Comment se fait-il que l’OFPRA ait rejeté la demande d’asile de Senjur compte tenu de son vécu ? C’est surprenant, mais, malheureusement, fort naturel.
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui examine les demandes de séjour en France, subit des pressions découlant de la politique de fermeté en matière d’immigration menée par Sarkozy
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Sur le fonctionnement de l’OFPRA quant à l’attribution des titres de séjour et la réalité de ces pressions, voir le témoignage de Clémence>Armand, Droit d’asile, au non de quoi ?, éditions Toute latitude, 2006. Une présentation de l’ouvrage est disponible sur http:// www.educationsansfrontieres.org/article.php3?id_article=3282 (lien à la fin de l'article). On trouvera aussi un autre témoignage : « Je ne veux plus trier les réfugiés » de Catherine Legall publié dans L’Express, 19 janvier 2006. Voici un extrait : « Un Tamoul prétend avoir été persécuté par la police du LTTE [Tigres de libération de l’Eelam tamoul]. Qu’est-ce que je dois faire ? » « Il n’y a pas de police au LTTE », affirme-t-il [son chef], l’air amusé de ma naïveté. Sa réponse me surprend. Je cours voir une collègue qui connaît très bien le pays. » « Mais bien sûr que si, dit-elle, le LTTE a une police. D’ailleurs, tu peux lire cet article », « ajoute-t-elle en me tendant un article du Times sur le sujet. » Ces 2 officiers de protection ont démissionné de l’OFPRA, écoeurées par leur boulot.
. Les différentes lois relatives au séjour des étrangers et à l’attribution du droit d’asile, dont la loi CESEDA, ont pour objectif de limiter l’immigration (pourtant nécessaire selon des études françaises ou des consignes européennes), mais aussi de stigmatiser les étrangers. Des restrictions ont donc été imposées quant au regroupement familial ou à la reconnaissance des mariages mixtes (franco-étranger), c’est-à-dire au droit de vivre en famille. Globalement, les étrangers sont systématiquement soupçonnés d’être des menteurs, des tricheurs et des falsificateurs. Si le gouvernement a pu se féliciter d’avoir fait baisser les flux migratoires (-2,6 % entre 2004 et 2005), cela ne signifie pas qu’il y ait moins de misère dans le monde, mais que les déshérités sont priés d’aller voir ailleurs. Pour décourager les prétendants à l’immigration, on va jusqu’à vider le droit d’asile de son sens. Ainsi, les réfugiés ne disposent plus que de 21 jours pour déposer un dossier en français. Un moyen infaillible pour expulser à la chaîne des malheureux n’ayant pu faire valoir la gravité de leur situation
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Outre les dossiers rejetés après un examen sommaire, 900 demandes n’ont pas été examinées en 2005 faute d’avoir été déposées à temps (Rapport d’activités 2005 de l’OFPRA, p.23). En 2005, le taux d’admissions globales était, en raison de nombreux rattrapages, de 27 % (17 % en 2004), mais de 8 % seulement pour les décisions de l’OFPRA.
. D’ailleurs, quand Sarko fixe des objectifs chiffrés d’expulsion, il donne le ton et impose de multiplier les reconduites à la frontière, quelle que soit la pertinence de la demande d’asile. Une autre stratégie consiste à limiter le champ d’application du droit d’asile : par exemple risquer de mourir de faim, vivre dans des conditions déplorables n’est pas un argument recevable. La maladie ne le sera bientôt plus car un projet de circulaire prévoit de refuser l’attribution d’un titre de séjour si « un traitement approprié existe dans la capitale ou au moins dans une ville du pays »
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Le droit des étrangers malades à être régularisés pourrait être restreint », Le Monde, 12 novembre 2006.
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Conséquence de cette politique, le nombre de demandes d’asile chute (-16 % entre 2004 et 2005) et le taux d’attribution d’un titre de séjour s’effondre
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« Droit d’asile : la France restreint l’accueil », Le Monde, 22 décembre 2006.
. L’un des moyens d’y parvenir est de recourir à la « procédure prioritaire », comprendre bâclée, qui concerne 23 % des dossiers en 2005, contre 10 % en 2003, et débouche sur 2 % de régularisations ! Celle-ci est notamment employée lorsqu’il y a présomption de demande frauduleuse émanant d’un ressortissant d’un des pays « sûrs » dont la liste a été instaurée en 2005, mais qui est vivement contestée
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« La Bosnie, l’Albanie, l’Ukraine sont-elles des pays sûrs ? », Le Monde, 22 décembre 2006.
. Par exemple, le Kosovo est considéré comme sûr (d’où l’expulsion de la famille Raba), pourtant des gendarmes mobiles de Châteauroux y sont partis en octobre 2006 pour des missions de maintien de la paix.
En 2006, le taux d’accord de l’OFPRA est tombé à 7,6 %. C’est en fait la Commission de recours des réfugiés (CRR), chargée de réexaminer les dossiers après un refus de l’OFPRA, qui accorde le plus d’autorisations de séjour: 9 600 contre 4 200 pour l’OFPRA. Le taux global de régularisations se maintient ainsi à 19 %
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« Droit d’asile : la France restreint l’accueil », Le Monde, 22 décembre 2006.
. Problème : le CRR dépend complètement de l’OFPRA alors qu’il est censé pouvoir s’opposer aux décisions de celui- ci
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« L’étrange statut de la Commission de recours », Le Monde, 22 décembre 2006.
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De nombreuses organisations (GISTI, CNDH, Forum Réfugiés…) se sont émues et ont affiché leur inquiétude face à cette remise en cause du droit d’asile organisée par l’État français.