Mondragon, quand l’autogestion flirte avec le capitalisme

Née en 1956, Mondragón Corporación Cooperativa est aujourd’hui un groupe d’environ 220 entreprises comptant plus de 80 000 salariés en 2006 1 http://www.mcc.es/fra/cooperativismo/experiencia.html. Site en français du groupe. , mais la moitié seulement en coopérative et sociétaires du groupe. Mondragon, coopérative basque espagnole, illustre parfaitement les limites des expériences de gestion directe des entreprises dans un contexte capitaliste. Cet exemple est ambivalent : réussite spectaculaire pour une coopérative (7e entreprise industrielle de l’Espagne) ou dérive dangereuse vers un fonctionnement capitaliste ?

Une des plus grandes coopératives du monde
Mondragón Corporación Cooperativa a vu le jour en plein franquisme dans un fief du nationalisme basque, opposé au régime de Franco. Tout commence avec la société Ulgor, créée par 5 amis : Luis Usatorre, Jesús Larrañaga, Alfonso Gorroñogoitia, José María Ormaechea et Javier Ortubay. Mais le véritable initiateur de l’Expérience coopérative est le prêtre José María Arizmendiarrieta, créateur de l’Eco-le professionnelle de Mondragón d’où sortiront les 5 fondateurs d’Ulgor.
Le statut particulier des employés embête l’Etat qui décide en 1958 de les exclure du système de sécurité sociale. En réponse, les salariés mettent en place un fonds de prévision sociale, aujourd’hui nommé Lagun-Aro. Dans le même esprit est créé en 1959 un organisme de crédit destiné à soutenir les coopératives du groupe: Caja Laboral Popular. Cette super-structure où les représentants des coopératives sont majoritaires gèrent ainsi les finances de Lagun-Aro.
Progressivement le groupe s’étoffe, aux coopératives de base (Ulgor, Arrasate/Fagor) s’en ajoutent de nouvelles : Copreci, Ederlan, Lana en 1962, Eroski (fusion de 5 coopératives de consommateurs) en 1970, etc. A cette date, le groupe compte 9 000 salariés et 100 000 épargnants pour Caja Laboral.
Le groupe s’organise donc autour de 3 branches : industrie (métallurgie, fabrication de machines et d’outils, électroménager, etc.), finance (Caja Laboral Popular) et commerce (Eroski). Il possède aussi des centres de recherche (un pôle d’innovation) et une université privée. MCC est devenue une véritable multinationale implantée dans une quinzaine de pays 2 (Chili, Mexique, Argentine, Pays-Bas, Maroc, Chine…) et notamment en France.
Le groupe ne compte pas que des coopératives (elles sont environ 130), il a par exemple racheté Brandt. Néanmoins, il compte environ 32 000 salariés sociétaires (sur un total de 70 000 travailleurs en 2004), soit environ l’équivalent de toutes les SCOP françaises.
Les effectifs du groupe sont essentiellement implantés dans le Pays Basque (45 %) et l’Espagne (18 %). L’international ne compte que pour 18 % du total 1 http://www.mcc.es/fra/cooperativismo/experiencia.html. Site en français du groupe. . Selon les données du groupe, MCC représente 82 000 salariés (en 2006) et un chiffre d’affaires de près de 12 milliards d’euros (en 2005 1 http://www.mcc.es/fra/cooperativismo/experiencia.html. Site en français du groupe. .

Un risque de dérive capitaliste
Mondragón est partiellement composée d’entreprises capitalistes (non coopératives) qui représentent la moitié des salariés du groupe (données 2004). Ceux-ci sont donc exclus de la gestion de leur entreprise. Dans le Pays Basque, seuls 20 % des travailleurs ne sont pas coopérateurs : une formation à la gestion permet aux employés de devenir coopérateurs au bout de 2 ou 3 ans 2 http://joel.martine.free.fr . Cette transformation en coopérative n’est pas encore envisagée en ce qui concerne les établissements à l’étranger.

Quelle est la structure de base de MCC ?

