Les récents développements de « l’affaire » Gautier-Sauvagnac m’amènent à exprimer ici, hautement et clairement, mon indéfectible reconnaissance, ma gratitude éperdue, à l’ensemble des responsables syndicaux ayant accepté de se laisser acheter par les délicates petites attentions de nos généreux patrons, inquiets de la dégradation du climat affectif entre exploiteurs et exploités, et de la terrible déperdition de tendresse qui en est issue. Daniel Dewavrin, qui n’est pas la moitié d’un con, puisqu’il est ni plus ni moins l’ex-président de l’UIMM (Union des Industries et Métiers de la Métallurgie), évoquant à mots joliment couverts l’excellence du service rendu par ces fiers délégués du salariat, dit en substance que les pots-de-vin que ces derniers recevaient, permettaient de « fluidifier les relations sociales », assimilant au passage, assez éloquemment, les mouvements sociaux à autant de grumeaux dans la pâte à crêpes du MEDEF. Alors oui, vraiment, j’ose le clamer haut et fort : amis réformards, membres des commissions paritaires, régulateurs du « dialogue » social, n’ayez pas honte ! Ne vous laissez pas effaroucher par les persiflages faciles et les broncas des âmes aigries. Je vous ai compris, mes amis, mes frères, mes anges-gardiens. J’ai saisi toute la subtilité de votre stratégie, et je vous remercie, du fond de mon coeur candide ; car enfin, n’est-il pas désormais admirablement évident, votre tendre souci des intérêts du travailleur, n’est-elle pas indéniable, la douce sollicitude paternelle dont vous fîtes preuve à notre endroit, au fil des années, lorsque vous vous efforçâtes, en toute admirable discrétion, de nous protéger de nos propres ardeurs belliqueuses ? C’est vrai, quoi, on est là, chauds bouillants, on s’emballe, on se monte le bourrichon, comme dirait ma mère, avec d’utopiques et naïves envolées lyriques, et vas-y que j’exige qu’on respecte mes droits, et vas-y que je parle de justice sociale, comme si ça existait, comme si c’était possible... De par votre œuvre souterraine, nous le savons maintenant, vous avez constamment rappelé l’axiome suivant : certes, un autre monde serait souhaitable, mais de là à le rendre possible, faut pas pousser ! Ce serait compliqué, faudrait réfléchir, et se bouger le fondement, et renoncer à passer aux yeux du monde pour les altiers « partenaires sociaux » qui font que rien ne change... Ne contribuâtes-vous pas, donc, à nous préserver, sans nous demander notre avis, mais c’était pour notre bien, des fâcheux désagréments de la lutte sociale ? Ne fîtes-vous, à notre insu – ce qui vous honore – notre bonheur, en nous évitant les inconforts des aventures hasardeuses, en maintenant à tout prix ce que l’on nomme usuellement la « paix » sociale, douce expression qui respire l’authentique joie du consensus mou du cul et du statu quo des injustices immuables ? Nous devrions tous vous remercier, à genoux, pour cet ineffable cadeau: la perpétuation, sereine et inentamée, des déséquilibres sociaux, du monde tel qu’il est, des choses-qui-sont-comme-ça-et-pis-c’est-tout, bref, l’acceptation, placide, bovine, et résignée, de l’ancestrale crapulerie des puissants et des exploiteurs. En acceptant, comme vous l’avez tant fait, d’abandonner à leur sort les pauvres hères qui vous faisaient confiance, de ranger vos fragiles convictions au fond de vos poches, avec le mouchoir dessus, voire même les quelques mignonnes gratifications que vous octroyaient vos généreux interlocuteurs (colifichets, verroteries, douceurs variées, retraites dorées...), vous avez contribué à cette formidable entreprise du dialogue social, et de la paix du même nom ; pour cela, ô modestes bienfaiteurs clandestins, soyez décidément remerciés. Ne vous laissez, sous aucun prétexte, détourner de votre sainte œuvre : calmer les soifs de révolte de la populace, dévoyer son ire légitime de son but naturel, lui proposer de plus accommodants débouchés, pour finalement la couvrir d’un pudique éteignoir. Merci, encore et toujours, de vous être ainsi haussés au niveau, pourtant exigeant, de votre grande aînée dans l’art de refroidir les prétentions prolétaires au bonheur, j’ai nommé l’église catholique, autre grande prosélyte de la résignation. Vous avez manifesté, de manière parfaitement explicite, que votre seule raison d’être, à vous autres syndicats réformistes adeptes du « dialogue » avec nos ennemis, réside dans la pantomime, la parodie, l’illusion de la négociation, dans le fait de donner le change et de détourner l’attention du brave populo des saloperies en marche, comme un quelconque connard de torero avec sa muleta de minable. Vous avez su montrer, définitivement, que vous ne défendez que vos gueules, vos planques, vos structures, vos financements, et, accessoirement, les intérêts des patrons. Vous avez donc si bien contribué à écœurer le public des basses manœuvres paritaires, qu’à n’en pas douter, quiconque dans ce pays conserve un morceau de cerveau, un brin de conscience, et une once de dignité, s’empressera d’adhérer, dans un irrépressible élan révolutionnaire, au principe du seul syndicalisme qui vaille, celui de combat. De là à ce que tous ces gens-là rejoignent la CNT-AIT, il n’y a plus qu’un pas. C’est pourquoi, chers amis corrompus, chers traîtres, chers salauds, par mon entremise, la révolution vous remercie, en même temps qu’elle vous emmerde.
Bien sincèrement.
Eva F.
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – octobre/novembre/décembre 2007 n° 213)