De la révolution sociale à la guerre, en Espagne
Intéressé par cette période révolutionnaire qui a été probablement le mouvement d’émancipation le plus prometteur pour le prolétariat du XXe siècle, c’est avec une certaine satisfaction que j’ai dévoré cette analyse pointue. Je me souviens des années soixante où après avoir vécu ce que les faux-culs ont appelé « les événements de 68 », mes copains et moi avions assisté à une réunion publique sur la « CNT et la révolution espagnole », animée par des exilés espagnols. Nous en sommes repartis frustrés des occultations que ces derniers continuaient à véhiculer au mépris de toute honnêteté révolutionnaire. Pour nous, la CNT-FAI avait collaboré avec le système capitaliste et ses représentants. Sans oublier les difficultés qu’avaient eues à affronter les révolutionnaires, nier cette évidence n’était pas de nature à considérer l’anarcho-syndicalisme capable de tirer les leçons de cette défaite et être un moyen organisationnel pour changer l’ordre social.
En relatant avec précision à la fois les combats aux fronts et les tractations, indécisions, voire intrigues de l’arrière, Miguel Amoros met à jour sans ambiguïté le fossé qui ne cessera de s’agrandir entre l’« organisation » (la CNT-FAI) et les ouvriers paysans. Le côté désespérant, comme le rappelait un copain, c’est que l’on peut même penser que, dès le début, cette séparation existait. D’une part des ouvriers et des paysans mettant en place le communisme libertaire dans les lieux libérés, de l’autre des bureaucrates, idéologues anarchistes, ne croyant pas aux masses, cherchant du pouvoir et de la reconnaissance. Certains révolutionnaires vont s’opposer aux renoncements. Durruti sera de ceux-là et on peut penser que ses déclarations contre la dictature stalinienne ne sont pas passées inaperçues en Russie et qu’il fut très vite « la cible » pour des services secrets aux énormes moyens. Camillo Berneri aussi, mais son influence était certes moindre de par sa nationalité italienne. Ce qui est paradoxal c’est que des anarchistes de bureau (ou de comptoir ?) relaieront l’hypothèse de la collaboration de Durruti avec les staliniens (l’ex-secrétaire de la CNT française, au moment de la scission de 1991, en fut !), bien entendu sous le prétexte imparable d’avoir des moyens pour poursuivre la guerre. L’assassinat de Durruti sera le dernier obstacle à la militarisation de milices, le début de la fin de la révolution, même si l’on peut penser que, lors des barricades de mai 37 à Barcelone continuaient d’exister d’importantes forces révolutionnaires.
Miguel Amoros relate aussi le voyage d’une délégation de l’« organisation » à Moscou en novembre 36. Quelles très mauvaises raisons peuvent-elles être invoquées alors que de nombreux compagnons anarchistes ont été assassinés en croupissant dans les geôles des « camps soviétiques » ? Le problème des armes a souvent été la pierre incontournable des arguments invoqués par les bureaucrates pour justifier leur « réalisme ». Vu les réserves d’or de l’Espagne, il est invraisemblable que des armes n’aient pu être trouvées sur le « marché ». Miguel Amorós cite les interventions du secrétariat de l’AIT de l’époque, le Français Pierre Besnard, et on ne peut que constater que tous les freins étaient mis pour ne pas se procurer d’armes autres que soviétiques. Par contre, aucune retenue pour « mettre à l’abri » l’or dans les caisses bolcheviques !
Miguel Amorós pointe aussi la censure qui s’installe dans Solidaridad Obrera avec la nomination de Toryho qui suit à la lettre les recommandations soviétiques, n’hésitant pas à traquer les discours de Durruti pour servir la cause de la collaboration. Les déclarations de F. Montseny, ministre anarchiste de la santé confirment l’enterrement de la révolution libertaire : « Nous, anarchistes, avons appris par expérience qu’une transformation n’était possible que si nous participions aux organes du pouvoir ; cela tout le monde a dû l’admettre. Nous l’avons admis et soutenu depuis toujours. Aujourd’hui, en réalité, les différences idéologiques qui nous séparaient ont disparu, dans la mesure où nous avons tenu compte des faits accomplis qui nous imposaient de prendre part à la direction du pays… » (27 octobre 1936 – La Vancuardier). Ou encore le 1/12/1936, reproduit dans Fragua Social : « Le problème se limite à ces deux aspects : accepter une force militaire organisée, structurée, avec un commandement et une discipline, des chefs dont on exécute un commandement et une discipline, des chefs dont on exécute les ordres dans le seul domaine militaire, et ainsi nous pourrons faire la guerre comme on doit la faire… ».
Comme le rappelle Miguel Amorós : « les anarchistes de la base n’avaient pas failli, loin de là, et comme nous l’avons déjà vu, les agents russes faisaient bien la différence entre la majorité des responsables pro-staliniens et les anarchistes révolutionnaires, qualifiés d’incontrôlés… ».
Le 21 février 1937, Toryho, dans l’éditorial de Solidaridad Obrera, confirmera la collaboration avec le titre : « Nous renoncerons à tout sauf à la victoire ». Mais l’allégeance aux soviétiques se retournera contre son auteur qui subit une attaque dans la Pravda où furent assimilés aux fascistes les dirigeants des anarcho-syndicalistes !
Que ces brefs commentaires subjectifs du livre vous incitent à le lire et à critiquer toutes les formes de pouvoir, mêmes drapées dans des idéologies libertaires.
Michel, Syndicat intercorporatif d’Amiens
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – janvier/février 2008 n° 214)