«
J’ai décidé de renforcer la présence militaire française avec un bataillon déployé dans la région Est
1
L’Express, 3 avril 2008.
», c’est par ces mots que Nicolas Sarkozy a annoncé, au sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Bucarest le 1
er avril dernier, l’envoi de 700 soldats français supplémentaires en Afghanistan. Il est loin le candidat de « l’entre-deux tours » qui déclarait : «
la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. [Si je suis élu Président de la République, je m’engage à]
poursuivre la politique de rapatriement de nos forces armées entamée par Jacques Chirac
2
Le Monde, 2 avril 2008.
». Et comme à chaque fois, l’opération est bien orchestrée : le gouvernement minimise une intervention («
quelques centaines d’hommes
3
Le Monde avec AFP, Reuters et AP, 3 avril 2008.
») qui serait purement humaniste voire humanitaire... la réalité est tout autre, celle d’une sombre histoire d’enjeux pétroliers qui risque d’entraîner un embrasement de l’Asie centrale et du Moyen-Orient.
Les chevaliers blancs ont les mains sales...
La guerre, c’est la guerre. Le gouvernement afghan souhaiterait que les forces armées de la coalition cessent de circuler dans Kaboul par mesure de sécurité. Éprouvées nerveusement par les risques d’attentats, celles-ci tirent à vue sur les civils qui ne déguerpissent pas à leur passage
4
Le Canard enchaîné, « Afghan de fer ! », 2 avril 2008.
. Il y a déjà un an, une spécialiste de l’Afghanistan, revenant de Kaboul, annonçait : «
Face à la recrudescence de la violence, l’OTAN qui commande la force internationale a décidé de reprendre en main le Sud, ce qui veut dire reprise des combats et bavures parfois avec des victimes civiles d’où le mécontentement de la population
5
« Les enjeux géopolitiques en Afghanistan », conférence du 10 avril 2007 de Sonia Jedidi, Institut Français de Géopolitique, Université Paris 8 et ONG Acted, http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1169
». Les autorités parlent de mission de paix pour masquer la réalité d’un pays en guerre. L’armée française prend part aux combats, «
environ deux cent quatre-vingts militaires français encadrent ou vont encadrer d’ici à l’été des troupes de l’armée afghane, et se trouvent déjà fréquemment en situation de combat face à des talibans
6
Le Monde avec AFP, Reuters et AP, 3 avril 2008.
» et le renfort doit lui permettre de prendre en main la « sécurisation » de l’Est de l’Afghanistan, tout en soulageant l’Allemagne, l’Italie et le Canada dont les populations sont de plus en plus hostiles à l’engagement de leur pays dans ce conflit, au vu de pertes humaines de plus en plus importantes
7
Patrick Roger, « L’opposition française craint un « enlisement » en Afghanistan », Le Monde, 2 avril 2008.
. Car loin d’amener la paix, les armées d’occupation s’enlisent dans un conflit de plus en plus violent. «
L’insécurité qui sévit sur le territoire risque de compromettre définitivement le processus de paix entamé dans le pays. Chaque année est plus meurtrière que la précédente. La mode des attentats-suicides importée d’Irak, vise l’appareil militaire occidental et les forces de sécurité afghane. Le banditisme, les enlèvements crapuleux touchent des acteurs de l’aide et les civils afghans. Les otages sont revendus aux talibans ou à Al Qaïda qui payent plus cher surtout quand l’affaire est médiatisée. Tout cela favorise la peur et le mécontentement de la population et de la communauté internationale. Les programmes d’aide s’arrêtent dès que les messages d’alerte interviennent et ils sont parfois excessifs
8
« Les enjeux géopolitiques en Afghanistan », conférence du 10 avril 2007 de Sonia Jedidi, Institut Français de Géopolitique, Université Paris 8 et ONG Acted, http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1169
». Tout ça pour quoi ? Pour instaurer la démocratie et aider un pays pauvre, bien sûr.
