Les insurgés face à la réforme constitutionnelle
Plusieurs organisations et individus du Venezuela, impliqués au sein de différentes luttes sociales et possédant diverses approches de la gauche critique et anti-autoritaire, ont convergé dans l’espace insurgentes (insurgés) et ont pris position en ce qui concerne la « réforme » proposée initialement par le Président de la République, Hugo Chávez.
Les constitutions, dans tous les pays, reflètent toujours les rapports de force entre les différentes classes sociales qui composent une société. La « réforme » qui est proposée aujourd’hui donne corps au triomphe obtenu par le capital transnational durant le coup d’état et le sabotage pétrolier de 2002-2003 qui s’est concrétisé par la mise en conformité des Entreprises Mixtes et la livraison de nouvelles concessions minières et pétrolières au capital étranger.
La « réforme » proposée par le Président, les modifications apportées par l’Assemblée Nationale et celles qui s’annoncent s’inscrivent dans un plan de réajustement du capital mondial pour renverser les obstacles qui l’empêchent d’augmenter ses profits à travers le contrôle des sources de richesse énergétiques et minières, de la libre circulation du capital, des biens et des services. C’est ce qu’on a appelé la globalisation ou la mondialisation de l’économie, revendiquant la nature prédatrice du capital mondial.
Le Venezuela, comme pourvoyeur énergétique, minier et de devises se convertit ainsi en un soutien de l’économie capitaliste complètement intégré dans le modèle civilisateur, pervers et génocidaire donnant un coup de pouce vital à la rentabilité des grandes entreprises énergétiques et minières.
L’objectif principal que poursuit le grand capital avec cette réforme est de donner un rang constitutionnel à la propriété mixte entre l’Etat National et le capital privé (via les Entreprises Mixtes) ce qui implique une remise de la souveraineté au transnational et aux gouvernements étrangers, non seulement dans le domaine pétrolier mais aussi dans le domaine minier et dans tout le service public.
Ainsi se légalise ce qui s’est passé à l’Assemblée Nationale en 2006 quand sans aucune consultation elle a approuvé le « Contrato Marco de las Empresas Mixtas ». De cette façon, les entreprises transnationales sont passées du rôle de prestatrice de service à celui de propriétaire de 40 % des hydrocarbures se trouvant dans le sous-sol du Venezuela. Ceci explique l’essence de la « réforme » et explique la rapidité avec laquelle on veut que le peuple légitime électoralement cette nouvelle escroquerie politique. Une fois atteint cet objectif primordial, le capitalisme global permettra au gouvernement bolivarien une série de changements complémentaires pour assurer l’approfondissement et la stabilité du nouveau modèle. A partir de ce moment, la propriété mixte Etat - Capital International devient la base économique de toute la société, non seulement dans l’industrie pétrolière mais aussi dans toutes les branches de l’économie.
Pour parvenir à ses fins, le gouvernement a la nécessité d’introduire entre autres les changements suivants :
1 - concentration du pouvoir entre les mains du Président de la République, en flagrante contradiction avec le principe de participation populaire
En effet, dans la réforme proposée on octroie au Président les pouvoirs les plus étendus qui ne sont soumis à aucun contrôle : chef de l’Etat, chef du gouvernement, chef du Trésor Public et du budget national, souscripteur et ratificateur des Accords et Traités internationaux, Chef suprême de la force armée avec le pouvoir d’intervenir sur toutes les unités et de décider des promotions des officiers, Autorité responsable de la création et du contrôle de nouvelles entités territoriales et de pouvoirs publics, Autorité en charge de la distribution des budgets pour les missions, il nommera les vice-présidents, il établira et disposera des réserves internationales, Contrôleur et directeur du Conseil National du Gouvernement et du Conseil d’Etat, il établira et dirigera personnellement le Plan de Développement du Pays. [...]
