En décembre, à travers les actions médiatiques des « enfants de Don Quichotte », le problème des SDF est revenu sur le devant de la scène. Il s’agit d’un problème insupportable et crucial. Il est évident qu’il faut trouver des solutions d’urgence pour tous ces hommes et ces femmes dans la détresse. La CNT-AIT ne manque pas, dans la mesure de ses moyens, de lutter à leur côté lorsqu’elle le peut
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Par exemple, en 1995 déjà, la CNT-AIT de Pau avait soutenu une lutte de SDF qui demandaient le droit au logement en occupant une ancienne maternité.
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Mais nous ne pouvons que regretter le manque de réflexion globale autour du sujet. En effet, à perdre de vue que ce problème est intimement lié au fonctionnement du système capitaliste
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Il suffit pour s’en convaincre de relire Arthur London , Le peuple d’en bas , Phébus Libretto, Paris, 1999.
, nous risquons de voir les problèmes s’accumuler.
Des SDF meurent dans la rue chaque hiver, comme le 19 décembre dernier. Le système capitaliste tue, cette tragédie en est une preuve supplémentaire. Officiellement, il y avait 86 500 SDF en France en 2001, aujourd’hui, ils seraient 100 000
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Chiffres extraits de - Le Monde, 22 /12/2007.
. Le phénomène s’accroît et ce n’est pas une surprise quand on connaît l’aggravation de la situation sociale. Loin de l’image d’Épinal du clochard poète, 3 SDF sur 10 ont un emploi et 4 sur 10 sont inscrits à l’ANPE
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Chiffres extraits de - Le Monde, 23/12/2007.
. Le nombre de SDF augmente et la majorité d’entre eux se trouve dans le « circuit » social : s’ils n’ont pas de logement, c’est que le problème du logement est un problème majeur. Ce problème ne peut être réglé sans une approche globale. Comme le fait remarquer Yankel Fijalkow
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« Logement : au delà de la compassion », Yankel Fijalkow , Libération, 21/12/2007.
, si nous ne prenons en compte que le problème de l’accès au logement des plus pauvres, le problème du logement ne sera pas réglé et s’amplifiera. En donnant la priorité aux plus pauvres, ceux qui bénéficient aujourd’hui de logements sociaux vont être précipités sur le marché privé du logement avec deux possibilités : tenter d’accéder à la propriété ou prendre une location privée. Les prix de l’immobilier et les loyers vont donc augmenter et le nombre de personnes dans l’incapacité de se loger aussi. Et ce ne sont pas les aides aux logements (aux propriétaires plutôt) tel que les ALS et APL qui permettront de compenser : nous savons bien qu’en quelques années, l’augmentation du prix des loyers annule leurs effets. Dans le système capitaliste, le problème du logement est récurrent, les solutions d’urgence ne peuvent être prises que pour ce qu’elles sont : une intervention sanitaire pour essayer de limiter les dégâts.
Le marché du logement est une poule aux œufs d’or, 600 milliards d’euros. Alors que beaucoup ont du mal à se loger, les promoteurs immobiliers bloquent des appartements vides pour faire monter les prix. Le logement social ne représente que 16 % des habitations
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Chiffres extraits de Le Monde, 11/12/2007.
. Outre les scandales à la Bolufer
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Ce collaborateur de Boutin logeait dans un appartement luxueux dépendant des HLM de Paris. Il n’est pas le seul...
, le logement social accessible aux familles les plus menacées est 2,5 fois moins important qu’il y a 25 ans et, par le manque de constructions, le logement social dans son ensemble risque de compter de moins en moins. Simultanément, le parc de logements privés qui logeait les familles les plus pauvres a progressivement pratiquement disparu des grandes villes
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« Logement : au delà de la compassion », Yankel Fijalkow, Libération, 21/12/2007.
. Le problème ne risque pas de se régler avec les projets du gouvernement qui prévoient de « moderniser les circuits de financement du logement social ». « Comme en Allemagne, les investisseurs pourront faire construire des logements dont les niveaux de loyers et de ressources des locataires seront déterminés pour une certaine durée. Passé ce délai, le logement reviendra sur le marché libre, et les locataires aussi ? »
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Ibid.
. Quelle solution offre alors le système ? Une solution qui fait rêver les patrons du bâtiment et les promoteurs : favoriser l’accès à la propriété en facilitant les emprunts à long terme (50 ans) : « le miracle espagnol ».
Ce genre de miracle a déjà été expérimenté aux USA, au Royaume-Uni et en Espagne. L’augmentation démesurée des prix de l’immobilier, du coût de la vie et des traites ont précipité les USA dans une crise immobilière sans précédent (la crise des subprimes ). Les plus grandes banques ont été touchées, poussant la FED
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C’est la Réserve Fédérale, l’équivalent de la Banque de France ou de la Banque Centrale Européenne (BCE).
à leur faciliter des crédits. Les banques européennes ont également été touchées car elles avaient investi aux USA, la BCE a donc dû prendre des mesures similaires. Les plus grandes banques américaines, anglaises et chinoises ont dû ouvrir leur capital à des investisseurs chinois, arabes et singapouriens et ce sont les bourses de Wall Street, Zurich et Londres qui se sont tournées vers les Etats pour appeler au secours. La situation est tellement préoccupante que Georges Bush a mis en place un plan d’aide aux propriétaires et que l’ancien président de la Réserve fédérale (FED), Alan Greenspan, parle de 50 % de risque de stagflation mondiale
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« La stagflation menace l’économie mondiale », Le Monde, 19/12/2007
. Les banques françaises sont également touchées comme le Crédit Agricole ou la Banque Populaire. Aujourd’¬hui, l’Angleterre et l’Espagne semblent entrer dans le même processus. Voilà la solution que propose le système capitaliste...
Alors que l’on nous amuse avec Carla Bruni, dans les coulisses, les économistes s’alarment. Ainsi, un social-démocrate aussi modéré que Larrouturou en vient à annoncer : « l’hyper libéralisme nous conduit droit dans le mur » et cite un de ses confrères, Lester Brown, qui affirme que le système est entré « dans des trajectoires d’effondrement »
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« L’hyper libéralisme nous conduit dans le mur », interview donnée à Libération, 1/12/2007.
. Allons- nous assister à la mort du système capitaliste ? Les prophéties marxistes ne sont pas forcément d’actualité, le système peut très bien rebondir, y compris par des guerres. Mais quand on sait qu’aux USA l’endettement des ménages atteint 230 % du PIB alors qu’il n’était que de 140 % en 1929, il n’est pas déraisonnable de penser que des scénarios catastrophes, qui ressembleraient à la crise argentine de 2003, sont possibles. D’ores et déjà, alors que l’on nous par-le de l’endettement des États, nous pouvons constater que ce sont les fonds publics, notre argent, qui maintiennent sous perfusion les banques et le système. Les conséquences de la crise américaine touchent avant tout les petits propriétaires et les SDF meurent toujours dans la rue là-bas aussi. Un règlement « heureux » pour le système se fera sur le dos des exploités, encore une fois. Dans ces conditions, il n’est pas possible d’offrir des perspectives crédibles de luttes en écartant une analyse anti-capitaliste et une solution révolutionnaire. Bien évidemment, nous pouvons toujours avancer des mesures d’urgence pour ceux qui sont dehors (ex : réquisition des logements vides), nous pouvons également revendiquer un maximum des prix pour les logements, mais ces revendications doivent impérativement s’articuler avec des perspectives à long terme.