Voici quelques mois, je lisais sur Internet un article du Monde, article nous informant de la condamnation du Groupe Valéo (équipementier automobile) par les Prud’hommes à verser 4,3 millions d’euros à 260 de ses salariés pour licenciement abusif en 2004. Mon propos n’est pas ici de relater cette affaire dans ses détails, quoique je me réjouisse de voir une entreprise devoir donner de l’argent (argent tout de même gagné de toute façon par les salariés) à des licenciés, même si la somme ne représente que 17300 euros par personnes, ce plus de 2 ans après les licenciements.
En fait ce qui m’a le plus choqué, ce sont les réactions de certains lecteurs abonnés du Monde qui postent sur le site du journal leurs remarques concernant les articles. Il faut savoir que la majorités des commentaires de ces lecteurs abonnés (seuls les abonnés peuvent s’exprimer….) ne remettent aucunement en cause les licenciements et ne portent aucunes critiques sur les entreprises mais cherchent, souvent par des pseudos arguments économiques, à justifier les choix de Valéo, « pauvre Groupe soumis à la loi de la concurrence et du libre marché ».
Je vais prendre le commentaire qui me semble refléter au mieux l’ambiance idéologique de la société aujourd’hui :
Jérome G (les pseudos sont anonymes) « C’est plus compliqué que ça : 1/ pendant des années Valéo a payé des montagnes de charges ; 2/ une entreprise qui délocalise ses appros emploie plus de salariés bien payés et la part de charge augmente ; 3/ elle augmente sa marge et donc ses impôts ; 4/ en se mettant à l’abri de problèmes futurs elle renforce sa propre pérennité et donc celle de ses emplois 5/ si elle délocalise pas, ses concurrentes le font…..La seule solution c‘est de s’adapter à son environnement. »
Voilà dans l’ensemble la teneur des commentaires, mais laissons de côté le « charabia économiste et intéressons nous à la dernière phrase : « La seule solution c’est de s’adapter à son environnement ».On retrouve dans cette formule, comme c’est le cas dans de nombreux autres domaines de la société, le plus pur concept de la sélection naturelle, qui a fait en d’autres temps le bonheur des mouvements de droite et d’extrême droite et de la domination (capitalisme compris). Cette pensée vise à justifier scientifiquement, c’est à dire par une loi physique et matérielle (ici la nature et l’économie) l’exploitation d’une minorité sur une majorité, c’est à dire la mise au pas de ceux qui subissent par ceux qui possèdent le pouvoir politique, économique, culturel... !
Quoi de plus flagrant aujourd’hui que le retour sur la scène sociale de l’idée de la lutte et de la concurrence comme facteur de l’évolution, comme facteur de progrès. L’adaptabilité est à l’ordre du jour, les travailleurs, les chômeurs doivent s’adapter, être flexibles, mobiles sinon ils disparaissent, sont rayés des listes comme on supprime un défaut d’un programme, il suffit d’appuyer sur le bouton. Les enfants doivent s’adapter, être évalués et les parents surveillés et « corrigés » si leurs gamins « fautent ». Les immigrés traqués, chassés et expulsés. Les exemples ne manquent pas où l’être humain est donné comme gagnant ou perdant. Le perdant étant stigmatisé et accusé de faiblesse, le gagnant établissant les règles et les lois.
Les pouvoirs (médias compris) ne cessent de porter et répandre ce programme de la sélection où l’homme est présenté comme un être en compétition avec la nature et ses semblables au prix de sa survie. Toute leur stratégie est de nous amener à croire que la lutte de tous contre tous est naturelle, scientifiquement efficace et seule garante du développement des sociétés et de leur progrès.
Mais nous savons qu’il n’en est rien, que cette pseudo vérité qu’ils distillent dans la société est un mensonge servant à nous soumettre et allant contre notre liberté. L’être humain n’est pas prédestiné à la lutte, à la compétition mais à la solidarité et l’entraide.
Déjà à la fin du 19ème siècle, P. Kropotkine, théoricien anarchiste a montré dans son livre « l’Entraide » que le principal facteur de l’évolution des sociétés est l’entraide entre les groupes, les individus. L’homme développe une solidarité et des liens sociaux qui lui garantissent la vie, sa vie et le développement de sa société. Ce phénomène, observable partout comme l’ont soulignés Kropotkine et à sa suite d’autres chercheurs, permet aux groupements humains de se développer et d’exister dans le temps. La collaboration entre tous est toujours présente aujourd’hui et évite l’écroulement et la destruction des sociétés soumises en grande partie à la domination et au capitalisme. Que ferions nous sans ces échanges ? L’aide spontanée, le don, la solidarité nous permettent, d’une part de conserver des rapports sociaux les plus harmonieux possibles et d’autre part de créer de la richesse économique, sociale, culturelle.
Le principe de la lutte et de la concurrence sont les moteurs de la domination et du capitalisme, les rapports dominants/ dominés sont présentés comme naturels, inéluctables, inévitables. Que ce soit par la mondialisation du commerce et des échanges, l’allégeance de médias aux pouvoirs, la présence des religions, le renforcement des États et leur connivence avec l’économie, une certaine pensée qui se présente comme libérale cherche à transformer nos vies dans un sens totalitaire.
Mais, nous avons pu voir qu’un grand nombre d’entre nous est loin d’adhérer à cette pensée. Que ce soit par le mouvement anti-CPE, les émeutes de novembre 2005, les actions des précaires dans les ANPE, la mobilisation contre le contrôle social ou encore ailleurs les luttes dures et violentes en Argentine, Bolivie, et dernièrement au Mexique (Oaxaca, Atenco, Chiapas…) pour ne citer que les plus connues, un mouvement social se créé, se cherche, prêt à renverser et détruire les systèmes qui nous exploitent et passer ainsi du rêve d’une vie libre et solidaire à sa réalisation concrète. Ces exemples récents et bien d’autres qu’il suffit de chercher dans l’actualité et dans la vie quotidienne suffisent à nous convaincre de la justesse de nos choix.