Retours sur le mouvement étudiant

Repères

Dès sa prise de fonction Sarkozy a mis en branle la réforme de l’université baptisée « loi relative aux libertés et responsabilités des universités » dite LRU. La ministre chargée du dossier avait un impératif, faire voter la loi pendant les vacances d’été (mission accomplie le 1er août 2007) pour que la mobilisation des étudiants et des personnels ne puisse contrecarrer le projet. Il faut dire que les tentatives de réformes de 1986 et de 2003 qui avaient une certaine parenté avec la LRU ont été repoussées par des mobilisations étudiantes.
Cette loi est issue du processus de Bologne (1999) comme la réforme LMD qui a déjà accordé une large autonomie pédagogique aux universités faisant voler en éclat le cadre national des diplômes. Ce processus européen derrière une image de modernisation est en fait une vaste entreprise de casse du service public et vise essentiellement à assujettir l’enseignement supérieur aux intérêts des grandes entreprises dans la compétition internationale. Modernisation signifie pouvoir accru pour les présidents d’université, entrée massive des entreprises dans les conseils d’Administration, casse des statuts de fonctionnaires et recours massif à du personnel précaire. Autonomie signifie que le cadre national du financement des Universités explosera au profit de l’investissement des entreprises par le biais de fondations et on le sait bien : « qui paye, décide ! ».
On imagine aussi la flambée des frais d’inscription, une orientation active qui pose les premiers jalons d’une sélection à l’entrée de l’université. Cette loi n’est que le premier volet d’une entreprise plus vaste pour que l’université devienne « compétitive », on sait trop ce que cela signifie quand on applique ce concept à des services publics…
Se profile déjà le plan réussir en licence, visant à rationaliser les flux d’étudiants et à remédier à l’échec massif. Dans le paquet cadeau l’idée d’un contrat de réussite entre l’étudiant et l’université, l’autonomie ne concerne visiblement que les décideurs…
Après le temps des analyses et des bilans nécessaires, il sera temps de passer de nouveau à l’offensive pour faire échec à ces projets néolibéraux.


Massive attack

En ce début d’année 2008 nombreux sont les étudiants qui ont la gueule de bois, le mouvement des universités contre la LRU perdure ici et là mais il suffit de voir l’ampleur de la répression pour se convaincre que ses beaux jours sont derrière nous. Il faut reconnaître que le mouvement a eu à affronter des forces coalisées de première grandeur.

Une coalition de tous les pouvoirs
Il est évident que Sarkozy ne pouvait se payer le luxe de céder à un mouvement étudiant quelques mois seulement après son élection – là où nombre de ses prédéces-seurs avaient reculé – le niveau de mobilisation se devait d’être sans précédent. La tâche, ardue, face à des forces de droite euphoriques et déchaînées se compliquait encore avec le soutien d’une bonne partie de la gauche * Ségolène Royal « l’autonomie des universités est une bonne réforme » (le 20 –11-07). Elle minaude le lendemain en disant que le gouvernement gâche la réforme faute de moyens… L’UNEF considère le texte comme équilibré avant de pleurer sur le manque de moyens… La Confédération Étudiante, cache- sexe de la CFDT à la fac, considère que la LRU « ne pose pas de problèmes ». . Les médias d’audience nationale ont mis en musique un consensus ahurissant, les articles favorables à une « nécessaire » réforme ont pris la place des analyses comme à chaque fois qu’il en va de la destruction des services publics. Lorsque le mouvement a pris de l’ampleur au mois de novembre les observateurs l’ont vu décliner contre toutes les évidences, localement les journaux dits de gauche ont été d’une violence anti-grève inédite, éditorialistes déchaînés, place faite aux anti-grévistes sans aucune mesure avec leur poids réel, caricature des arguments pro-grève... L’administration des universités, les présidents de facs n’ont pas été en reste, traitant les bloqueurs de terroristes, de casseurs, de manipulateurs gauchistes ou anarchistes. Les autorités universitaires ont brandi l’impossibilité d’organiser les examens dès les premiers jours de grève, ont menacé les étudiants de ne pas les accepter en master, ont organisé des assemblées parallèles ou des votes bidons pour casser le mouvement… La liste est longue des mensonges, des pressions, des intimidations qu’ont subis les grévistes. Il faut souligner que les présidents d’Université, qui avaient tout intérêt à l’application de la LRU, ont passé sous silence que les personnels des universités s’étaient opposés dès le mois de juillet à la mise en place de cette réforme.
Lorsque le mouvement a pris une ampleur inattendue – plus de la moitié des facs bloquées, la quasi-totalité touchées par des formes de mobilisation variées (grève, barrage filtrants, manifs...) – la couverture médiatique s’est faite discrète jusqu’à disparaître de certains médias nationaux. Seules les organisations étudiantes représentatives – qui ne représentent qu’elles mêmes c’est-à-dire pas grand chose – avaient voix au chapitre. Ces organisations souvent de droite ou corporatistes, ce qui revient au même, ont été d’autant plus faciles à acheter que leurs représentants sont opportunistes par nature. Quant à leurs adhérents, ils ont fait montre, au moins sur Pau d’une mauvaise foi sans égale demandant des votes démocratiques puis contestant la légitimité quand l’issue ne leur était pas favorable… Passons. L’UNEF n’échappe pas à la règle, mais elle a ajouté à l’ambition la trahison et cela mérite un traitement spécial.