La Coopérative individuelle constitue le niveau de base de la structure organisationnelle de MCC, avec son assemblée générale comme organe suprême d’expression et de souveraineté et son conseil recteur comme le plus haut organe de gestion et de représentation, responsable de la désignation du directeur gérant.
Huit vice-présidents, aux côtés de trois directeurs de département du centre corporatif, intègrent le conseil général, dirigé par son président. Le conseil général est l’organe responsable de l’élaboration, de la coordination et de l’application des stratégies et des objectifs corporatifs.
Par ailleurs, la commission permanente de l’assemblée coopérative est l’organe de gouvernement chargé d’impulser et de contrôler l’exécution des politiques et des accords adoptés par l’assemblée, en procédant au suivi constant de l’évolution entrepreneuriale de MCC et de la gestion de la présidence du conseil général. La commission est intégrée par 20 membres élus, en représentation des 14 divisions de la corporation.
L’assemblée coopérative est l’organe suprême de souveraineté et de représentation de Mondragón Corporación Cooperativa, équivalent à sa grande assemblée générale. Il est intégré par 650 membres, qui représentent toutes les coopératives adhérées et dont les décisions les concernent toutes.


Cette stratégie d’investissement capitaliste vire au cocasse quand Mondragon délocalise en Chine ! Le groupe tente de se justifier en arguant que les restructurations se font sans casse sociale et qu’il essaie de développer les droits des travailleurs chinois dans ses établissements, promettant « plus de participation des travailleurs et une meilleure répartition des bénéfices dans l’entourage local 3 http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/ basque/dossier.asp?ida=434538 » . Faut-il se réjouir de l’amélioration de leurs conditions de travail et de la performance des coopératives ou déplorer que des entreprises autogérées acceptent de jouer le rôle d’exploiteur ? Jesus Catania, président de MCC a expliqué : « Pourquoi le fait d’être une coopérative devrait-il nous empêcher de gagner des marchés? Nous sommes une entreprise comme les autres. La différence, chez nous, c’est que tous les salariés sont capitalistes. 3 http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/ basque/dossier.asp?ida=434538 » »

Fonctionnement de MCC

Le groupe se compose de salariés actionnaires et propriétaires qui perçoivent donc des dividendes en fonction du capital qu’ils possèdent dans leur entreprise. C’est l’assemblée générale qui fixe la part qui pourra être redistribuée et celle qui sera réinvestie dans la société pour assurer sa survie et son développement. Cette assemblée fixe aussi les grandes orientations de l’entreprise et élit des représentants selon le principe « une personne, une voix ».
La direction du groupe est élue lors du congrès des représentants de toutes les coopératives.
Les fonds mis en commun permettent un financement solidaire pouvant être utilisé pour soutenir une coopérative en difficulté ou qui aurait besoin d’investir. C’est aussi ce « trésor de guerre » qui finance la formation et la protection sociale des salariés.


Autre compromission avec le système capitaliste : les coopératives manquent parfois de capitaux et font appel à des investissements privés. Si le fonds commun géré par Caja Laboral permet de financer le développement des entreprises du groupe, certaines ont besoin de capitaux supérieurs à ce que l’on peut leur attribuer : c’est le cas d’Eroski, qui en 2002 a émis des titres de participation 2. Toutefois, les investisseurs étrangers n’ont pas de pouvoir quant à la gestion de l’entreprise. Enfin, les assemblées générales n’hésitent pas à prendre des décisions drastiques au nom de la réussite financière : gel des salaires, préretraites, hausse de la productivité, etc. Tous ces sacrifices sont étudiés par le conseil social, composé de représentants élus, chargé de défendre les intérêts des salariés (sorte de comité d’entreprise) et de contrôler l’action du conseil recteur (sorte de conseil d’administration) 4 Y. Lebourdonnec, « Mondragon : la réussite par l’autogestion », Enjeux-Les Echos, janvier 1998. .
Mondragon illustre la compétence des salariés à pratiquer une gestion directe, mais aussi les risques de perversion liés à l’inscription des entreprises autogérées dans un contexte capitaliste.

Syndicat intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – octobre/novembre/décembre 2007 n° 213) Imprimer

1 - http://www.mcc.es/fra/cooperativismo/experiencia.html. Site en français du groupe.
2 - http://joel.martine.free.fr
3 - http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/basque/dossier.asp?ida=434538
4 - Y. Lebourdonnec, « Mondragon: la réussite par l’autogestion », Enjeux-Les Echos, janvier 1998.