Le citoyennisme au service de la gouvernance nucléaire

Toi l’homme ordinaire que ta naïveté, ton humanisme et ta bonne volonté poussent à adhérer au concept de « citoyen », même si tu restes respectable par rapport à d’autres citoyens de pouvoir ou qui ne se préoccupent que de leur confort et de leur fric, que cela te plaise ou non, tu collabores à notre anéantissement à tous même si tu es persuadé de limiter les dégâts. On te laisse avec ce qualificatif de citoyen, une importance, une place dans un monde industriel de plus en plus complexe dans lequel tu ne peux avoir qu’un rôle de caution démocratique, un rôle illusoire. Pour déculpabiliser un peu, il te faut participer coûte que coûte à ce meilleur des mondes de la consommation et de la production de masse parce que tu es persuadé, en tant que travailleur émérite avide d’argent durement gagné, d’en être le bénéficiaire et un coresponsable. Tu en as tellement bien intégré cette idée, qu’il n’est pas étonnant que, pour les experts de tous poils, tu deviennes par l’entremise des termes « homme ou humain », le responsable de tout. Exemples : L’activité humaine serait responsable du réchauffement climatique ou bien l’individu serait responsable de son cancer du poumon ou de celui des autres parce que tout simplement il fume ; ou encore le patrimoine génétique de l’individu serait le principal responsable des maladies, voire même de soi-disant prédispositions psychologiques.
On distingue à travers ce genre d’affirmations malhonnêtes et simplistes, notre culpabilisation en règle où nous devenons les responsables de tous les désastres. Ceci pour mieux dissimuler les responsabilités de cette société industrielle en général et de la chimie et du nucléaire plus précisément. Quand, par stratégie démagogique, les dirigeants te demandent ton avis dans des conférences citoyennes comme sur les OGM par exemple ou dans des CLI (commission locale d’information), si tu n’es pas d’accord et que ton avis n’est pas compatible avec la gestion d’État, ils n’en tiennent pas compte tout simplement. On retrouve ce même genre de tactique d’intégration de la population dans la gestion, au travers des conférences participatives, cercles de qualité et autres paritarismes à l’œuvre dans tous les domaines de la vie politique, sociale, syndicale et même dans les écoles. Dispositifs qui ne sont là que pour créer une illusion de participation et faire accepter petit à petit l’inacceptable. Comme le précise si justement Michel Godet, professeur au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), même s’il prêche pour sa condition, dans son article « Démocratie ou Démagogie » paru dans le Monde du 24 janvier 2007 : « Le citoyen est aveugle sans les lunettes de l’expert », auquel nous pourrions ajouter qu’au royaume des aveugles les Experts sont sourds et les plus prétentieux des confinés.
Si tu mets toute ton énergie à ne pas voir la triste vérité de cette prétendue grande aventure technologique, tu la ressens plutôt comme une humiliation de plus à ta vie d’esclave moderne. Il ne te reste plus qu’à élire tes maîtres et à travailler assidûment au désastre imminent. C’est en fin de compte toute l’importance qu’il te reste et la place qu’il te revient dans cette société humaine illusoire et en décomposition. Société dans laquelle on voudrait que nous soyons tous des concurrents, des ennemis potentiels.
Du côté du pouvoir et de ses manipulateurs, de ses gestionnaires, il n’y a pas de mauvaise conscience et ils n’ont de cesse de te flatter et de te faire prendre un citoyen pour un décideur. Il leur faut te culpabiliser, diriger ta réflexion et ainsi te faire croire à un rôle, à des intérêts similaires dans la société. Tout cela bien évidemment pour ton bien et celui de l’humanité. Vas-tu croire encore longtemps à ce genre de sornettes, toi qui deviens l’électeur de référence, le prétexte à la gestion, à la gouvernance de toutes les horreurs industrielles ?
