Dans les périodes de crises, économiques et/ou sociales, par les temps instables, les individus peuvent se sentir perdus et déboussolés. Certains cherchent alors à se rassurer et se crispent sur des idées reçues séculaires et faisandées mais qu’il est facile de remettre au goût du jour, moyennant un petit vernis moderne. Alors, les religions et sectes se réactivent, lors certains arborent leur « appartenance » à un « groupe ethnique », « national », « régional » ou « racial ». Nous n’échappons pas en France à cette tendance régressive. Pour ne prendre que le dernier exemple, les affirmations identitaires bien franchouillardes (illustrées par la création du « ministère de l’identité nationale ») se mêlent à celles, non moins identitaires, des régionalistes qu’ils soient bretons, basques ou occitanistes. Elles font d’ailleurs bon ménage, et le même élu qui, député, vote à Paris pour l’identité nationale, prend soin, en tant que maire, de publier une page en langue régionale dans son bulletin local.
Des mouvements ethnicistes
Reste que, si certains trouvent normal de se revendiquer « Français de France », « Occitan del païs » et autres sottises du genre pour définir leur ligne politique, pourquoi donc d’autres ne se définiraient-ils pas politiquement, en suivant le même raisonnement, comme « Tribu noire », « Arabe de ceci » ou autres « Indigènes de cela » ? Il y a là un « créneau » politique. Certains s’y sont jetés : plus ou moins discrètement, des mouvements ethnicistes sillonnent les banlieues pour convaincre des gens que, s’ils sont opprimés c’est parce qu’ils sont noirs (ou, éventuellement d’une autre couleur) et que leur ennemi, c’est leur voisin blanc (ou d’une autre « race », ou plus classiquement encore, l’individu d’une autre religion).
À partir de ces prémices simplistes, ces mouvements développent un discours structuré. Leur discours, construit en miroir des discours identitaires à l’européenne, peut s’avérer séducteur. On peut d’ailleurs prévoir qu’ils recevront, au nom du relativisme culturel, l’appui de « penseurs de gauche » et même de certains libertaires. Il en est déjà parmi ces derniers qui se vautrent, contre toute logique, dans les régionalismes. Avec la même absence de raisonnement, les soutiendront bien des mouvements constitués sur bases carrément raciales. Face à cette dérive prévisible, nous, anarchosyndicalistes, réaffirmons que les notions de « race » ou d’« ethnie » n’ont pas de réalité biologique et ne sont utilisées que pour masquer les véritables problèmes qui se posent aux individus, pour segmenter la classe des opprimés au profit des puissants.
Si nos objections concernant l’État national, et/ou régional ont déjà étaient abordées à maintes reprises dans les pages de ce journal, il faut rappeler que les typologies, qui classent les individus dans une « race » ou une « ethnie » et en tirent des conséquences (les « noirs » sont comme ceci et comme cela...) sont une incongruité qui n’a aucun fondement scientifique. De fait, quand on étudie le patrimoine génétique d’une population, il est évident qu’il n’a pas du tout cette belle homogénéité que supposent les théories raciales ou ethnicistes. Tout au contraire. Ainsi, un de nos lecteurs pyrénéen peut être génétiquement beaucoup plus proche d’un de nos lecteurs guatémaltèque que d’un autre pyrénéen. Et s’il a besoin d’une greffe (de rein, de cœur), c’est alors un rein « guatémaltèque » qui conviendra, bien mieux qu’un rein « pyrénéen ». D’ailleurs, les médecins qui font des greffes, tout comme ceux qui font des transfusions sanguines, se moquent pas mal de la supposée origine « ethnique » ou de la couleur de peau du donneur et du receveur (qui en France n’est même pas notée)
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La couleur de peau, les groupes sanguins, le système HLA, ne sont que quelques expressions du patrimoine génétique, parmi des milliers d’autres.
