Il s'agit ici, ami lecteur, de revenir sur l'occupation qui a eu lieu à l'université de Saint-Denis (Paris 8) pendant la – ô combien judicieuse – période de la semaine avant les vacances. Sans soutien massif de la part des étudiants, parfois non informés de la lutte et déjà sur le chemin des vacances de Noël, les sans-papiers se sont heurtés rapidement au problème de la fermeture de la fac. A priori, cela empêchait que le mouvement s'inscrive dans la durée.
Au départ, premier tract
1Tract rédigé par le comité de lutte de Paris 8 en compagnie de quelques sans-papiers. Un bulletin du comité de lutte tire le bilan de ce mouvement plus en détail. Il sera disponible fin janvier. Si vous êtes intéressé-e-s pour le recevoir, envoyez un petit mot au syndicat.
: le problème de la précarité dans son ensemble est posé à travers le prisme de la question des sans-papiers. Dans les faits, il s'agit plutôt d'une position avant-gardiste qui ne reflète absolument pas la réalité du mouvement. Ce tract met en lien le monde du travail, la situation des sans-papiers (et aussi des étudiants salariés), dénonce l'exploitation des sans-papiers dans le cadre du salariat, la concurrence de tous contre tous...
Le second tract
22e tract : « étudiants, travailleurs sans-papiers, même problème, même combat »
atteste d'un changement de perspectives de luttes. On y retrouve désormais les revendications classiques des collectifs de sans-papiers (des papiers pour tous, arrêt des expulsions, fermeture des centres de rétention...), mais plus de références explicites à la lutte globale contre la précarité généralisée, le salariat, etc.
à grands traits, ce mouvement a recoupé trois aspects :
- manque de préparation préalable
- erreur tactique majeure dans le choix de la période
- préexistence d'une oligarchie, d'une direction du mouvement.
Précipitation et grève de la faim
En se plaçant dans une situation d'urgence et sans construction d'un rapport de force avant l'occupation, la seule possibilité pour ne pas se faire évacuer rapidement, était de « dialoguer » avec l'administration, de demander l'appui de la présidence. Au niveau logistique, par exemple, on voit mal en effet, comment des autoréductions au CROUS auraient pu être menées sans une force conséquente. En réalité peu de soutiens étudiants, quand on pense qu'il y a quelques centaines d'étudiants sans-papiers dans cette fac...
Une grève de la faim (il y eut 25 grévistes) se manifeste au bout de deux jours. Cette action, autant aventuriste que victimisante, traduit le manque total de vue stratégique, affaiblit toute possibilité de lutte dans la durée. En se privant de moyens de résister, de combativité, cette méthode, suscitant plus l'apitoiement, a montré une fois encore son inefficacité. Devant le fait accompli, les personnes présentes en soutien étaient surtout observateurs/trices, et se sentaient plus âme charitable qu’acteurs d’une lutte.
Les AG
Les assemblées générales ont révélé ce qui était déjà évident avant la lutte. La parole est bien souvent confisquée, concentrée par quelques autocrates, distribuée arbitrairement : « ce n'est pas un débat » (sic), «
pas de commentaires » (!) . Or, qu'est ce qu'une AG si ce n'est un lieu de débats, de confrontation, de réflexions, pour l'élaboration de la lutte, un lieu de prise de décision souverain ? Le clou du spectacle aura probablement été la « conférence de presse » du jeudi 21 décembre... où la presse n'a pas même daigné se déplacer. Cet exemple – tout le monde n'était pas au courant – illustre bien le fait que les décisions se prenaient dans les couloirs.
La question est donc posée : qui décide ? Comment se fait-il qu'une chefferie s'installe alors que la lutte se profilait dans un premier temps en dehors des récups ?
L'apathie généralisée (y compris des militants) explique largement cet état de fait, habitués que nous sommes à des luttes découpées, segmentées où on s'aperçoit vite qu'il y a une ligne de fracture entre les « soutiens » et les sans-papiers. Imaginaire, cette ligne dessinée par le pouvoir, est représentée par les acteurs eux-mêmes dans le déroulement de la lutte. Une autre encore s'est tracée entre les grévistes de la faim et les non-grévistes. C'est ainsi qu'apparaît rapidement une hiérarchisation des protagonistes, où se mêlent paternalisme et « fausse conscience ». On a pu assister également à l'arnaque de certains qui se sont posés comme interlocuteurs privilégiés de l'administration, sans qu'aucune décision d'AG ne soit ressortie dans ce sens.
Et si l’idée de l’autonomie faisait son chemin…
L’absence de débats, la rétention d’informations restent les mécanismes principaux des prises de pouvoir, et autant d’escamotages de prise de parole collective, de déni de « démocratie ».
Comment faire en sorte enfin que les luttes prennent un sens dans un contexte large, qui pose d’abord le problème de la prise de décision, et mette à nu tous les rapports d’oppression effectifs – déjà au sein même de la lutte pour pouvoir créer une véritable dynamique
collective ? La période sociale est largement aux attaques tous azimuts. Pour ne pas se retrouver dans des impasses, et gagner des victoires petites ou grandes, toutes les microrésistances qui émergeront ne devront pas perdre de vue leurs
propres modalités d’organisation des luttes. Ces dernières – autant que faire se peut en dehors des carcans spectaculaires et institutionnels – devront appartenir à tous moments à leurs acteurs.