Pièges à éviter pour que l’autogestion ne fonce pas dans un mur

L’autogestion anarchiste doit permettre l’émancipation des travailleurs, c’est-à-dire leur libération à l’égard de contraintes et pressions sociales qui constituent des formes d’aliénation : soumission à l’autorité de dirigeants, nécessité de vendre sa force de travail pour subvenir à ses besoins, tyrannie du consumérisme, dégradation de notre cadre de vie à cause du productivisme et de la course folle à la croissance… Ces agressions ne se limitent pas au monde du travail, mais sont le produit et le fondement d’un système social découlant d’un mode de production capitaliste. Par conséquent, une entreprise autogérée ne peut représenter qu’une émancipation partielle car elle ne suffit pas à briser toutes les pressions, notamment celles qui relèvent de l’organisation politique.
Ces expériences se limitent à une gestion d’entreprise par les salariés au sein d’une économie capitaliste. Ces sociétés, même si elles représentent un mode d’organisation novateur, sont obligées de se plier aux règles du marché et de la concurrence. En conséquence, les entreprises autogérées risquent de reproduire les mêmes travers et de sombrer dans l’« auto-exploitation ». Beaucoup de ces expériences sont même menées dans un contexte de crise qui oblige les travailleurs à consentir à de lourds sacrifices, notamment en temps consacré à la production (Lip, Marketube…). Les salariés expliquent alors que ces efforts supplémentaires sont plus faciles à accepter quand on sait que l’on travaille pour soi et que le fonctionnement de l’entreprise est un projet collectif dans lequel on s’inscrit. Les travailleurs restent alors enchaînés à la nécessité de la productivité et de la rentabilité. Dans ces conditions, peut-on considérer qu’il y ait libération des salariés quant à l’aliénation que représente leur emploi ?
Quelle est la structure de base de MCC ?

Marketube

Hiver 1974, l’usine Isotube de Marquette (fabrication de tubes plastiques), près de Lille, appartenant au groupe Nobel Bozel, est condamnée à la fermeture. Sur les 50 ouvriers, une quarantaine décident d’occuper l’usine pendant un an. Pour survivre, ils fabriquent des lampadaires et des peluches. En 1975, grâce à de nombreux soutiens financiers et à leur prime de licenciement, 7 ouvriers récupèrent l’établissement et fondent Marketube, qui deviendra ensuite une SCOP.
Aujourd’hui, l’entreprise compte 13 salariés. Elle appartient aux travailleurs qui en sont actionnaires (les nouveaux le deviennent au bout d’un an). Une assemblée générale des travailleurs se réunit chaque mois, celle des actionnaires a lieu annuellement. Un salarié occupe le poste de PDG (sans salaire mirobolant : 1 400 euros), mais le directeur commercial se contente d’expliquer que le sien représente « moins de quatre fois le salaire de base, comme le prévoit le statut des SCOP ». Quand tout va bien, les salariés se partagent équitablement le gâteau, mais en cas de coup dur, des licenciements ont lieu (3 en 1997 à cause de difficultés financières).
En bref, un compromis bancal entre autogestion et capitalisme. En tout cas, un fonctionnement qui satisfait les travailleurs prêts à s’investir et à rester à tout prix.

« Trente ans que leur tube tient la route », Libération, 26 décembre 2005. http://www.liberation.fr/page.php?Article=347352


La Montagne vivra


En 1980, l’Institut Médico-Pédagogique « la Montagne » de Cormeilles-en-Parisis (95) est fermé. Les salariés décident d’occuper l’établissement d’octobre 1980 à juillet 1981. Ils obtiennent alors le droit de poursuivre leur activité : un centre d’accueil d’urgence pour adolescents, déjà mis en place lors de l’occupation.
Le nouvel établissement, « la Montagne vivra », « est une association loi 1901 qui fonctionne depuis 1981 en autogestion. Elle emploie aujourd’hui 33 personnes ».
Une assemblée générale mensuelle fixe les orientations à venir et valide les décisions prises par un secrétariat exécutif (la directrice et un employé renouvelé tous les 6 mois), assisté de 2 autres travailleurs pour gérer les affaires courantes. Les principes de fonctionnement sont donc : « une personne, une voix », polyvalence et rotation des tâches (un coordinateur est désigné toutes les 7 semaines). Les bénévoles sont également associés aux décisions au même titre que les salariés.
http://www.la-montagne-vivra.org
http://www.autogestion.coop/article.php3?id_article=17