Sans disserter sur ce qui semble pourtant évident : les révolutions ne se font pas à la place des peuples, il est malheureusement très facile de mettre en doute les intentions si pures des gouvernements occidentaux. Le Président aujourd’hui au pouvoir, Karzai, était déjà le Président du gouvernement provisoire désigné par les occidentaux. Son élection n’a surpris personne, et pour cause, voilà ce qui se disait en 2004, juste avant les élections : «
l’organisation des élections est très en retard :les électeurs ne sont pas tous enregistrés (sur les 10 millions d’électeurs probables les Nations Unies n’ont enregistré en plus de 2 ans que légèrement plus de 1,5 million d’électeurs). L’organisation des élections a été ralentie par l’insécurité qui a prévalu cet hiver, notamment dans le Sud. […]
Le processus d’enregistrement des électeurs dans de bonnes conditions nécessiterait probablement au minimum un an. Or les élections vont avoir lieu en septembre. Pour l’instant, faute de moyen et de temps, aucune vérification de l’identité des citoyens n’est envisagée et surtout effectuée. […]
À ces considérations techniques s’ajoutent des problèmes politiques. Il ne fait aucun doute que les Américains veulent maintenir le Président Karzai à la tête de l’État afghan […]
Comme Karzai doit se confectionner une assise populaire, il joue la carte ethnique et essaye de l’avoir dans le clan pashtoun. Les quelques incidents talibans au Sud font peut-être partie d’une stratégie américaine pour montrer que l’on ne peut pas faire sans les Pashtouns. Par ailleurs, cette insécurité empêche les Nations Unies de mettre en place un processus électoral transparent. Ce qui arrange les Américains pour organiser des élections rapides et mettre au pouvoir les Pashtouns
9
« Lever le voile sur la reconstruction en Afghanistan », conférence de l'Institut Français de Géopolitique, 6 mai 2004, Sonia Jedidi Présidente de l’ONG Acted, enseignante à l’Institut Français de Géopolitique), Valérie Rohart (journaliste à RFI), François Grunewald (Directeur du groupe URD, Directeur du DESS « Actions humanitaires et de développement, gestion des ONG » à Paris XII).
». Karzai a l’avantage d’avoir été consultant pour les Américains dans la construction d’un gazoduc, il fut, un temps, l’allier des Talibans. Mais ce n’est pas le seul, après tout. Le dictateur pakistanais soutenu par les Américains, Musharraf, compose lui aussi avec les Talibans, tout comme l’Arabie Saoudite
10
« Le général Musharraf fait le grand écart avec un pied chez les Américains et l'autre chez les islamistes », Olivier Roy, les conflits de demain, 5 juin 2003, http://www.faits-et-projets.com/Geopolitique_Roy.htm
. Quant aux conceptions démocratiques soutenues par les Américains dans cette partie du monde, nous les retrouvons en Irak où, à la même époque (en août 2004), le gouvernement pro-américain avait utilisé la bataille de Nadjaf pour instrumentaliser la Conférence Nationale Irakienne et renforcer son pouvoir
11
Jipé, « La lutte pour le pouvoir en Irak », Combat Syndicaliste, septembre/octobre 2004.
.
Reste les aides à la reconstruction... 7 millions de dollars d’aides par jour pour 100 millions de dépenses militaires
12
Motion de censure du groupe parlementaire socialiste déposée le 8 avril 2008.
. Ces aides diminuent chaque année et la situation militaire compromet leur efficacité. Beaucoup sont détournées par un système de plus en plus corrompu. Et n’oublions pas qu’en ce domaine, comme pour toute la chaîne de l’industrie guerrière, ce sont les firmes occidentales qui tirent le plus de bénéfices
13
Pour avoir un panorama détaillé des activités des marchands de canons, leurs réseaux, leurs noms, leurs connivences avec les gouvernements, il est très utile de se référer à « Les profiteurs de guerre », supplément à Union Pacifiste, n° 458, avril 2008.
. Car, bien évidemment, les véritables enjeux de cette guerre sont, avant tout, économiques.
... salies par le pétrole et le pouvoir...
Avec le développement de l’Inde et de la Chine, l’Asie centrale est en train de devenir le centre de gravité du monde
14
Amiral Lanxade Jacques, ancien chef d'état-major des armées, « Les nouveaux enjeux géostratégiques », Les jeudis du CHEAR, Ministère de la défense, 9 novembre 2006, p.104.
