tous les jours sur la table un débat « pour ou contre le blocage », ni une athénée grecque où l’on applaudit ou hue des orateurs sophistes qui pensent plus à leur ego qu’à l’intérêt collectif. De la même manière, remettre en cause le rôle des commissions pourrait être intéressant : celles-ci arrivent bien souvent à l’AG pour présenter un projet que celle-ci n’a plus qu’à entériner… Il s’agit donc plus d’un plébiscite que d’un véritable choix. En plus, les commissions sont essentiellement peuplées par les politiciens et syndicalistes dont il est question plus haut.
Face à tout cela, il n’existe pas 36 solutions : chaque personne en lutte doit s’intéresser activement à ce qui se passe et tenter de s’impliquer personnellement dans les débats, de se construire un avis, de réfléchir avec d’autres lutteurs (par exemple en petit nombre d’abord, puis une fois un accord trouvé, ce petit groupe peut aller présenter son idée à l’AG) et d’émettre des propositions sans attendre – par facilité – que celles-ci viennent des orateurs leaders. Ce n’est que par la prise en charge individuelle et collective des outils de lutte que nous pourrons être véritablement maîtres de nos actes et revendications.
Cela ne suffit pourtant pas. Contrairement à ce que pensent certains syndicalistes révolutionnaires, la mise en place d’une lutte autogestionnaire ne garantit en rien sa capacité à contrer le pouvoir et à lui nuire de manière significative. Encore faut-il à la lutte un contenu global et cohérent. Comment peut-on lutter efficacement contre le CPE parce que celui-ci constitue une grave avancée de l’insécurité par rapport au travail, si l’on ne prend pas en compte le système politico-économique qui génère ce type de mesures ? En effet, la précarité n’est pas le seul fait d’un gouvernement de droite (ce qu’aimeraient nous faire croire les politiciens de gauche), mais c’est la conséquence logique d’un système politique (l’état), économique (le capitalisme) et social (les valeurs de domination, d’oppression et de hiérarchie, qui pénètrent toutes les classes de la société) donné. Vouloir lutter contre un aspect, symptomatique de ce système, sans s’attaquer directement à ses bases, c’est se condamner à remettre le même combat à plus tard, car cela ne règle rien à la situation de fond. Si le CDI apparaît plus sécurisant, il n’en reste pas moins un moyen d’exploitation pour un patron, et il ne protège pas forcément de la précarité : les employés de MacDo sont en CDI, et de manière générale, quelle que soit la nature du contrat de travail, les salariés peuvent être congédiés, privés de leur source de revenu parce que cela sert les intérêts de leur employeur. Le 11 janvier dernier, la Cour de cassation a même reconnu le droit de licencier en prétextant un risque de perte de compétitivité, sans avoir besoin de prouver celui-ci ! La question est donc primordiale : lutter, mais pour quoi ? Curieusement (ou non), les politiciens et syndicalistes, du plus mou au plus radical, cherchent à faire disparaître ce genre de questionnements dans leurs interventions et leurs façons d’agir : ils conçoivent tous la disparition de nos avis et opinions propres comme quelque chose de nécessaire à l’« unité dans la lutte » comme ils disent, comme s’il fallait gommer nos différences pour se retrouver ponctuellement côte à côte ; pire, diffuser des idées, questionner la pertinence de notre organisation sociale, vouloir créer des liens entre les luttes afin d’avoir une vue globale des problèmes, c’est « faire de la politique » (et ça, c’est mal paraît-il…), et ce serait vouloir récupérer le mouvement… Tout cela est ridicule et il faudra bien dépasser cette autocensure débile si nous voulons un jour pouvoir vraiment débattre du fond des problèmes et commencer enfin à tracer des chemins vers notre émancipation.