Licenciement dans l’éducation nationale : non à l’arbitraire

Je suis syndiqué depuis 10 ans à la CNT-AIT de Bordeaux, un temps étudiant, un temps travailleur précaire, vacataire, animateur en centre social ; en 2006 j’ai été reçu au concours du CAPES et en tant que stagiaire j’ai commencé ma carrière d’enseignant en arts plastiques. Réussir le concours est une chose, devenir titulaire en est une autre. Cela fait maintenant deux ans que je suis stagiaire. Cette année professeur certifié, en renouvellement de stage, je fis l’objet d’une inspection vendredi 04 juin 2008 au sein du Collège Max Linder de St Loubès (33). Un mois passe, et à la suite des délibérations du jury académique, j’apprends que ce dernier a décidé de mon licenciement. Cet été aucun rapport d’inspection ne m’a été communiqué jusqu’au recours en « justice », encore aujourd’hui je n’ai toujours pas pu accéder aux pièces à mon dossier de compétences et y vérifier d’éventuelles incohérences, de même que le procès verbal de délibération du Jury académique censé être public. A la rentrée scolaire 2008, je ne pourrai pas prendre mes fonctions ni faire valoir mes droits dans la mesure où je n’ai toujours pas reçu de lettre de licenciement. Enfin sur le fond de quel droit peut-on licencier un enseignant ayant rempli toutes les conditions de compétence pour l’exercice du métier. Il semble qu’au détriment de la formation continu, jugée satisfaisante, le corps d’inspection est pris la liberté de privilégier le jugement hâtif issu d’une heure d’inspection ayant dû être rapidement improvisée en fin de dernier trimestre.

Les hauts faits d’armes de l’inspection académique.
Par un arrêté en date du 26 septembre 2006, j’ai été nommé et affecté au collège Toulouse Lautrec à Langon pour y accomplir un stage en situation durant l’année scolaire 2006/2007. L’année commençait mal, je n’ai pas eu de tuteur pendant les deux premiers mois, et le tuteur qui m’a suivi par la suite n’était pas dans mon établissement mais à 60 Km de mon collège. Rappelez-vous le nombre de poste d’enseignants d’arts plastiques dans le collège que vous fréquentiez ! Dans mon collège comme dans les vôtres, il n’y avait qu’un seul poste, aucun autre enseignant ne pouvait donc assumer le rôle de tuteur. Bonjour la situation, bonjour la communication dans la bureaucratie académique ! Sacrée boulette, que l’administration du collège Toulouse Lautrec attribua sans complexe à l’inspection académique, celle-ci ayant été mise au courant de l’indisponibilité du tuteur dès la fin de l’année précédente. Ceux furent les formateurs de l’IUFM qui durent colmater l’incompétence de l’inspection académique en m’attribuant un tuteur remplaçant. A l’issue de cette année-là, le seul point négatif pour la validation fut le stage en responsabilité pour lequel le tuteur, à commencer par son absence, tient un rôle primordial. En fin d’année un second fait d’arme de l’inspection académique vint de l’inspectrice stagiaire Mme Catherine Kérever (IA-IPR de l’inspection académique), celle-ci caricaturant une séquence de cours, qui certes ne fut pas au point, en m’accusant dans son rapport d’inspection d’être à la limite dangereux pour les élèves. Son rapport fut autant chargé de fautes d’orthographe qu’il me charge personnellement. Aucun témoin, c’était ma parole contre la sienne, je n’ai rien dit, j’estimais de toute façon avoir besoin d’une année supplémentaire. Enfin un dernier fait d’arme vous pourrez le constater eu lieu cette année même lorsque l’inspecteur général M Moirin préféra dégommer de l’ensemble de mon dossier toutes les pièces positives pour ne voir que le rapport de sa collège Mme Kérever datant de l’an dernier. Drôle façon d’apprécier l’évolution d’un enseignant. Et tout cela sans aucun critère d’évaluation renseigné ou communiqué, bien entendu !