. Sa situation géographique, entre la Russie, l’Europe, l’Inde et la Chine est d’autant plus intéressante qu’elle se conjugue avec des ressources en hydrocarbures très importantes. Un traité international a partagé les fonds marins de la mer Caspienne qui regorgent de pétrole et de gaz. Les ressources d’Asie centrale sont l’objet des convoitises russes (qui font la guerre en Tchétchénie), chinoises (qui massacrent les indépendantistes musulmans Ouïgours de la province du Xinjiang), pakistanaises, européennes et américaines (dans le contrôle du carrefour stratégique que constitue l’Afghanistan). Pour s’approprier les ressources de la mer Caspienne, il est essentiel de trouver des voies de communication qui relient les anciennes républiques soviétiques musulmanes aux marchés mondiaux. À l’Ouest, il faut franchir le Caucase et les régions kurdes de la Turquie, ce qui pose problème. Un passage par la Russie ne convient ni aux Américains (qui ne veulent pas renforcer la puissance russe) ni aux Européens qui seraient davantage dépendants de Gazprom, la multinationale russe. Les relations actuelles avec l’Iran ne permettent pas aux Américains d’envisager une solution au Sud-Ouest ; quant à l’Est, c’est la Chine qu’il faudrait traverser, la route serait longue et l’un des objectifs majeurs du monde occidental reste de tenir ce géant dans la dépendance énergétique. La seule solution reste un passage par l’Afghanistan et le Pakistan.
L’Afghanistan est donc au celntre d’enjeux géostratégiques qui le dépassent et, bien sûr, la population en fait les frais. En août 2001, Catherine Graciet pouvait déjà décrire un pays convoité : par le Pakistan qui, en appuyant les Talibans au pouvoir, cherchait à faire de l’Afghanistan une province reculée
15
« Pour les Pakistanais, il fallait éradiquer le nationalisme afghan et le remplacer par un islamisme capable de gommer le particularisme afghan en soumettant le pays à une école théologique pakistanaise extérieure […] En déstructurant l'État afghan par des mesures obscurantistes, les talibans ne font que renforcer le protectorat pakistanais », Mike Barry, op. cit. in Graciet Catherine « Les enjeux cachés du conflit afghan », août 2001, Cyberscopie, magazine Géopolitique, http://www.strategic-road.com
; par la Russie qui voulait s’en servir « d’État tampon » en Asie centrale ; par l’Iran qui partage avec lui 900 km de frontières et se préoccupe de la minorité chiite. Passage obligé de gazoducs et oléoducs par le Sud, mais aussi vers la Chine (pour ceux provenant du Moyen-Orient), l’Afghanistan peut devenir un véritable robinet qui donnerait un grand pouvoir à celui qui peut l’ouvrir... ou le fermer. L’analyse de cette spécialiste se concluait ainsi : «
Les mouvements terroristes soutenus par le dissident saoudien Oussama Ben Laden […]
risquent de déstabiliser l’Asie centrale et, devant la marge de manœuvre réduite de la Russie, d’entraîner une présence accrue des États-Unis, vieil ennemi de l’Iran […]
Quelle sera la politique de l’administration Bush en Asie centrale ? Qu’en sera-t-il de son attitude à l’égard de l’Iran, de la Russie, mais aussi de la Chine
16
Graciet Catherine, « Les enjeux cachés du conflit afghan », août 2001, Cyberscopie, magazine Géopolitique, http://www.strategic-road.com
? » Ces questions ont été posées un mois avant le 11 septembre 2001 qui n’a été que le déclencheur d’une intervention américaine déjà pressentie. Les États-Unis sont en Afghanistan pour préserver leur leadership mondial, les Talibans et Al Qaïda sont des prétextes.
Mais quel intérêt peuvent avoir l’Europe et la France à suivre les États-Unis ? L’Union Européenne est dépendante des importations qui proviennent du Moyen-Orient à hauteur de 45 % pour le pétrole. En 2030, ces importations couvriront 90 % de sa consommation pétrolière. Quant au gaz, l’Union Européenne est tributaire de la Russie à hauteur de 40 % de sa consommation et ce sera à plus de 60 % en 2030
17
Masurel Gérard, ss-dir, « Enjeux géopolitiques de l'Union Européenne à l'égard de l'Iran », Recherches et prospectives méditerranéennes, Fondation Méditerranéenne d'Etudes Stratégiques, Toulon, juin 2007.