L’intention d’attribuer au Président de la République la faculté de nommer les autorités locales et régionales constitue une usurpation du droit de choisir ses représentants et se retrouve en flagrante contradiction avec la proposition de l’article 70 qui propose d’élire les responsables des charges publiques. En fait, le Président détiendra ce droit en toute complicité avec l’Assemblée nationale et le reste des pouvoirs publics.
2 - bureaucratisation et contrôle du mouvement populaire
L’Etat norme et réglemente en un format unique et obligatoire de participation ce qu’on appelle le Pouvoir Populaire, créé et administré par les pouvoirs établis. Le Pouvoir Exécutif National dirige entièrement la dynamique communautaire en vue de lui arracher l’autonomie que détenaient historiquement les mouvements sociaux au Venezuela. [...]
Pour participer au soi-disant Pouvoir Populaire, il est obligatoire d’être inscrit à l’une des organisations sélectionnées par le Pouvoir Exécutif National, ce qui présuppose de fait la perte du droit à la libre organisation et à la libre participation contenues dans l’article 67.
3 - on légalise la dérégulation ou la flexibilité de la main-d’œuvre, et on la présente aux travailleurs comme une avancée révolutionnaire pour qu’ils approuvent la « réforme ».
On reprend la vieille bannière de la réduction de la journée de travail, pour ajuster les conditions de travail aux exigences du capital mondialisé, qui dépend moins chaque jour du travail pour accumuler le capital. Les grandes multinationales ont réussi à imposer progressivement la flexibilité du temps de travail, rémunéré pour les heures travaillées, de façon à se débarasser de l’obstacle que sont devenus les travailleurs dans cette nouvelle réalité mondiale.
La Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela (CRBV) [celle de 1999, NDT] envisageait dans son article 90, la réduction de la journée de travail sans nécéssité de devoir le réformer ; dans l’article 86, l’établissement d’un système national de sécurité sociale gratuit, universel et public ; dans l’article 92 et la quatrième disposition transitoire, la rétroactivité des prestations sociales à travers des lois spéciales que le gouvernement était obligé de promulguer. Le temps libre promis aux travailleurs et travailleuses à l’article 90 de la réforme devait être programmé et organisé par les patrons, mais avec la modification réalisée par l’Assemblée nationale, cette fonction sera désormais réservée à l’État.
4 - la société vénézuélienne se militarise.
Avec cette réforme se consolide le projet impérial d’utiliser une fois de plus les militaires sud-américains comme des agents contre-révolutionnaires, réprimant les conflits internes et actifs dans le combat anti-drogue. Cela se cristallise en incorporant au rôle de la Force Armée Bolivarienne – la milice populaire bolivarienne incluse – les missions du maintien de l’ordre public et de la paix interne, et des fonctions de police administrative et d’investigation pénales.
Cette dimension des changements proposés affectera et aggravera directement la situation des Droits de l’Homme au Venezuela. La militarisation existante dans tous les domaines de notre société n’est rien moins que le prélude à l’établissement d’un Etat totalitaire, clairement explicité dans la réforme et déjà en vigueur dans le Code pénal ainsi que dans la Loi sur la police nationale et contre le terrorisme approuvées au niveau de l’exécutif. Ces lois sont l’instrumentalisation pratique politico-policière de la « réforme » qui garantit au Capital, la paix et la sécurité nécessaire au développement de ses affaires. Ainsi la modification de l’article 337 de la Constitution de 1999 rend possible la suspension du droit à l’information et la procédure normale durant l’état d’exception, ce qui signifie que l’on donne un rang constitutionnel à la doctrine pénale de l’état policier. En bref, l’État vénézuélien, fidèle à son histoire de répression, ratifie une fois de plus le monopole de l’exercice de la violence contre sa population, comme cela se produisit lors des massacres du Caracazo, El Amparo, Yumare, Cantaura, La Paragua, Alto Llano dans l’État d’Apure, Barrio Kennedy, incluant également le massacre d’avril 2002 perpétré par les deux parties.
