Histoire de con-finement menée ou qu’il est beau mon poulailler, mon petit intérieur !

Faisant suite à un précédent texte que nous avions fait paraître sur la grippe aviaire : « La basse cour dépossédée » qui s’appuyait sur un dossier de l’association GRAIN mettant en cause l’industrie avicole dans ce problème devenu mondial, nous vous livrons cette fois quelques réflexions sommaires sur les mesures de confinement proprement dites.

La peur n’évite pas le danger, le confinement non plus
Ces mesures nous ont été imposées et étaient censées contenir l’épidémie, on les retrouve d’ailleurs pour les hommes dans diverses gestions de catastrophes. Telles sont par exemple les mesures imposées de cloisonnement des personnes dans leur habitation ou le lieu où ils se trouvent avec obligations de barricader portes et fenêtres, de ne pas téléphoner, de ne pas boire ni manger, de ne pas aller chercher ses enfants, d’écouter la radio choisie par les autorités, etc., dans les exercices de simulation de catastrophes nucléaires possibles. Que ces mesures dans les abords proches d’un site nucléaire puissent paraître illusoires et aberrantes ne signifie pas non plus qu’elles soient totalement inutiles contre la propagation de germes ou de pollutions hautement pathogènes ou toxiques. Ce fut à certains moments, comme pour la peste, des mesures d’isolement qui ne garantissaient pas totalement de la propagation pathogène mais qui la contenaient. C’étaient déjà le révélateur des nuisances de la concentration des activités humaines. Aujourd’hui, ces mesures de confinement ne sont en réalité que la suite aberrante de cet industrialisme aberrant. Ce confinement relève de l’idéologie dominante, c’est-à-dire d’une vie vécue sous bulle, d’une méfiance envers la nature et les autres, d’un déni du désastre industriel que l’on se refuse à remettre en question pour la simple raison que l’on en profite. Si cette supposée solution du confinement se révèlera de plus en plus comme une prison pour tous, une banalisation d’états d’urgence et de couvre-feux, nous faisant ainsi payer le prix de notre collaboration volontaire ou forcée à ce monde criminel, il nous enfonce un peu plus dans l’artificiel et dans un monde hors-sol technoscientiste ludique, fait d’apparentes facilités et de propreté, mais dont nous aurons perdu la compréhension globale et le sens. Comme nous l’avions souligné, les mesures de confinement qui ont été imposées lors du précédent scénario de grippe aviaire (d’autres ne manqueront pas d’arriver) aussi bien aux particuliers ou petits éleveurs qu’aux industriels de l’élevage avicole, ne feront en réalité qu’aider à la disparition des premiers et provoquer une sélection des plus performants chez les derniers. L’industrie avicole est, rappelons-le, la principale responsable de cette épidémie croissante dans le monde, aussi bien dans son apparition que dans sa propagation. Cette responsabilité commence à être reconnue piteusement sans faire trop de bruit dans certains médias, comme dans Le Monde du 27 février 2007 dans lequel il est déclaré : « les experts soulignent le rôle de la mondialisation du marché de la volaille dans la diffusion de l’épizootie » et que « Même si la faune peut parfois jouer un rôle, on a plutôt le sentiment que l’essentiel de ce qui se passe aujourd’hui est lié à la multiplication rapide du virus dans les élevages et en particulier dans les grands élevages, qui lui donnent un potentiel multiplicateur énorme ». C’est timide comme remise en cause, mais les oiseaux sauvages vont peut-être ne plus être regardés comme les oiseaux de malheur d’Hitchcock.