La trahison, une valse à trois temps
L’UNEF joue depuis des années un rôle qui ne correspond aucunement à son poids réel, elle ne dispose que de peu de militants mais jouit d’une popularité médiatique liée en grande partie à ses liens avec le PS et à ses résultats aux élections étudiantes, où la participation est véritablement dérisoire. La trahison de 2007, qui on l’espère restera fameuse, n’échappe pas à ce constat. Incapable de mobiliser au delà du cercle étroit des sympathisants du MJS, elle possède une réelle capacité de nuisance conférée par son exposition médiatique. Dès les premiers mois de présidence de Sarkozy, les dirigeants de l’UNEF ont discrètement négocié avec la ministre pour n’arracher que des aménagements à la marge liés notamment à la représentation étudiante (on ne se refait pas...). Peut-être opposée à l’essence de la loi – mais en est on si sûr ? – la direction a néanmoins considéré mimant ainsi la CFDT, sa grande sœur, que toute lutte était vouée à l’échec dans ce contexte politique. L’organisation a donc accepté le vote de la loi pendant l’été. Fin de l’acte I. Quand au mois d’octobre le mouvement s’est enclenché malgré les coups tordus de l’UNEF-tendance majoritaire, la direction est son golden boy n’ont pu faire autrement que de « soutenir » le mouvement. Un soutien timide puisque Juillard non seulement demandait une négociation alors que les universités mobilisées demandait l’abrogation pure et simple, mais critiquait plus ou moins ouvertement le blocage des universités, modalité de lutte qui s’est imposée très majoritairement. Il fallait donc ramer contre le pouvoir et ses sbires et contre la seule organisation qui avait accès aux médias nationaux, cela faisait beaucoup, mais le mouvement réussissait à prendre de l’ampleur malgré ce boulet. Ce soutien timoré annonçait le troisième acte, la trahison. Fin novembre Juillard négociait ouvertement avec Pécresse et appelait à la fin du mouvement. Ces négociations n’ont dupé personne mais elles ont permis à la presse dans son ensemble d’annoncer la fin du mouvement alors qu’il était à son apogée. Rappelons au passage qu’une semaine après cette félonie Juillard annonçait son ralliement à Delanoë pour les municipales. Le coup de poignard était prémédité. Oser trahir à ce point un mouvement pour satisfaire une ambition personnelle est à coup sûr la marque d’un salaud d’envergure, mais ni le discrédit jeté sur cette organisation ouvertement jaune ni les mouvements d’humeur qu’elle a eu à subir ici et là ne peuvent nous consoler de l’effet désastreux qu’a eu cette trahison sur le mouvement.