. Les ressources de la mer Caspienne peuvent permettre à l’Europe d’être moins dépendante du Moyen-Orient (et tout particulièrement de l’Iran) pour le pétrole et de la Russie pour le gaz. À condition que le cheminement des pipe-lines ne se fassent pas par la Russie ou l’Iran. À ces considérations énergétiques viennent s’ajouter des enjeux économiques et politiques. Le Moyen-Orient et l’Asie centrale sont aux frontières de l’Europe et sont déjà des marchés pour les entreprises européennes (notamment françaises et allemandes). L’Union Européenne entretient des liens économiques étroits avec l’Iran. Mais l’Iran peut jouer un rôle déstabilisateur dans la région, et notamment en Afghanistan, qui causerait beaucoup de gênes à l’Union Européenne qui redoute une nouvelle flambée des prix du pétrole. L’Union Européenne vacille entre deux options : utiliser une place de négociateur pour résoudre la crise qui oppose États-Unis et Iran (et en profiter pour équiper l’Iran d’un appareil de production nucléaire civil tributaire d’approvisionnements européens) ou entrer dans une logique de pôles, rallier les États-Unis dans une politique d’hégémonie planétaire. Jusqu’ici, la France et l’Allemagne ont plutôt opté pour la première solution tandis que le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne ont opté pour l’allégeance aux États-Unis. Les options défendues par Sarkozy changent la donne.
... et bientôt par plus de sang encore.
Ce n’est pas un hasard si Nicolas Sarkozy a choisi le sommet de l’OTAN pour annoncer l’envoi d’un bataillon supplémentaire en Afghanistan. Ce geste n’a rien de symbolique, il fait partie d’une stratégie de réintégration de l’OTAN par la France. Derrière cet envoi se cache un investissement majeur dans la guerre en Afghanistan : la France va intégrer le commandement des troupes coalisées autour des États-Unis et assumera le contrôle de l’Est de l’Afghanistan, région frontalière des provinces pakistanaises tenues par les Talibans... Ce soutien soulagera l’effort de guerre américain qui en a bien besoin, compte tenu de la situation difficile des troupes américaines en Irak. La France a bien l’intention «
de consolider la stratégie globale de la communauté internationale en Afghanistan
18
Réponse du gouvernement « sur le dispositif militaire en Afghanistan », site inernet de l'Assemblée Nationale, 26 mars 2008.
» et va organiser une conférence sur l’Afghanistan à Paris le 12 juin prochain. 3500 soldats français
19
Angeli Claude, « Les renforts cachés de Sarko « l'Afghan » Le Canard enchaîné, 9 avril 2008.
vont s’engager dans cette guerre alors que beaucoup de spécialistes redoutent l’enlisement et suggère au contraire le retrait des troupes
20
Le Canard enchaîné, « Bientôt 3 000 français en Afghanistan ! », 26 mars 2008.
. Pourquoi cette décision ?
Deux jours après son annonce, Sarkozy «
indiquait qu’il souhaitait « prendre les décisions nécessaires pour que la France prenne toute sa place dans les structures de l’OTAN » en 2009, « à l’issue de la présidence française de l’Union européenne (UE) » qui s’achève le 31 décembre 2008
21
L'Express, « Réintégration totale de la France dans l'OTAN dès 2009 ? », 3 avril 2008.
». L’envoi des troupes est donc là pour montrer aux Etats-Unis que la France peut devenir un allié de poids dans l’OTAN mais «
La France ne peut reprendre sa place que si une place lui est faite. Difficile de prendre une place que l’on ne vous réserve pas
22
Merchet Jean- Dominique, « Paris redevient « OTAN compatible » Libération, 25 septembre 2007
». Sarkozy négocie son soutien... Ce retour dans l’OTAN n’est pas anodin car «
la volonté des Américains de confier à l’Alliance, qu’ils dirigent, le soin de mener la lutte antiterroriste sur les 5 continents
23
Angeli Claude, « Les rêves cachés des fanas de l'OTAN », Le Canard enchaîné, 2 avril 2008.
» risque de faire de cet outil le gendarme du monde. L’OTAN pourrait s’élargir «
à l’Australie, la Nouvelle-Zélande, au Japon, en vue de contenir la puissance chinoise
24
Amiral Lanxade Jacques, ancien chef d'état-major des armées, « Les nouveaux enjeux géostratégiques », Les jeudis du CHEAR, ministère de la défense, 9 novembre 2006, p. 107.
», « le dossier d’élargissement, qui comprend même Israël créerait pour obligation à tous les autres États membres de porter secours à ce nouveau membre s’il était attaqué par l’Iran, même en légitimé défense
25
Masurel Gérard ss-dir, « Enjeux géopolitiques de l'Union Européenne à l'égard de l'Iran », Recherches et prospectives méditerranéennes, Fondation Méditerranéenne d'Etudes Stratégiques, Toulon, juin 2007.