L’état de siège, un remède à la fuite
Pour relever un peu plus le côté cynique de cette histoire de grippe aviaire, nous voudrions apporter quelques observations supplémentaires sur ces mesures de confinement qui nous semblent pour le moins assez illusoires, sauf peut-être d’un point de vue spectaculaire.
Tout d’abord, s’il est reconnu que la maladie peut être propagée par l’intermédiaire de mammifères ou oiseaux, le confinement pourra-t-il empêcher pratiquement des moineaux ou autres petits passereaux de venir picorer ou d’entrer dans la zone supposée étanche ? Pourra-t-il empêcher les rats, souris, loirs d’y pénétrer même accidentellement ? Ce n’est guère pensable.
Cette mesure de protection par le confinement agit sans aucun doute comme un miroir aux alouettes rassurant et ne peut rien garantir du tout. D’autant plus si l’on prend en considération l’intrusion indispensable de l’éleveur pour soigner ses volailles, qui devrait, s’il ne veut pas trop introduire ou sortir de germes indésirables et devenir malgré lui un agent propagateur, construire un sas de décontamination dans lequel il devrait changer de tenue pour aller soigner ses bêtes. La tenue de rigueur étant bien entendu celle labellisée « NRBC » avec masque à gaz et traumatisme assuré chez les volatiles.
Quand on se donne la peine d’affronter la réalité de ce genre de mesures désespérées de sauvegarde de la vie industrialisée, on imagine assez facilement d’une part la qualité de vie que nous procureront ces mesures d’enfermement diverses, de vie sous cloche, et d’autre part le genre de vie improvisée et autonome que cela va aider un peu plus à éradiquer.
Autres remarques à propos cette fois d’un formulaire dicté par les services vétérinaires de la préfecture et distribué par les mairies qui nous demandait de déclarer et d’enfermer nos volailles. Dans ce formulaire on demandait également d’enfouir à un mètre de profondeur une volaille retrouvée morte, que l’on devait au préalable enfermer dans un sac en plastique. Ceci ne relève pas d’un gag mais des prescriptions des formulaires préfectoraux. Si le sac plastique sans aucun doute biodégradable pourra certainement favoriser un bon bouillon de culture microbien, aucun responsable des services vétérinaires qui est à l’origine de ce genre d’obligation ne s’est amusé à creuser un trou d’un mètre de profondeur pour y enterrer une malheureuse poule. Si la force ne doit pas vous manquer, le temps ne doit pas compter non plus. Sinon, il ne vous reste plus qu’à faire intervenir l’entreprise de terrassement du coin surtout si le terrain est caillouteux ou gelé. Autant s’enterrer soi-même !
Quel sens peut-on trouver à tout cela quand on sait qu’il en sera tout autrement pour les pigeons de l’église, les pigeons voyageurs, les cygnes du châtelain du coin, du gibier d’élevage pour la chasse, etc. ?

Du contrôle, encore du contrôle, toujours du contrôle
Dans cette histoire de confinement, la grippe aviaire n’est pas le seul avatar. Il est manifeste que l’homme industriel s’applique à lui-même le sort qu’il réserve à ses bêtes. Récemment dans les écoles de la région parisienne (voire peut-être ailleurs ?), les enseignants ont reçu les directives à appliquer pour se confiner avec les élèves en cas d’accident majeur industriel ou nucléaire ! S’il n’y a malheureusement que les autorités pour prendre au sérieux un tel scénario avec à l’appui des exercices de simulation pour s’instruire des difficultés qu’ils auraient à rencontrer dans sa gestion, la population quant à elle sera guidée et triée comme du bétail et cela ne semble pas trop la déranger étant donné le peu de réactions que cela suscite. Dans ces directives, confinement oblige, il était amené une petite précision concrète et quelque peu logique qu’il n’est peut-être pas inutile de relever ici : les enseignants ont ordre de ne pas céder aux supplications des parents qui voudraient récupérer leurs enfants. Si nous vous laissons imaginer la difficulté laissée à l’enseignant afin d’assumer une telle décision, nous pouvons également facilement voir dans ce confinement, pour la bonne cause, une vulgaire prise d’otage pour empêcher les parents de fuir.
Enfin, l’isolement du chacun chez soi devient la norme appliquée à la situation « normale » comme à la situation de « crise ». Plus largement, la séparation dans tous les comportements humains, fait que la différence devient de plus en plus minime et que l’action ou l’idée collective est rangée au titre de danger. C’est une situation séduisante pour un idéal de gouvernance autoritaire où le confinement de la pensée et de la réflexion est réduit lui aussi à l’espace qu’on lui laisse : la participation, la cogestion et le réformisme En fait, une opposition possible à ces mesures est concrètement bien difficile sinon de donner du grain à moudre au système pour se perfectionner. Alors, afin de ne pas remettre sans cesse et définitivement nos vies entre les mains d’experts ou d’autorités « bienveillantes », il nous reste une position de rupture radicale sans tomber toutefois dans les pièges du nihilisme et du primitivisme.
Lors du dernier congrès de notre syndicat en novembre dernier, nous avons proposé et fait accepter une motion contre toutes les technologies qui dépossèdent l’humain de son contrôle direct. Cette motion n’est pas le fruit d’une idée fixe abstraite et idéologique, mais le résultat d’observations concrètes du délabrement de nos conditions d’existence et de ce qui nous reste d’autonomie. Nous recevons de plein fouet la déshumanisation de ce monde et l’avènement du règne de l’artificiel et du contrôle. Toute ces mesures d’exception ne sont pas anodines, elles sont des outils du pouvoir, des camisoles volontaires, liberticides mais sanitaires pour nous faire accepter de gré comme de force ce monde si con et tellement… finement mené.

Syndicat intercorporatif de l’Essonne
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – avril/mai 2007 n° 210) Imprimer