Pour toute critique de ce qui arrive en ce moment sous le règne de S, on va rabâcher en permanence le constat de la misère qui s’étend sur toute la terre, la fin des conquêtes ouvrières et d’un service public qui est présenté comme la panacée à la guerre livrée en tout temps par le système capitaliste, l’aliénation grandissante des victimes à coup de paroles mensongères savamment distillées par les gens de pouvoir et soigneusement relayées par les medias. Cela devient du baratin qui nourrit le PS, la LCR, les écolos, les altermondialistes et les conversations de café du commerce.
Un sujet me paraît les contenir tous, et être celui qui ne peut que radicalement nous mobiliser pour la lutte, pour toutes les luttes, et nous foutre la rage quand on a les tripes anarchistes : celui du traitement du mal social par le contrôle total des individus et de toute déviance contestataire. Tous ceux qui ne courbent pas la tête sont en train de tomber sous la théorie du criminel-né.
Le pistage de l’individu déviant, descend en droite ligne des théories du XIX
e siècle sur l’hérédité qui ont fait s’affronter les écoles d’anthropologie criminelle, l’école française et l’école italienne emmenée par les idées de Lombroso ; le but était d’établir une typologie des criminels à partir du postulat d’un déterminisme strictement biologique, ce qui conduisit Lombroso à rechercher (et trouver) les signatures anatomiques et physiologiques de pathologies répertoriées. La théorie italienne, innéiste, s’est depuis longtemps noyée sous son propre ridicule, trouvant des signes de criminalité dans la morphologie faciale, la forme et les bosses du crâne. Rappelons que l’école française, avec André Lacassagne (professeur de médecine légale) et Gabriel Tarde (juriste, criminaliste et sociologue) s’opposa donc violemment à Lombroso, au nom d’une étiologie principalement sociale du comportement délinquant.
Etant donné précisément que la théorie de Lombroso est morte de folies que la science elle-même a dénoncées, ce n’est donc pas directement sa typologie qui ressortira un jour et c’est pour cela qu’on peut dire que c’est la génétique qui servira de nouvelle typologie démente, mais dont on peut craindre que la science du XXI
e siècle se satisfera, elle qui a déjà engendré le nucléaire, les OGM et les nanotechnologies et qui découvre les merveilles de l’analyse de l’ADN.
Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International, partant des déclarations de Sarkozy qui font sienne la théorie du criminel-né, dénonce une volonté totalitariste nécessaire à un capitalisme « confronté à la multiplication des crises sociales qu’il engendre ». Il doit réaliser « l’idéal du totalitarisme » c’est-à-dire l’idéal du « contrôle total ». Il ne peut s’agir que d’un projet « global » , « non coercitif » (la coercition étant le type d’un totalitarisme « archaïque » qui repose surtout sur le contrôle politique). Il doit être « une colonisation intime des consciences
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Patrick Tort exprime ces idées notamment dans un article paru dans Le Sarkophage.
»
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La colonisation intime des consciences dont parle Tort a un autre outil bien plus facile pour l’instant à mettre en place qu’une récupération globale des ADN, surtout pour ce qui est de s’en prendre à la détection de l’enfant déviant : les thérapies comportementales auxquelles se sont rajoutées les théories cognitives
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Ces théories Comportementalistes (issues du behaviorisme américain) considèrent les comportements comme des éléments objectifs, donc susceptibles d’être étudiés scientifiquement et pour elles un grand nombre de symptômes sont des troubles du comportement. L’objectif est simple : supprimer les comportements inadaptés, sans intervenir au niveau de la personnalité globale du patient. Le principe est une « réadaptation » conforme à la « norme ».
, d’où désormais les théories cognitivo-comportementales.