Dans cet objectif, le Ministère de la défense a annoncé l’entraî-nement de cinq mille franc-tireurs pour « sauvegarder les intérêts de l’État socialiste en particulier dans des cas où l’ordre public pourrait être perturbé attentant ainsi à la tranquillité normale de la cité et spécialement lorsque la sécurité présidentielle est en jeu », ce socle permettra d’intensifier la répression, neutraliser et écraser n’importe quelle mani-festation de protestation populaire contre les violations de l’État.
L’essence capitaliste de l’état vénézuelien ne se réforme pas mais s’intensifie.
La Constitution Bolivarienne du Venezuela de 1999, par les articles 299, 301, 303 octroie à l’initiative privée jointe à celle de l’Etat le rôle de promouvoir le développement du pays ; elle octroie de même à l’investissement étranger les mêmes traitements et avantages qu’au capital local tandis que les entreprises mixtes de l’industrie pétrolière sont institutionnalisées ; ces articles, essence du régime socio-économique du pays, n’ont pas été modifiés dans la « réforme » proposée par le Président. Il est important de souligner que les membres de l’Assemblée par un écran de fumée, tentent d’occulter la véritable essence de la nouvelle constitution, en modifiant seulement en surface les articles 299, 301 et 303, conservant ainsi le fond néolibéral et capitaliste de l’ordre existant contenu explicitement dans les articles réformés 112, 113 et 115. Ils se sont limités à changer et substituer quelques mots maintenant l’intention première, par exemple dans l’article 301 ils ont éliminé le paragraphe final dans lequel on donnait le même rang aux entreprises étrangères qu’aux entreprises nationales, mais dans le même temps, on donne un statut constitutionnel aux entreprises mixtes qui existent déjà et qui continuent de se créer avec des entreprises multinationales et avec des pays et des gouvernements étrangers.
Toutes ces entreprises ainsi que les gouvernements sont assujettis au droit international, violant ainsi l’article 13 de la CRBV qui spécifie textuellement : « Le territoire national ne pourra jamais être cédé, transgressé, loué, ou aliéné, temporairement ou partiellement, à des Etats étrangers ou à d’autres sujets du droit international ». Par exemple, il est inconstitutionnel d’établir des entreprises mixtes avec les gouvernements de Cuba, de la Colombie, du Brésil, du Panama, du Nicaragua, de l’Iran, de l’Algérie, de la Chine, du Vietnam entre autres et également avec des entreprises comme Chevron, Gazprom, Repsol, BP, China Petroleum, Lukoil, Mitsubishi, etc.
Les altérations aux articles 112, 113 et 115 proposées dans la « réforme » sont faites précisément pour donner un rang constitutionnel à la création d’entreprises mixtes dans l’ensemble des branches de l’économie nationale, initiée par ce que l’on a appelé l’ouverture pétrolière dans les années 1990. Avec la « réforme », on reconnaît constitutionnellement aux multinationales la propriété d’une bonne partie (jusqu’à 49 %) de nos réserves minières et pétrolières.
Ceci explique l’opiniâtreté du gouvernement pour accélérer la modification de la Constitution, garantissant ainsi le rôle assigné à notre pays dans la division internationale du capital et du travail par les centres mondiaux de domination : il ne s’agit de rien d’autre que de mettre à leur disposition une main-d’œuvre bon marché ainsi que les ressources naturelles du pays.
Les projets des entreprises mixtes pétrolières et minières impliquent la destruction d’un million de km2 (incluant 5 000 km2 de territoire maritime) qui sera soumis à l’exploration et à l’exploitation pétrolifères, avec des conséquences écologiques connues. La dernière réserve de pêche située entre l’île de Margarita, Los Testigos et Port Sucre sera détruite par le projet gazier Gran Mariscal de Ayacucho (CIGMA). Le plan minier national exposé par le président implique 52 % du territoire national, principalement dans des zones de grande biodiversité comme le sont les états de Bolivar, Amazonas, Delta Amacuro, Sierra de Pejira et les Andes. En ne considérant que Perija on a calculé que les concessions faites aux multinationales du charbon mettent en danger 500 000 hectares de forêt et 7 millions de tonnes de végétation primaire.