La Péniche


Fin 1995, 3 salariés licenciés et quelques connaissances décident de créer une entreprise autogérée « sans pouvoir, sans hiérarchie » et « ayant pour objectif de travailler moins et plus agréablement ». Ainsi est née La Péniche, SARL de 8 personnes : rédacteurs, correcteurs et maquettistes travaillant pour des publications d’économie sociale.
Chaque travailleur est actionnaire à part égale. Pas de véritable spécialisation, mais les préférences de chacun limitent la polyvalence. Un salaire horaire unique est institué pour tous. Les décisions sont prises collectivement à l’unanimité au cours d’une réunion hebdomadaire, mais un gérant-potiche est tiré au sort chaque année pour respecter les règles juridiques. Temps partiel et plafonnement des salaires sont aussi des principes choisis et acceptés par tous.
Le statut de SARL a été préféré à celui de SCOP pour échapper à certaines contraintes de la coopérative, notamment les contrôles réguliers du Mouvement coopératif sur le fonctionnement de l’entreprise.


http://www.la-peniche.fr
http://www.autogestion.coop/article.php3?id_article=15. Le site autogestion.coop, œuvre de La Péniche, présente quelques exemples d’entreprises autogérées et des réflexions sur le fonctionnement autogestionnaire.
http://www.groupe-sos.org/ecosol/peniche.php.


Ces impératifs financiers peuvent également pousser le groupe à licencier du personnel ou à accepter une dégradation des conditions de travail. On risque aussi de négliger les principes de sécurité ou de respect de l’environnement pour rester compétitif face à la concurrence. Enfin, le souci d’efficacité peut inciter à accepter que certains « spécialistes » jugés plus compétents accaparent le pouvoir de décision et la gestion de l’entreprise. Le maintien d’une hiérarchie est aussi assez fréquent. Par ailleurs, bon nombre d’expériences autogestionnaires ont sombré ou capoté faute de rentabilité.
Dans une perspective révolutionnaire libertaire, on ne peut se contenter d’une entreprise sans patron. Il faut également que celle-ci soit centrée sur le bien-être des populations et des travailleurs, non pas sur la recherche insatiable de profits. Certaines de ces expériences sortent ainsi du lot car elles tournent le dos à l’essence de l’entreprise capitaliste (le productivisme) autant qu’à son fonctionnement (la hiérarchie patronale). On voit alors apparaître des caractéristiques qui représentent une profonde remise en cause du modèle capitaliste et un réel affranchissement des travailleurs : - la réduction volontaire du temps de travail et le choix du travail partiel (Ambiance bois ou La Péniche). On débouche parfois sur l’acceptation d’une limitation de ses revenus qui traduit un affranchissement du consumérisme. L’épanouissement individuel prend l’ascendant sur l’enrichissement matériel.
- le souci de respecter l’environnement et de produire « utile », non pas pour le simple plaisir d’amasser des profits. C’est un principe clairement affirmé dans le projet d’Ambiance bois, repris aussi par les Marketube qui ont l’intention de fabriquer des tubes en plastique biodégradable, à base de maïs, d’épluchures de pommes de terre et de petits pois.
- la mise en œuvre d’une gestion véritablement démocratique. C’est-à-dire sans hiérarchie, ni privilèges. Tout le monde ayant le même poids, à défaut d’avoir la même fonction. La rotation des tâches, quand elle est consentie, favorise l’égalité et l’épanouissement dans le travail.

Syndicat intercorporatif de Châteauroux
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – octobre/novembre/décembre 2007 n° 213) Imprimer