Du 17 décembre au 6 janvier, le métro de Madrid a été le théâtre d’une importante grève impliquant l’ensemble du secteur du nettoyage, soit 1 500 personnes. Cette grève, convoquée par tous les syndicats (UGT, USO, CGT, CNT-AIT, SUT) à l’exception des Commissions Ouvrières (CCOO), revendiquait notamment la stabilité de l’emploi, un complément salarial pour toxicité et dangerosité du travail, la semaine de 35 heures, le versement complet du salaire dès le premier jour de maladie, une protection pour les femmes enceintes et surtout l’unification des salaires à la hausse. Au cours de la lutte, s’est ajoutée la revendication de la réintégration des camarades licencié-e-s.
Dans le métro de Madrid, quatre entreprises concessionnaires se partagent l’adjudication du secteur du nettoyage. Les différences salariales d’une entreprise à l’autre peuvent atteindre plus de 300 euros. Par ailleurs, une majorité des salarié-e-s sont précaires.
La grève a été exemplaire en ce qui concerne la mobilisation, mais aussi très dure : menaces, notamment du gouvernement régional de ne pas renouveler les concessions des entreprises concernées ; violences et arrestations lors des piquets de grève ; licenciements ; criminalisation des grévistes dans les médias, etc.
Finalement les entreprises ont cédé sur une grande partie des revendications :
réadmission de tous les licencié-e-s ;
unification des salaires ;
création immédiate de 110 contrats de travail de durée indéterminée ;
intégration progressive à des postes fixes des salari-é-s précaires employés en décembre 2007 en fonction de l’ancienneté ;
engagement à limiter à l’avenir à 20 % au maximum le nombre des intérimaires.
La dangerosité du travail n’est pas reconnue, mais un « plus » salarial de 120 euros sera octroyé progressivement jusqu’en 2011.
Ceci dit, à la fin des négociations, les patrons ont sorti de leur manche une clause de « paix sociale » qui engage les signataires à renoncer à toute mobilisation et grève jusqu’en 2011. Cette clause a été négociée directement par les dirigeants de l’UGT et de la CGT lors d’une réunion avec le patronat tenue en marge du comité de grève. Deux des syndicats présents au sein de ce comité, le SUT et la CNT-AIT, ont alors refusé de signer le pré-accord qui a malgré tout été accepté par une majorité des grévistes réunis en assemblée.
Extraits d’une interview
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Interview disponible sur Internet, Voir également les communiqués sur le site du syndicat Oficios varios de la CNT de Madrid : www.cnt.es/sovmadrid/
d’Antonio Morillo, représentant de la CNT-AIT au sein du comité de grève des nettoyeurs et nettoyeuses du métro de Madrid
Question : Quelle conclusion pouvons-nous tirer de l’accord ratifié par une grande majorité des travailleurs ?
Antonio Morillo : l’accord améliore les conditions économiques des plus précaires (…) garantissant aux gens qui ont participé à la grève la continuité du travail et, à terme, un emploi fixe.
Q. : Que signifie la signature de la paix sociale ?
A. Morillo : […] La paix sociale signifie qu’il ne sera pas possible de lutter pour les revendications qui n’ont pas été obtenues […]. Nous aurions signé l’accord s’il avait laissé la porte ouverte à l’utilisation de l’action directe dans les luttes à venir. De plus, les statuts de la CNT disent clairement qu’on ne signe aucune paix sociale.
Q. : Quelle a été l’attitude des travailleurs durant la grève… ?
A. Morillo : sachant qui travaille dans le nettoyage du métro de Madrid : surtout des personnes qui n’avaient jamais participé à aucune lutte auparavant, [on peut dire que] les travailleurs ont eu un comportement exemplaire. Surtout en tenant compte du fait qu’il y a beaucoup de problèmes économiques, parce que les salaires sont bas. Le « prototype » de l’employé-e du nettoyage est une mère seule avec des enfants ou un travailleur immigré. Il y a aussi des jeunes conscientisés et quelques compagnons des luttes historiques de 1978.
Nous avons fait des choses qui n’avaient jamais pu se faire auparavant, comme une caisse de résistance. Jusqu’ici chacun « appartenait » à une ligne du métro. Maintenant nous sommes tous de toutes les lignes […] je pense que ce conflit a beaucoup apporté à l’heure de ressentir l’unité des travailleurs.
[…] Je crois que la CNT a fait ce qu’elle devait faire dans ce conflit… Nous avons fait tout notre possible. Peut-être qu’on aurait dû mettre plus l’accent sur la méthodologie assembléiste dans les AG, mais je crois que peu à peu les travailleurs se rendent compte qu’ils ne doivent pas être dirigés.
Q. : Quelle a été l’importance de l’appui, en dehors des milieux syndicaux ?
A. Morillo : l’Assemblée d’appui à la grève était sur le point d’organiser trois rassemblements à des bouches du métro, 3 000 affiches ont été collées, des milliers de tracts distribués, un concert était prévu pour soutenir la caisse de résistance… le travail de contre-information était nécessaire parce que jusqu’au dernier jour, les médias nous ont piétinés, nous traitant de délinquants. (…)
Q. : et la crise économique qui vient…
A. Morillo : je prédis qu’il va y avoir pas mal de luttes à Madrid. […] Quand les gens ne pourrons plus payer leur hypothèque, quand ceux qui ont déjà plusieurs emplois verront qu’ils n’arrivent pas à la fin du mois, quand les 8 heures quotidiennes ne sont pas respectées et qu’en plus on n’arrive pas à couvrir ses besoins, alors il y aura des luttes. 500 000 emplois ont été perdus dans la construction et aucun tissu industriel n’a été prévu pour les accueillir…
Par ailleurs, il faut souligner le rôle des délégués des CCOO durant la grève du nettoyage, il a été assez positif […]. Cela malgré la décision de l’exécutif des CCOO de ne pas convoquer à la grève. Celui-ci a perdu beaucoup de crédibilité. La hiérarchie a été contredite lorsque les 640 affilié-e-s des CCOO ont appuyé la grève.
Dans un proche avenir, un syndicalisme beaucoup plus combatif va se renforcer. De fait, il a été démontré que lorsqu’il y a eu quelques débordements, nous avons été réprimés par la police, par les vigiles, par les médias… les bases ouvrières, les mouvements sociaux ont été lynchés. Mais les syndicats qui refusent le modèle dominant et tout le secteur social critique nous ont appuyés. […]