Enfermés dans le blocage
Mais l’exposé de ces forces contraires ne doit pas exonérer le mouvement de regarder sans complaisance ses réussites et ses failles. Tout d’abord nous ne devons pas oublier que ce sont les étudiants eux-mêmes qui ont réussi à faire en sorte que les dangers de la LRU soient popularisés. Le volontarisme des militants de base souvent sans coordination a été déterminant – qui l’eut cru à la mi-octobre. Et pourtant cette loi est complexe, difficile à expliquer, c’est déjà en soi une victoire que nous ayons réussi à faire naître et vivre ce mouvement face à tant de vents contraires.
D’emblée les étudiants ont opté pour le blocage des universités, mais pouvait-il en être autrement ? Le souvenir de la lutte anti-CPE auxquels beaucoup avaient participé et qui s’était soldée par un recul – incomplet – de Villepin était dans tous les esprits. La réédition de cette longue période de lutte, les grèves des cheminots, d’EDF-GDF, la grève du 20 novembre ouvrait la possibilité d’un mouvement social contre la politique de Sarkozy où auraient pu converger des secteurs qui avaient tout à gagner. C’était sans compter les stratégies d’évitement des centrales syndicales rôdées à ce genre d’exercice. D’autre part la difficulté d’attirer l’attention des grands médias a conduit les étudiants mobilisés à choisir le blocage – on ne parle plus d’une fac en grève si elle n’est pas bloquée. On peut aussi noter que ce sont les pro-LRU qui les premiers ont évoqué le blocage et les votes sur ce thème, terrorisés à l’idée de rater quelques semaines de cours... Mais le blocage comme unique modalité d’action présente des inconvénients qu’on ne peut évacuer sans risquer d’en reproduire les impasses. A Pau les AG de plus de 2000 personnes ont été la règle, mais sitôt l’AG terminée et le blocage voté, elles se volatilisaient et une minorité d’étudiants assumait le blocage ou participait aux actions. Ce phénomène a été observé dans de nombreuses universités. Comment, dans ces conditions – sur un campus déserté – dialoguer, impliquer d’autres étudiants, expliquer la loi et les raisons de se mobiliser, comment mettre sur pied des actions de masse ? Ces difficultés ont semble-t-il conduit les étudiants qui assumaient le blocage et l’organisation du mouvement à fonctionner en vase clos, se coupant de la masse des étudiants et, ce faisant, à conforter une lutte par procuration. C’est à mon sens un problème majeur parce que nos luttes ne peuvent être victorieuses que si elles impliquent une part réellement significative des étudiants favorables au mouvement. La détermination, le volontarisme sont indispensables mais pas suffisants.
D’autre part le manque d’implication des étudiants fait la part belle aux plus déterminés, aux plus engagés, c’est-à-dire à nous, les militants. Il est alors difficile de ne pas tomber dans le piège qui consiste à penser que nos idées – radicales, révolutionnaires – sont partagées par les étudiants qui ont voté le blocage ou encore que l’on est légitime à radicaliser un mouvement que l’on considère à juste titre comme réformiste ou réducteur. Certes ces moments de lutte sont riches, en discussions, en prises de conscience de tous ordres, mais cela ne doit pas nous faire oublier que le mandat que s’est donné l’AG ne comporte pas à ce stade d’objectif révolutionnaire. Qui sait si la situation ne peut le devenir ? Nous sommes nombreux à le souhaiter mais cer-tains ont eu tendance à se faire happer par une dérive avant-gardiste au creux de ces occupations. Combien de fois avons-nous entendu que la lutte contre la LRU était un prétexte pour justifier telle action ultra-minoritaire mais plus radicale, ou encore que l’on chiait sur la démocratie au nom d’idéaux révolutionnaires.
En tant que militant de la CNT-AIT je considère que la fin dépend des moyens, que le respect de la souveraineté des AG – même imparfaites – est primordiale, que le respect des mandats est sacré. Il me semble que ce fonctionnement libertaire dans les luttes nous rend crédibles et légitimes à parler d’une société d’égaux, de liberté, de démocratie directe, parce que nous sommes cohérents, et que nous ne trahissons ni nos idéaux ni nos compagnons de lutte, dès que nous pouvons nous arroger une parcelle ô combien dérisoire de pouvoir.

Régis, Syndicat intercorporatif de Pau
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – janvier/février 2008 n° 214) Imprimer

* Ségolène Royal « l’autonomie des universités est une bonne réforme » (le 20 –11-07). Elle minaude le lendemain en disant que le gouvernement gâche la réforme faute de moyens… L’UNEF considère le texte comme équilibré avant de pleurer sur le manque de moyens… La Confédération Étudiante, cache- sexe de la CFDT à la fac, considère que la LRU « ne pose pas de problèmes ».
29-11-07 Juilliard au nom de l’UNEF appelle à lever les blocages.
Le 30-11-07 Juillard démissionne.
Le 7-12 07 Juillard officiellement sur la liste Delanoë.
Les frais d’inscription en France sont de l’ordre de 300 à 500 euros en comptant la sécu. « diversifier les sources de financements des universités européennes » dixit une communication de l’UE (20 avril 2005). Luc Ferry plaide pour lever le tabou des frais d’inscription. Les premiers pays à y aller franco dès 2005 : Le Portugal est passé de 6 euros à 850. En Allemagne, augmentation plafonnée (!) à 1 000 euros par semestre... En Italie il faut s’acquitter de frais allant de 850 à 1 500 euros depuis la réforme LMD. Au Royaume-Uni de 4 500 euros à 6 500 euros. Comme pour le nuage de Tchernobyl la France devrait être épargnée...