L’impact environnemental qu’implique la proposition de réforme est un immense écocide qui touchera tout le pays. Il est inscrit dans les projets du capital international à travers ce qu’on appelle l’« Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-américaine » (IIRSA). Ce plan de destruction est prévue dans la Loi sur les Mines approuvée par l’Assemblée nationale et qui sera effective au moyen de la Loi d’Habilitation du Président de la République.
Nous considérons qu’il ne s’agit pas d’une simple « réforme », nous sommes devant des modifications qui portent atteinte et transgressent les principes fondamentaux établis dans les premiers articles de la Constitution.
En résumé, on veut établir que la Constitution, en tant que norme juridique suprême, garantira la possibilité de gouverner, à travers la réélection indéfinie, la militarisation de la société, la fléxibilité des conditions de travail (avec la perte progressive des droits des travailleurs), la concentration du pouvoir politique entre les mains du Président de la République et le contrôle du mouvement populaire, mesures exigées par les centres mondiaux du pouvoir.
Cette réforme de la Constitution ne résoudra pas les problèmes d’insécurité, d’impunité, de chômage, du logement, de la santé, de l’éducation, du machisme, de la violence domestique et contre les femmes, les carences de la protection sociale qui accablent les Vénézuéliens et les Vénézueliennes, spécialement ceux les plus opprimés et exploités. Ces maux propres au développement du capitalisme au Venezuela, se sont approfondis ces neuf dernières années, à cause de la corruption, de l’improvisation et de l’inefficacité de ce gouvernement, alors qu’il dispose avec les énormes ressources de la rente pétrolière de la plus grande prospérité fiscale qu’ait jamais connu notre pays.
La lutte permanente contre tous les pouvoirs établis est la seule façon de parvenir à l’accomplissement des droits que l’on dit universels, indivisibles et inaliénables, pour qu’ils ne soient pas que des mots sur un papier et qu’ils se traduisent au contraire dans les faits. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipule dans son article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Les droits de l’homme ne se négocient pas avec le capitalisme et ce, dans aucun contexte et dans aucune circonstance. Avec cette réforme, le pouvoir étatique prétend confisquer les droits conquis à travers les luttes par le peuple vénézuélien.
Donc, nous appelons tous les ouvriers et ouvrières, paysans et paysannes, étudiants et étudiantes, autochtones, exclu-e-s, intellectuel-le-s, tous ceux privés de liberté ainsi que tous les réseaux sociaux, c’est-à-dire l’ensemble du peuple vénézuélien, à rejeter la « réforme ». Cette réforme est un déguisement pour que s’implante un capitalisme d’état militarisé, suivant les modèles cubains et chinois garantissant ainsi aux administrateurs locaux de la globalisation une plus grande efficacité dans l’exercice servile de leur fonction.
Seules les luttes sociales du peuple et de ses organisations véritablement indépendantes de n’importe quel pouvoir constitué, peuvent mener à bien les changements que la société vénézuélienne réclame depuis l’arrivée sur ces terres de ce qu’on appelle la « civilisation occidentale ».
Tiré de El Libertario, périodique libertaire vénézuélien
traduit et transmis par le syndicat intercorporatif de Pau
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – janvier/février 2008 n° 214)
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Les membres adhérant à l’espace Insurgentes du Venezuela :
Le Collectif Pueblo y Consciencia (Maracay), La Cruz Negra Anarquista de Venezuela, le groupe Soberania, le journal El Libertario, le groupe Defensores de Bolivar, Ágora27- UCV, Tercer Camino, Cecavid (Lara), Justicia y Paz (Aragua), El Conuco de la Vida (Trujillo), La Libertaria (Biscucuy). Domingo Alberto Rangel, Migdalia Valdez, [...]Luis Cipriano Rodríguez, Rodolfo Rico (d’autres s’ajoutent quotidiennement).