Les espaces autogérés semblent indisposer les pouvoirs publics : parallèlement aux menaces planant sur le squat des Tanneries, un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale autogéré à Bourg-en-Bresse, le Far
1, est dans le collimateur du préfet de l’Ain.
L’association Foyer Accueil Réinsertion, qui deviendra ensuite Oser, naît en 1974 et conduit à la création d’un CHRS en 1976. Le directeur désigné par le conseil d’administration, Dominique Castagnet, décide d’orienter la structure vers l’autogestion. Au terme d’un conflit avec le CA, les salariés prennent le pouvoir. L’équipe peut alors mettre en place un système autogéré et égalitaire : statut identique (tous animateurs), salaire égal pour tous (répartition équitable de la masse salariale et mise en œuvre d’une péréquation en ce qui concerne certaines primes : on donne plus à ceux qui sont les moins diplômés, etc.), élection et rotation des responsables, décisions prises au cours d’une réunion hebdomadaire de l’équipe (chaque salarié peut inscrire ses préoccupations dans un cahier destiné à constituer l’ordre du jour), absence de spécialisation des tâches (chacun devient à son tour comptable, gestionnaire, conseiller prud’hommes, factotum, négociateur, syndicaliste, assistant social, employé de ménage...).
Le fonctionnement autogéré va se renforcer avec la prise en considération des résidents du CHRS, notamment grâce à l’arrivée de nouveaux éducateurs en 1980. Les relations entre les salariés et les personnes hébergées deviennent moins condescendantes et conflictuelles, voire solidaires. En 1990, les personnes accueillies rejoignent les salariés dans un mouvement de lutte contre la suppression de 2 postes d’animateurs : un bivouac devant la préfecture se terminera par une intervention musclée des forces de l’ordre (l’occupation du square contre un projet de suppression de poste sera réalisée pendant quatre années consécutives). Rebelote en mars 2005 alors que le CHRS est maintenant géré par l’association Oser, qui englobe aussi la gestion du 115, d’un hôtel social (Le Temps des cerises) et l’accueil des migrants. Le camp dure alors 3 nuits.
Cette solidarité de lutte conduit à l’association des résidents au fonctionnement de la structure : ils sont représentés dans les instances directives et notamment, depuis 1991, au sein de l’assemblée générale de l’association qui se réunit le samedi après-midi.
Existe-t-il meilleure expérience de réinsertion que de pouvoir exercer une responsabilité, mener une lutte pour défendre ses intérêts ? La connivence entre salariés et résidents qui s’est tissée grâce au fonctionnement autogéré favorise une solidarité qui s’exprime notamment par la mobilisation en cas de menace. Une situation malheureusement très fréquente pour l’association.
L’autogestion : une alternative qui dérange Tout n’est pas parfait. Les nouveaux salariés ont parfois du mal à accepter l’autogestion égalitaire (tensions à propos du salaire et du statut. Certains se plaignent de devoir assumer trop de responsabilités et réclament que chacun prenne sa part. D’autres revendiquent un statut différent, etc.)
Cependant, le véritable danger vient de l’extérieur et en particulier des pouvoirs publics qui ne voient pas toujours d’un très bon œil le fonctionnement de l’association. La DDASS et la préfecture tentent vainement de la faire chuter sur des questions de gestion financière. Le rôle attribué aux résidents n’est semble-t-il pas non plus du goût de tout le monde : lors du conflit de mars 2005, la préfecture de l’Ain a refusé que des représentants des personnes accueillies figurent parmi la délégation reçue pour négocier.
L’administration tente plusieurs fois d’asphyxier financièrement et de faire disparaître la structure (en décembre 2006, le préfet lui retire la gestion du 115). Une véritable offensive a lieu en janvier 2007 et provoque une grave crise
2. Les salariés se mettent en grève le 12 janvier et occupent de nouveau, avec des résidents du Far et du Temps des cerises, le square Joubert, en face de la préfecture, pendant 88 jours. Ils protestent contre une réduction des financements qui met en péril l’avenir de l’association (- 30 % pour la subvention de la DDASS entre 2004-2006 alors que les effectifs sont stables avec environ 18 équivalents temps plein). Après la levée du camp, le 20 avril, 120 personnes manifestent pour dénoncer le sabordage orchestré par l’administration.
« L’autogestion se veut être une forme d’organisation sociale privilégiant l’émancipation de tous les acteurs participant à la vie d’une entreprise. C’est donc une idée révolutionnaire, au sens du renversement d’un ordre établi selon le modèle de l’organisation pyramidale *. »
« Le responsable administratif, le comptable, seront élus pour une durée de deux ans renouvelables une seule fois. Un premier tour indicatif a lieu sans candidature préalable. Les « pressentis » ont alors quinze jours pour faire officiellement acte de candidature ou décliner l’offre. […] Être élu responsable ne donne droit à aucun avantage particulier ni pécuniaire, ni en termes de pouvoir hiérarchique ou d’un quelconque droit de veto sur les décisions de l’équipe. Pendant la durée de leur mandat les responsables ne sont pas détachés de ce qu’on appelle dans le langage maison « travail éducatif ». Même s’ils font moins de nuits, ils assurent comme leurs collègues des gardes de week-end. Enfin, ils sont soumis à des bilans réguliers et sont révocables à tout moment par l’équipe. »
* Extrait de « Histoire sans fin » (récit écrit en 2001 par un salarié présent depuis 1979), http://www. oser-lefar.org. |
La préfecture refuse d’étudier les propositions de réduction des coûts de fonctionnement faites par l’équipe. Pire, elle a même entrepris de briser le mouvement de grève en suspendant illégalement le versement de la dotation mensuelle. Le préfet surenchérissant dans ses exigences : versement en contrepartie de la réouverture du Far, puis de l’évacuation du square et enfin reprise totale du travail par tous les salariés. L’administration a même exigé les noms des grévistes !
Une procédure de liquidation judiciaire est lancée dès le mois de février et soumise au jugement du Tribunal de Grande Instance. Le 22 mars, un premier jugement a conclu à la nécessité de poursuivre l’observation de la situation. Un administrateur indépendant a été désigné pour examiner les comptes de l’association et a pu se rendre compte que le déficit du CHRS était causé par la baisse des subventions et non par une gestion calamiteuse. L’association Oser réclame des moyens permettant d’aider 116 personnes dans les différentes activités qu’elle gère (CHRS, hôtel social et mobil home pour l’accueil des familles avec enfants). Le second jugement, rendu le 9 mai, prolonge la période d’observation jusqu’au 21 juin 2007, à la demande de l’administrateur judiciaire. Il faut dire que la liquidation coûterait plus cher à l’administration que la poursuite de l’activité. Affaire à suivre...
Le cas de l’association Oser offre l’exemple d’un fonctionnement autogéré efficace, en l’occurrence dans le domaine de l’aide aux personnes marginalisées : l’autogestion a contribué à une amélioration des services rendus par la structure. Il est révélateur aussi de l’animosité des pouvoirs publics face à un fonctionnement bafouant l’ordre hiérarchique traditionnel. Le fait que cette structure favorise la participation des plus défavorisés aux luttes sociales pour la défense de leurs intérêts a aussi de quoi inquiéter l’administration.