La crise entraînée par la tempête des subprimes est en train de se transférer du monde de la finance à celui de l’économie réelle. L’entrée en récession des États-Unis est désormais un fait admis par les instituts de prévision économique. Comme les USA sont la première économie mondiale, les effets de leurs difficultés conjoncturelles se déversent sur leurs partenaires commerciaux. Et donc également sur l’Europe, Italie comprise. Un autre élément ne manquera pas de compliquer la situation : la dépréciation du dollar face à la monnaie unique européenne. La variation des parités de valeurs entraînera une plus grande compétitivité des produits fabriqués en Amérique, par rapport à leurs équivalents européens. Les entreprises du vieux continent perdront des forces à exporter aux États-Unis et dans les autres pays de la zone dollar.
Dans ce contexte se trouve l’explication du redimensionnement drastique de prévision de croissance pour la zone euro. En octobre 2007, on annonçait que le PIB de l’Union Monétaire connaîtrait, en 2008, une croissance de 2 %. Puis, à mesure que les contours de la crise des subprimes se dessinaient plus précisément, le développement prévu pour 2008 était revu à la baisse : 1,7 % en janvier 2008, et, enfin, 1,4 % en avril. Pour l’Italie, la tendance est exactement la même, avec, en plus, le fait non négligeable que le taux de croissance y est constamment inférieur à ceux des autres pays européens. À présent, pour 2008, on prévoit une croissance de 0,5 % en ce qui concerne notre pays (Prometeia, Rapport de prévisions, avril 2008), et le FMI estime carrément, quant à lui, qu’elle sera de 0,3 %.
En somme, notre économie, en termes d’augmentation du PIB, est entrée dans une phase de stagnation entamée depuis plusieurs années déjà, à tel point que l’on parle désormais de plus en plus souvent de notre « dépassement » par l’Espagne. Même si ceci reste à venir, il n’y a pourtant aucun doute sur le fait que tous les autres pays européens sont plus dynamiques que nous. Pourquoi notre système économique se révèle-t-il moins vivace que les autres ?
Freiner dans la pente
Il convient d’éclaircir ici la façon dont le contexte général obère le développement. La globalisation, avec l’entrée dans les marchés internationaux de pays à bas coût du travail, la compétition à tous les niveaux, l’innovation technologique, les « sophistications » financières et, non des moindres, les crises récurrentes (« tigres » asiatiques, Argentine, nouvelle économie, subprimes), ne contribuent guère à créer un climat favorable aux nations industrialisées plus « matures ».
Mais ceci n’enlève rien au fait que nous faisons moins bien que les autres : la France connaît une croissance supérieure à la nôtre, l’Allemagne bat, année après année, de nouveaux records à l’exportation, l’Espagne est en voie de nous rejoindre. En résumé, le scénario général ne suffit pas à expliquer les décevantes prestations économiques de la péninsule.
En examinant les données historiques, on découvre un indice intéressant : l’Italie a commencé à enregistrer un développement du PIB inférieur à la moyenne européenne à partir de 1996, précisément quand s’est enclenchée la « course » de notre pays vers la zone euro. Depuis cette année-là, le fossé entre la croissance italienne et la moyenne européenne s’est creusé. En fait, l’introduction de l’euro a entraîné des changements radicaux pour l’économie italienne. En particulier, on nous a enlevé la possibilité de recourir à l’arme de la dévaluation. À l’époque de la lire, périodiquement, quand le système de production italien perdait de la compétitivité par rapport à l’étranger, il était habituel de recourir à la dépréciation de la monnaie nationale pour redonner de l’attractivité aux produits made in Italy. C’était une solution peu satisfaisante, la dévaluation étant une arme à double tranchant : elle abaissait le prix des produits italiens à l’extérieur, mais faisait augmenter le coût des biens importés, notamment celui du pétrole. Ceci amorçait l’inflation à l’intérieur du pays, laquelle, après un certain temps, recréait des problèmes de prix pour les produits à exporter. Et donc, sans interventions correctives de nature structurelle, à une dévaluation succédait presque mécaniquement une autre, en un cercle vicieux qui risquait fort d’être sans fin. De cette spirale, nous sommes sortis grâce à notre entrée dans la zone euro. Mais l’euro est aussi la monnaie des autres pays européens, qui connaissent une croissance supérieure à celle de l’Italie : pourquoi serait-il un frein à notre croissance, et pas à celle des autres ?