Voici ce que nous obtenons dans la pratique pour repérer chez les enfants les risques de déviance : en 2007 la fondation MGEN (une branche de la mutuelle des enseignants) lance en partenariat avec l’INSERM
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INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) : chargé de la surveillance de la santé publique, très porté sur la « psychiatrie génétique », c’est l’INSERM qui faisait un rapport en 2005 sur « le trouble des conduites chez les enfants et les adolescents », préconisant un « dépistage précoce » dès 36 mois des conduites à risques pouvant être déterminantes dans l’apparition de « comportements antisociaux » 15 ans plus tard.
une étude dans les écoles primaires sur la « détérioration de la santé mentale et physique des enfants de 6 à 12 ans. » Réalisée dans la région PACA (académies d’Aix -Marseille et de Nice) sur 2600 élèves, l’étude n’a pas soulevé de protestations ; tentée sur certaines écoles parisiennes, des parents d’élèves ayant cependant réagi contre, et l’affaire étant arrivée aux oreilles de journalistes, la mairie de Paris a préféré déclarer l’arrêt de l’étude. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être vigilant ; on est juste dans le principe de précaution, qui consiste ici à attendre que les gens soient plus endormis, car bien sûr on va les endormir.
L’étude consiste d’abord dans la venue d’un psychologue dans une classe avec un « jeu » : « Dominique Interactif, bande dessinée interactive multimédia constituée par des dessins en couleurs et des questions transmises par un système vocal ». On va évaluer ainsi la santé mentale des enfants en 20 minutes exactement. Le petit Dominique qui apparaît sur l’écran est mis dans un certain nombre de situations, et l’enfant qui est devant l’écran doit répondre d’un simple clic à une question à propos de son propre comportement. Exemple : Dominique accompagné de sa baby-sitter pleure en regardant ses parents s’en aller ; question : « es-tu malade quand tes parents s’en vont ? ». Dominique en récréation pousse violemment ses camarades ; question : « déranges-tu beaucoup les autres enfants ? ». Dominique et un copain prennent de force un jouet à une petite fille en la menaçant ; question : « as-tu déjà volé en attaquant les gens ? ». Ce questionnaire prétend évaluer « sept problèmes de santé mentale : les troubles intériorisés (dépression, anxiété généralisée, angoisse de séparation, phobie simple) et extériorisés (hyperactivité, troubles de l’attention, opposition, troubles des conduites).
« Dominique Interactif », pour être efficace doit être complété par deux autres questionnaires : un pour l’instituteur et l’autre pour les parents. Le premier vise à faire donner par l’enseignant des réponses à des questions sur les troubles du comportement avec précision sur la gêne que l’enfant peut apporter, et à évaluer son adaptation et ses compétences scolaires ; le second questionnaire porte sur la relation parents-enfants : « Avez-vous du plaisir à être ensemble ? » […] « L’embrassez-vous ? » […] « L’envoyez-vous dans sa chambre comme punition ? » […] « Lui faites-vous des compliments ? », etc.
Ces questionnaires ne sont bien entendu pas nommés un flicage, mais un « dépistage ». Jean-Pierre Fleuryn, vice-président de la Fondation MGEN, explique qu’il s’agit « uniquement de mesurer les prévalences globales de tel ou tel trouble du comportement chez les enfants et de savoir quels sont les facteurs de risque de ces troubles ». L’emploi de mots aussi tordus que « prévalences » prouve à quel point on plonge dans le principe de la novlangue
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Novlangue : langue imaginée par George Orwell dans 1984 et destinée à priver le discours de tout mot ou expression porteurs d’idées subversives, ou même de simple critique.
, outil primordial pour la colonisation des consciences dont nous parlions, et que dépistage est lui aussi un mot de cette novlangue, sous son air anodin. D’ailleurs ce dépistage-flicage n’est pas encore vraiment répandu (il faut y aller en douceur !) et ce qui a été pratiqué jusqu’à présent est expérimental, histoire de voir comment réagissent les parents, les enfants et les instituteurs. Si rien ne se passe on aura vite fait de passer à l’institutionnalisation. Ce questionnaire n’est pas récent ; il date des années quatre-vingts et il est utilisé dans les écoles américaines, canadiennes et suisses. Rejeton de la théorie comportementale, il transforme l’école et les parents en relais de surveillance des enfants qui permettra à une administration sanitaire compétente de décider, sur fichier, de la prise en charge des enfants jugés « déviants » pour les aiguiller vers des thérapies comportementales adaptées à leurs « troubles », accompagnées de calmants type Concerta : « nouveau dosage 54 mg, 12 heures d’efficacité après une seule prise le matin ». Plus de troubles de conduite chez les enfants, à ce régime. Et sans doute des cerveaux qui, plus tard, seront prêts pour la soumission.