». C’est un retour à la stratégie des alliances, cette stratégie qui a précipité la première guerre mondiale. Et la comparaison n’a, malheureusement, rien d’alarmiste quand on sait que 5 anciens patrons des armées (américaines, britanniques, françaises, allemandes, néerlandaises) «
ont rédigé, et remis en direction de l’OTAN, en janvier 2008, un document de 150 pages dans lequel ils préconisent une « réforme urgente » de la stratégie militaire de l’Alliance face aux menaces internationales, notamment terroristes. Selon eux il est temps d’envisager des attaques préventives, afin d’éviter la dissémination des armes de destruction massive. Et ces braves retraités de fournir la meilleure des recettes : l’utilisation de bombes nucléaires miniatures
26
Angeli Claude,« Les rêves cachés des fanas de l'OTAN », Le Canard enchaîné, 2 avril 2008.
». Sarkozy est bien sur la même longueur d’onde, lui qui déclarait le 21 mars dernier «
que l’arme nucléaire permettait de lancer un « avertissement » à un « agresseur », grâce à une explosion en altitude
27
Ibid.
»...
Ces positionnements doivent être pris très au sérieux, il ne s’agit pas d’élucubrations théoriques mais de plans de bataille pour les années à venir. Nous sommes déjà en Afghanistan, l’entrée dans l’OTAN signifie que nous allons nous engager plus avant dans la poudrière du Moyen-Orient. Le risque le plus immédiat est de nous retrouver impliqués dans une guerre avec l’Iran. «
Les États-Unis et Israël veulent changer le régime des mollahs afin de se retrouver maîtres des ressources essentielles et d’éliminer toute possibilité d’avoir un rival dans cette région à l’avenir
28
« Iran Réflaxion ». Site Michel Coulon, Source : http://www.informationclearinghouse.info/article9706.htm
. ». La campagne médiatique pour justifier l’opération a déjà commencé, elle ressemble beaucoup à celle qui a été menée avant d’attaquer l’Irak
29
Il est possible de consulter à ce propos l'article cité ci-dessus.
. Les signes de « bonne volonté » du gouvernement iranien, notés par l’Union Européenne, et l’impossibilité technique actuelle d’élaborer une bombe nucléaire où se trouve l’Iran n’y changent rien : l’Iran est un État voyou pour les États-Unis. Plusieurs spécialistes s’inquiètent à ce sujet, dont l’ancien ministre de la défense, Paul Quilès qui écrit : «
des déclarations inquiétantes sont faites sur un éventuel soutien français à des actions unilatérales américaines contre l’Iran, conduites en dehors de l’ONU et pouvant aller jusqu’à la guerre
30
Quilès Paul, responsable national du chargé des questions stratégiques et de défense, « Défense : la concertation en trompe-l’œil de Sarkozy », Le Monde, 10 octobre 2007. Cette crainte est partagée par l'amiral Lanxade dans son exposé déjà cité.
».
Le scénario a été étudié par les experts européens : « Les autres actes belliqueux susceptibles d’engendrer une crise ouverte sont :
- une agression armée contre Israël ;
- l’invasion d’une partie de l’Irak au nom de la sécurité des frontières ;
- l’implication prouvée dans un acte terroriste ;
- le développement avéré d’un programme ADM (Arme de destruction massive). »
Quand on se souvient des arguments avancés pour attaquer l’Irak, on a froid dans le dos... Ces mêmes experts décrivent également les différentes formes que pourrait prendre le conflit : «
Dans les cas étudiés ci-dessus, l’ONU sera en première ligne et la position européenne n’aura, en théorie, qu’à être alignée sur la résolution faisant appel à la force qui sera émise. Selon le caractère plus ou moins incontestable de l’acte à l’origine du conflit, deux cas de figure se présenteront :
- Création d’une force d’intervention sous l’égide de l’ONU. L’UE, dépourvue de contingents propres, fournira sa quote-part via les contributions nationales des États membres.
- Rassemblement d’une coalition de circonstance sous l’égide des États-Unis (qui tentera de la placer dans un cadre OTAN). L’UE risque fort d’y aller en ordre dispersé comme dans la crise iranienne
31
Masurel Gérard ss-dir, « Enjeux géopolitiques de l'Union Européenne à l'égard de l'Iran », Recherches et prospectives méditerranéennes, Fondation Méditerranéenne d'Études Stratégiques, Toulon, juin 2007.