Avoir une monnaie forte présente quelques avantages importants : de ne pas, notamment, importer l’inflation galopante étrangère, ou garantir aux citoyens un plus grand pouvoir d’achat. Cependant, une monnaie forte, cela se mérite. Il ne suffit pas d’essayer de mettre en ordre, le moins mal possible, le bilan budgétaire de l’État. Il faut prendre des mesures susceptibles de porter le système de production au niveau de l’excellence. Avec le processus de globalisation, l’Italie est entrée en concurrence avec des pays où le coût du travail est bien inférieur au nôtre. Pour gagner la compétition, il existe deux voies théoriques : baisser le coût du travail en Italie, ou convertir nos productions vers des secteurs innovants, à haut contenu technologique et de haute teneur qualitative. La première de ces voies est celle qui a semblé la plus facile et qui, d’une certaine manière, a été d’emblée retenue par les entrepreneurs et les gouvernants. Mais elle s’est révélée, assez prévisiblement, être une impasse. Il est impossible de concurrencer, dans des secteurs traditionnels comme le textile ou la chaussure, des pays comme la Chine, l’Inde, le Vietnam ou la Turquie. Leurs produits, de plutôt basse qualité, coûtent forcément moins cher que les nôtres. Maintenir un bas coût du travail est une démarche inutile du point de vue de la concurrence extérieure, et dommageable du point de vue de la croissance interne, puisque réduisant le pouvoir d’achat des familles italiennes. Pourquoi ne pas avoir opté pour un saut qualitatif de notre système de production ? Les raisons sont nombreuses, et nous ne citerons que les principales. Pour revaloriser le rôle international de l’Italie, des mesures radicales s’imposent : il faut développer les compétences aujourd’hui insuffisantes, créer des entreprises dans les secteurs de pointe, intervenir sur le système national de formation. Bref, investir dans la recherche scientifique et technologique. Pour obtenir des résultats dans ce domaine, deux « carburants » sont nécessaires : l’argent (par centaines de milliers d’euros), et la liberté de la recherche. Malheureusement, dans notre pays corrompu et centralisé, l’argent va à des usages beaucoup plus « pratiques » : les politiciens et leurs amis, la criminalité organisée, mais aussi les œuvres religieuses, clubs de foot, etc. ont la priorité par rapport à l’issue hasardeuse des ennuyeuses activités de laboratoire. Même sur le front de la liberté de la recherche, la situation n’est pas meilleure. La mentalité religieuse et le clientélisme conditionnent lourdement les choix de ceux qui décident l’attribution des fonds pour la recherche, et sur le choix même des professeurs à l’université. L’attitude scientifique est regardée de manière suspicieuse, quand ce n’est pas avec une hostilité déclarée. Pour se faire une idée de la situation, il suffit de considérer comment, selon toute probabilité, nous sommes l’unique pays au monde où la loi régulant la fécondation assistée interdit explicitement de vérifier que les embryons implantés sont sains !
Dans ces conditions, on fait ce qu’on peut. Mais il n’est guère surprenant, dès lors, d’observer que l’Italie reste en retrait dans la course au développement. C’est l’inverse qui serait étonnant.
Le zéro, c’est beau ?
À ce point, on pourrait se demander s’il est vraiment nécessaire d’accroître le PIB. Il existe différentes études qui, à la lumière d’aspects variés, tels que la question environnementale, relèvent qu’il serait carrément préférable d’envisager la décroissance, vue comme la réduction de l’impact humain sur le territoire. Les critiques se concentrent sur le PIB comme indicateur du développement. Elles condamnent fortement cette conception. Le PIB peut toutefois être un indice précieux, si on l’utilise pour ce qu’il vaut : il représente la richesse produite, dans un intervalle de temps donné, par un système économique. Naturellement, pris isolément, il ne dit pas tout. Il est évident qu’il y manque d’autres indicateurs, par exemple une mesure du patrimoine national. Un séisme causant de lourds dégâts peut ainsi entraîner une augmentation du PIB, l’activité de reconstruction des édifices détruits venant s’enregistrer dans la production « nouvelle ». Toutefois, à la fin de l’œuvre de reconstruction, nous aurons les mêmes maisons qu’avant (peut-être...). La dotation patrimoniale n’en sera pas modifiée pour autant : l’accroissement de la richesse se fait donc alors seulement en apparence. La faute n’en revient pas au PIB, mais à l’absence d’autres indicateurs. Une autre donnée importante est la concentration des revenus. Si l’augmentation du PIB va engraisser qui est déjà riche, alors le bien-être social dans son ensemble pourrait bien ne guère progresser... Pour ces motifs, parmi d’autres, les économistes dotés de bon sens et d’honnêteté intellectuelle, comme Amayrta Sen, réfléchissent à des indicateurs capables d’intégrer la lecture de la réalité offerte par le PIB.
En soi, la croissance ou la décroissance du PIB peuvent ne rien signifier du tout. Une vaste opération de reboisement, susceptible d’améliorer la qualité hydrogéologique du territoire, de réduire l’impact des gaz à effet de serre, d’offrir un environnement sain à l’agrément des citoyens, et de créer de l’emploi dans des activités connexes, par exemple dans la filière du bois, ferait augmenter le PIB. Serait-ce alors un mal ? Une telle idée n’est évidemment pas soutenable. En définitive, les variations du PIB se lisent à la lumière des dynamiques réelles.
Le développement quasi exsangue qu’expérimente l’Italie est le fruit de distorsions sociales, politiques et culturelles, qui pénalisent notre système de production. Si nous ne sommes pas capables de modifier nos comportements, nous courons le risque d’une marginalisation progressive de notre pays. Phénomène que paiera chèrement, ne nous faisons aucune illusion à ce propos, la partie la plus vulnérable de la société : les travailleurs.