Les thèses autogestionnaires libertaires se perpétuent et tentent de s’adapter à l’évolution des sociétés. Les théories anarchistes du XIXe siècle sont actualisées, notamment par Murray Bookchin qui s’est intéressé au « municipalisme libertaire ».
Il rappelle qu’au temps des cités grecques, « politique » signifiait « la gestion des affaires publiques par la population au niveau communautaire ». Les citoyens sont alors « acteurs agissants de la décision et de l’autogestion politique de la vie communautaire ». Bookchin aspire à restaurer cette organisation « décentralisée et participative ». La politique conçue comme l’activité organique d’une communauté est incompatible avec le fonctionnement hiérarchisé et artificiel des partis et de l’État. Il veut refonder la politique sur son « unité de base » : la commune, voire le quartier.
Comme la taille de certaines villes ne permet pas un fonctionnement en assemblée générale souveraine, la solution consiste à opérer une décentralisation, d’abord institutionnelle, puis, au bout de quelques années, territoriale (division en plusieurs municipalités). Cependant, Bookchin considère qu’on peut aussi instaurer l’autogestion des grandes cités en coordonnant les assemblées populaires « à travers des délégués pourvus d’un mandat impératif, soumis à rotation, révocables et, surtout, munis d’instructions écrites rigoureuses pour approuver ou rejeter les points à l’ordre du jour des conseils locaux confédérés composés de délégués des différentes assemblées de quartiers ». Enfin, face à des questions techniques complexes, il explique qu’on peut laisser des spécialistes préparer un projet et s’occuper de la logistique, mais que la décision politique doit revenir aux citoyens.
Bookchin condamne les positions individualistes et affirme que la liberté individuelle ne peut s’inscrire que dans la solidarité au sein d’une communauté qui, par ses relations, assure la formation du citoyen à l’exercice de ses responsabilités. Il souhaite que les « agglomérations d’appartements-dortoirs » actuelles se muent en cités où la prise en main des affaires publiques ne serait pas perçue comme une contrainte, mais l’expression d’une solidarité.
Cette organisation communautaire devrait englober également le champ économique. La municipalisation de la propriété étant une alternative entre l’étatisation (nationalisation) et la mainmise des grandes firmes (privatisation). Les assemblées populaires décideront de la mise à disposition des terres et des entreprises aux citoyens selon le principe « à chacun selon ses besoins ». Il importe d’« assurer aux gens l’accès aux moyens de vivre indépendamment du travail qu’ils sont capables d’accomplir ». Par ailleurs, l’autarcie étant impossible, il conviendrait de s’appuyer sur l’interdépendance des communautés et le partage.
Dans ce texte, Bookchin conclue que cette transformation politique est aussi « une question de survie écologique ». Face aux dévastations engendrées par la mondialisation capitaliste, il faudrait privilégier une organisation fondée sur un écosystème local et la recherche d’une harmonie entre l’humanité et le monde naturel. Puisque l’on s’intéresse à une communauté, c’est-à-dire à une population définie inscrite dans un environnement particulier, il est naturel que le municipalisme libertaire rejoigne l’écologie, autre centre d’intérêt de Bookchin. On peut d’ailleurs reconnaître que si la gestion directe est le seul moyen pour une population de défendre ses propres intérêts, sa survie en fait forcément partie.