. Un niveau plus trivial d’observation montre déjà que, dans quelque groupe supposé « ethnique » que ce soit, il existe des différences génétiques notables entre les individus : certains sont plus grands, d’autres plus petits, certains ont de grande oreilles, d’autres pas, etc. Il serait tout aussi ridicule de classer les gens selon la taille de leurs oreilles (et d’en tirer des conséquences sur leur comportement !) qu’il est ridicule de les classer par couleur de peau ou origine géographique de leurs ancêtres. Sur le plan biologique, scientifique, on sait avec certitude que l’espèce humaine est une et qu’elle est indivisible en « races ».
Culture et histoire : deux mythes reformatés pour les besoins de la cause
Les bases « culturelles », « historiques » que mettent également en avant les mouvements ethnicistes pour se justifier n’ont pas plus de réalité. Car la culture à laquelle ils se réfèrent est avant tout un mythe systématiquement reformaté pour les besoins de la cause et l’histoire est réécrite dans le même but. Ceux qui affirment que, tout compte fait, le colonialisme a été bénéfique aux colonisés participent de la même dynamique du mensonge que ceux qui prétendent que tous les « blancs » sont les successeurs des trafiquants de l’immonde « traite des noirs » et donc en sont responsables. Ceux qui affirment que la délinquance, c’est « que les arabes », décryptent (volontairement le plus souvent) aussi mal la réalité que ceux qui affirment que, si on est dans le ghetto des cités, ce n’est « que » parce qu’on est de « couleur ». C’est oublier un peu vite que « noirs » ou « arabes » ne sont jamais relégués dans les cités, s’ils remplissent une seule condition : être riches ! C’est oublier que l’État français déroule le tapis rouge avec la même aisance devant les dictateurs « blancs » ou de « couleur », que les enfants des émirs du pétrole n’ont jamais de problème de carte de séjour ! En réalité, si on se retrouve dans les ghettos, c’est parce qu’on n’est qu’un pauvre, qu’un petit ouvrier, un chômeur, un petit employé, c’est parce qu’on fait partie de la classe des exploités ! Le racisme, qui, en France, frappe de façon croissante les personnes de couleur vient « en plus ». Il est d’ailleurs entretenu par l’État à travers ses structures (police, école...) avec beaucoup de perversité. Les inepties racistes et identitaires, quel que soit le bord qui les profère, doivent être dénoncées. Non contentes d’exacerber la haine entre individus, elles font le jeu du pouvoir et masquent les véritables sources des inégalités. Avançant de faux arguments, mais toujours faisant détourner les yeux des monstres que sont le capitalisme et l’État, elles font de plus appel à la lâcheté des individus : il est tellement plus aisé de s’attaquer à un groupe, surtout s’il est marginalisé et isolé, qu’au pouvoir, adversaire puissant et bien organisé ! Ainsi les rancœurs contre les frustrations créées par la machine capitaliste et étatique se voient détournées de leurs véritables sources. Les propos identitaires entretiennent la supercherie comme quoi les problèmes éventuels se résoudraient en cognant sur les « petits » et non sur les « grands », cela même si on sait que ce sont les « grands » qui sont à l’origine des problèmes... Misérable logique !
Plutôt que les « racines », développons les neurones !
Pour notre part, les valeurs que nous défendons sont fondamentalement opposées aux aberrations xénophobes et identitaires. En effet, ces doctrines se fondent sur l’appartenance d’un individu à une communauté qui le déterminerait, qui existerait pratiquement immuable (« pure ») de tout temps, une communauté dont l’individu ne pourrait jamais sortir et qui conditionnerait profondément tout son être, sans
possibilité de transformation. Une communauté enfin à laquelle il faudrait se référer pour se « ressourcer », « comprendre d’où on vient et qui on est ». Bref c’est le discours, ressassé par tous les identitaires, sur les « racines ». Pour nous, anarchosyndicalistes, plutôt que de chercher à développer d’hypothétiques racines, ce qu’il faut développer, ce sont les neurones ! Ça fait toute la différence. Car, quand ils font « marcher » leur neurones, loin d’être immuables, loin d’être des entités figées, définitivement prédéterminées, les individus, recèlent au contraire un énorme potentiel de création et de transformation. Nous avons la conviction que l’homme peut se changer, qu’il peut changer le monde. C’est ce potentiel que l’anarchosyndicalisme, aujourd’hui dans la lutte et demain dans une société libre, entend libérer et développer.