. »
Dans cette optique, la politique de Sarkozy est très lisible : intégrer l’OTAN, c’est participer activement aux interventions américaines, ce qui permettra à la France et à l’Union Européenne d’avoir plus de poids
pour défendre leurs intérêts : prendre leur part du gâteau... mais aussi des risques. L’enjeu dépasse largement l’envoi de «
quelques centaines de soldats » de plus. Il s’agit de prendre position contre la guerre. Refuser l’envoi de troupes en Afghanistan, c’est refuser un certain nombre d’engagements qui sont pris en notre nom. Il s’agit de dénoncer l’action de l’armée en dehors des frontières et de demander son retour immédiat. Car le cas de l’Afghanistan n’est pas unique : les soldats français positionnés en Afrique ne font pas plus œuvre humanitaire, le cas du génocide rwandais nous le rappelle honteusement.
Il s’agit également de savoir si nous approuvons l’idée d’une guerre avec l’Iran aux conséquences inimaginables. L’argumentaire pacifiste que nous développons doit déconstruire le discours qui permet de justifier aux yeux de l’opinion d’éventuelles interventions de l’OTAN dans le monde. Il est essentiel de prévenir l’ensemble de la population des risques de guerre contre l’Iran, car il va falloir un mouvement populaire fort pour éviter ce drame. Et l’Association Internationale des Travailleurs, présente dans la plupart des pays européens, doit peser de tout son poids pour permettre de lever une mobilisation anti-guerre.
C’est enfin poser le problème éthique suivant : pour défendre les intérêts économiques de profiteurs de guerre et pour se procurer les moyens énergétiques nécessaires à une société industrielle et capitaliste délirante basée sur le Dieu « croissance », c’est-à-dire produire toujours plus, avons-nous le droit d’asservir les autres hommes et les plonger dans le malheur ? Nous devons montrer l’horreur de la guerre dans ce qu’elle a de plus crue : les « justifications » des guerres se font toujours dans l’abstraction car la réalité des massacres ne peut pas emporter l’adhésion. Mais les questions posées par les enjeux économiques et énergétiques qui motivent les gouvernants débouchent sur une remise en question de la société capitaliste toute entière et de l’État. L’État se construit par la guerre et l’administration des richesses confisquées aux populations asservies pour le bonheur d’un groupe de privilégiés. Dans le schéma capitaliste, il a développé un impérialisme planétaire et un système industriel qui nécessite l’asservissement de tous les hommes au profit de quelques-uns. Dans sa fuite en avant, ce système se confronte aux limites des ressources planétaires et crée les conditions d’un désastre écologique. Il ne se maintient que grâce aux guerres qui lui fournissent des débouchés, de la croissance, et des ressources matérielles et humaines très bon marché. C’est le visage du malheur et de la misère : la question de la guerre balaie les arguments libéraux qui voudraient en faire «
le moins pire des systèmes », elle souligne l’hypocrisie des valeurs prétendument démocratiques qu’ils affichent, valeurs vite oubliées dès qu’il s’agit d’argent.
Les anarchosyndicalistes ont un rôle à jouer qui peut être précieux. Lutter contre l’envoi de troupes en Afghanistan, ce n’est pas lancer une campagne ponctuelle contre un fait révoltant, c’est poursuivre un combat de longue haleine pour les idées, pour les valeurs, qui peuvent faire d’une société d’hommes, une société humaine.
1 -
L’Express, 3 avril 2008.
2 -
Le Monde, 2 avril 2008.
3 -
Le Monde avec
AFP,
Reuters et
AP, 3 avril 2008.
4 -
Le Canard enchaîné, « Afghan de fer ! », 2 avril 2008.
5 - «
Les enjeux géopolitiques en Afghanistan », conférence du 10 avril 2007 de Sonia Jedidi, Institut Français de Géopolitique, Université Paris 8 et ONG Acted,
http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1169
6 -
Le Monde, avec
AFP,
Reuters et
AP, 3 avril 2008.
7 - Patrick Roger, « L’opposition française craint un « enlisement » en Afghanistan »,
Le Monde, 2 avril 2008.