Confinés de tous les pays, avec le nucléaire, les technocrates nous imposent le désastre et ce qui va avec : contrôle social, plans d’urgence, militarisation. Aux causes de désastres propres à toutes les activités industrielles, l’industrie nucléaire ajoute la radioactivité artificielle qui peut avec certains radioéléments durer des millénaires. Les gourous du nucléaire le savent bien et c’est pourquoi, loin de nier comme autrefois ses conséquences, ils comptent désormais nous convaincre de pouvoir survivre en milieu contaminé. Ce ne serait d’après eux qu’une question d’éducation à la précaution et à la limitation des doses ingérées. C’est cette escroquerie supplémentaire qui est propagée dans les programmes CORE et SAGE. Le désastre nucléaire étant la chose la plus partagée, elle doit maintenant être la mieux acceptée. Tout citoyen irradié devient de fait complice de sa propre irradiation comme de celle des autres. Tout cela encadré par des uniformes kaki ou autres blouses blanches avec pour seul horizon, les rangées de cercueils de plomb pour que le monde reste ce qu’il est et qu’il continue à fonctionner. Avec ce qualificatif de citoyen l’individu devient en réalité actionnaire de sa soumission, de son esclavage. Il devient accessoirement, par la même occasion un malade potentiel, un héros ordinaire et certainement le dindon de la farce du désastre industriel nucléarisé.
Dans cette dictature techno- scientiste naissante, pour tous ces gestionnaires potentiels, la gestion n’en sera que plus confortable. Un citoyen qui se sent responsable et en plus coupable de ne pas avoir réagi, n’est guère dangereux pour le système en place. Il y a peu de chance pour qu’il en arrive à renier sa lâcheté, sa compromission passée et qu’il finisse par se révolter. La principale corruption réside certainement aujourd’hui dans la dépendance et l’implication des individus dans le fonctionnement de cette société mortifère. Les citoyens élus ou pas devenant les collaborateurs de fait à la gestion des manigances dont ils ignorent tout jusqu’au moment où la catastrophe est flagrante et qu’elle ne peut plus être niée par les autorités. Si nous pouvons remercier nos gestionnaires de ne jamais nous avoir accablés de tracasseries inutiles, ils n’ont de cesse de nous faire Rappeur afin qu’ils puissent ensuite se faire passer pour les sauveurs de l’humanité. Parmi ces derniers, les écologistes d’État jouent le rôle de tartuffes et d’administrateurs de nos vies irradiées, toujours à la place que l’État leur assigne, en restant sur le terrain des alternatives énergétiques, du processus électoral. D’où les tractations, les compromis, les promesses destinées à ne pas être tenues et les jeux de lobbying qui culminent en période électorale. Pour le PS, il faut faire oublier son programme de 1981 avec un moratoire sur la construction de centrales nucléaires. Sœur sourire sans rire nous promet « une extinction des centrales anciennes et des plus dangereuses » ! Par son porte-parole viré de la manif de Cherbourg, les Verts français quant à eux, suivant leurs homologues allemands, s’engagent pour une sortie « sur trrreeennnte aaaaaaaannnnnnnnsssss » ! Quant au PC, fidèle à la défense inconditionnelle et intéressée des technocrates du CEA et des syndicalistes de la CGT d’EDF, il exige un « nucléaire sécurisé et durable ». Tout regroupement antinucléaire conséquent devrait avoir en mémoire la défaite du mouvement à la fin des années 70 et au début des années 80 due à la stratégie électorale prédominante, à une critique insuffisante et marginale de la société industrielle et de consommation.
L’exigence d’arrêt immédiat du nucléaire ne relève pas pour nous d’une surenchère. Elle implique la rupture avec les logiques capitalistes et étatiques nécessaire à notre lutte. Cette perspective autonome est certes difficile et incertaine et sa réalisation ne dépend pas seulement de nous mais elle est la seule qui nous semble digne d’intérêt et à laquelle nous voulons contribuer par notre plume ou par d’autres moyens. C’est la seule façon à notre avis de reprendre goût à la liberté et de vivre debout sans avoir en permanence une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Syndicat intercorporatif de l’Essonne
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – avril/mai 2007 n° 210) Imprimer