8 - Idem note 5
9 - «
Lever le voile sur la reconstruction en Afghanistan », conférence de l'Institut Français de Géopolitique, 6 mai 2004, Sonia Jedidi Présidente de l’ONG
Acted, enseignante à l’Institut Français de Géopolitique), Valérie Rohart (journaliste à RFI), François Grunewald (Directeur du groupe URD, Directeur du DESS « Actions humanitaires et de développement, gestion des ONG » à Paris XII).
10 - « Le général Musharraf fait le grand écart avec un pied chez les Américains et l'autre chez les islamistes », Olivier Roy,
les conflits de demain, 5 juin 2003,
http://www.faits-et-projets.com/Geopolitique_Roy.htm
11 - Jipé, « La lutte pour le pouvoir en Irak »,
Combat Syndicaliste, septembre/octobre 2004.
12 - Motion de censure du groupe parlementaire socialiste déposée le 8 avril 2008.
13 - Pour avoir un panorama détaillé des activités des marchands de canons, leurs réseaux, leurs noms, leurs connivences avec les gouvernements, il est très utile de se référer à « Les profiteurs de guerre », supplément à
Union Pacifiste, n° 458, avril 2008.
14 - Amiral Lanxade Jacques, ancien chef d'état-major des armées, « Les nouveaux enjeux géostratégiques », Les jeudis du
CHEAR, Ministère de la défense, 9 novembre 2006, p.104.
15 - «
Pour les Pakistanais, il fallait éradiquer le nationalisme afghan et le remplacer par un islamisme capable de gommer le particularisme afghan en soumettant le pays à une école théologique pakistanaise extérieure […]
En déstructurant l'État afghan par des mesures obscurantistes, les talibans ne font que renforcer le protectorat pakistanais », Mike Barry, op. cit. in Graciet Catherine « Les enjeux cachés du conflit afghan », août 2001, Cyberscopie, magazine Géopolitique,
http://www.strategic-road.com
16 - Graciet Catherine, « Les enjeux cachés du conflit afghan », août 2001,
Cyberscopie, magazine Géopolitique,
http://www.strategic-road.com
17 - Masurel Gérard, ss-dir, « Enjeux géopolitiques de l'Union Européenne à l'égard de l'Iran »,
Recherches et prospectives méditerranéennes, Fondation Méditerranéenne d'Etudes Stratégiques, Toulon, juin 2007.
18 - Réponse du gouvernement « sur le dispositif militaire en Afghanistan », site inernet de l'Assemblée Nationale, 26 mars 2008.
19 - Angeli Claude, « Les renforts cachés de Sarko « l'Afghan »
Le Canard enchaîné, 9 avril 2008.
20 -
Le Canard enchaîné, « Bientôt 3 000 français en Afghanistan ! », 26 mars 2008.
21 -
L'Express, « Réintégration totale de la France dans l'OTAN dès 2009 ? », 3 avril 2008.
22 - Merchet Jean- Dominique, « Paris redevient « OTAN compatible »
Libération, 25 septembre 2007.
23 - Angeli Claude, « Les rêves cachés des fanas de l'OTAN »,
Le Canard enchaîné, 2 avril 2008.
24 - Amiral Lanxade Jacques, ancien chef d'état-major des armées, « Les nouveaux enjeux géostratégiques », Les jeudis du CHEAR, ministère de la défense, 9 novembre 2006, p. 107.
25 - Masurel Gérard ss-dir, « Enjeux géopolitiques de l'Union Européenne à l'égard de l'Iran »,
Recherches et prospectives méditerranéennes, Fondation Méditerranéenne d'Etudes Stratégiques, Toulon, juin 2007.
26 - Angeli Claude,« Les rêves cachés des fanas de l'OTAN »,
Le Canard enchaîné, 2 avril 2008.
27 - Ibid.
28 - « Iran Réflaxion ». Site Michel Coulon, Source :
http://www.informationclearinghouse.info/article9706.htm
29 - Il est possible de consulter à ce propos l'article cité ci-dessus.
30 - Quilès Paul, responsable national du chargé des questions stratégiques et de défense, « Défense : la concertation en trompe-l’œil de Sarkozy »,
Le Monde, 10 octobre 2007. Cette crainte est partagée par l'amiral Lanxade dans son exposé déjà cité.
31 - Masurel Gérard ss-dir, « Enjeux géopolitiques de l'Union Européenne à l'égard de l'Iran »,
Recherches et prospectives méditerranéennes, Fondation Méditerranéenne d'Études Stratégiques, Toulon, juin 2007.