Une progression constante, toutes les compétences attendues validées et pourtant licencié
Revenons à l’an dernier. Le jury académique logiquement refusa mon admission aux épreuves de l’examen de qualification professionnelle, et ma période de stage fut renouvelée pour une année de plus. Par arrêté du 24 août 2007, je fus alors affecté au collège Max Linder à Saint Loubès toujours en qualité de professeur stagiaire certifié d’arts plastiques. Au cours de cette année de formation, j’ai pu rattraper mon retard, les avis positifs n’ont pas manqué, visiteur de classe, nouveau tuteur, chef d’établissement, formateur IUFM, aucun de leur avis ne fut défavorable bien au contraire, j’ai même obtenu le certificat C2i Niveau 2 Enseignant, « informatique et internet ».
Mon conseiller tuteur attesta notamment que j’avais « montré cette année du sérieux dans l’apprentissage du métier […]. Aucune appréciation défavorable quant à ses capacités professionnelles ne ressort de son attestation.
Il ressort notamment de la visite d’inspection réalisée en avril 2008 par le professeur formateur de l’IUFM que je – « maîtrise la langue française pour enseigner et communiquer (compétence C2) ; - [je] maîtrise la discipline et a une bonne culture générale (C3) ; - [je] prend[s] parfaitement en compte la diversité des élèves (C6). Ce visiteur a également émis un avis favorable sur les visites.
Enfin le chef d’établissement, à l’occasion de mon évaluation, a constaté que : « [j’ai] su être à l’écoute, tant de [mes] élèves que des conseils prodigués par [mes] collègues.
[j’ai] su mettre à profit les différentes expériences qui se sont présentées à [moi] lors de ce stage en responsabilité, ce qui [m’a] permis d’acquérir toutes les compétences pour devenir un bon professeur ». Tous les niveaux de compétences ayant été jugés acquis par le chef d’établissement, il a émis un avis satisfaisant. En outre, la principale du collège m’a attribué la note de 34,5 avec une « appréciation générale : professeur sérieux, soucieux de bien faire ; s’est bien intégré dans les équipes ; donne entière satisfaction. »
Il ressort encore de l’attestation produite par la coordinatrice et formatrice de l’IUFM de Bordeaux que j’ai fais preuve de « sérieux dans l’engagement au sein du groupe de formation disciplinaire d’arts plastiques ».
Etant précisé que ces différentes appréciations correspondent aux critères d’évaluation des compétences des professeurs stagiaires (C1, C2, C3 etc.), on comprend mal comment, une inspection même conflictuelle, peut entraîner un refus à l’examen de qualification professionnelle et donc me juger incapable d’exercer ma profession.

Le recours au tribunal administratif :
Comme vous le savez déjà, début juillet dernier – consternation… incompréhension : le jury académique refuse mon admission aux épreuves de l’examen de qualification professionnelle pour la session 2008, « et ce de manière définitive ».
Tirant les conséquences de ce refus, par une décision en date du 11 juillet 2008, le recteur de l’académie de Bordeaux m’a notifié ce refus par courrier. C’est de cet acte que mon avocat et moi avons demandé la suspension.
Argumentant de manière à reconnaitre un doute sérieux sur la légalité de l’acte querellé.
Une affaire au tribunal administratif met habituellement 2 ans à aboutir. Si l’on tient à raccourcir le délai de jugement d’une « requête en annulation », il faut assortir cette requête d’un « référé suspension » pour justifier rapidement le réexamen de la décision de licenciement. Voici l’exposé des deux actions intentées devant le tribunal administratif. Cela pourra peut-être servir à l’avenir à un collègue lecteur.

Le « référé suspension »
Le juge administratif peut ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative à la double condition :
« que l’urgence le justifie » ;
« qu’il soit fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. »
(article L. 521-1 du code de justice administrative) Ces conditions sont dans mon affaire réunies.

N’y avait-il pas urgence à suspendre la décision litigieuse ?
Il faut savoir que par jurisprudence, il y a urgence à « suspendre l’exécution d’un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (CE, 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, Leb. p. 29).
En premier lieu, l’urgence se caractérise par l’imminence de la rentrée scolaire 2008, pour laquelle devait débuter mes fonctions de professeur d’arts plastiques, ayant été précédemment affecté à compter du 1er septembre 2008 à Frontenay-Rohan-Rohan. Le poste en cause étant à pourvoir rapidement, l'urgence à suspendre l'acte litigieux semble avérée dans la mesure où l’exécution de la décision litigieuse aura pour conséquence de me priver de la possibilité d’intégrer ce poste auquel je suis destiné. (Le juge administratif considère notamment qu’il y a urgence à suspendre les effets d’un refus d’inscription à un examen devant se dérouler trois semaines plus tard – CE, 29 avril 2002, OFPRA c/ Audiat, req. n° 240647).
« S’agissant, en second lieu, selon les mots de l’avocat, de la condition tirée de la gravité suffisante du préjudice, celle-ci ressort de la perte financière que l’exécution de la mesure litigieuse entraînera pour M. Orange.
Par principe, la gravité du préjudice est regardée comme suffisante lorsque la décision entraîne un trouble important dans les conditions d’existence du requérant. Tel est le cas notamment d’une mesure mettant fins aux fonctions d’un agent public (CE, 25 avril 2001, req. n°230439).
En l’espèce, la décision contestée a pour conséquence de priver M. Orange d’un emploi.
Aussi, à compter du mois de septembre 2008, M. Orange se retrouvera sans aucune ressource.
Cette situation ne lui permettra pas de subvenir aux besoins de sa famille.
[…] »
Pour paraphraser dans un lange plus courant, disons que ma compagne, animatrice dans un centre social et culturel, gagne 1672,85 euros par mois. Elle est enceinte depuis décembre 2008 et à l’heure actuelle nous avons donc une bouche de plus à nourrir. L’an dernier nous avons contracté un premier prêt automobile, 254,72euros par mois. Un prêt étudiant contracté par ma compagne, 225,44 euros, un loyer à 524,77 euros, auxquels s’ajoutent, 27 euros d’EDF, 93 euros d’impôt sur les revenus, 84 euros de taxe d’habitation, 104,33 euros d’assurance, 65 euros versé à GDF, 90 euros d’abonnement Internet et téléphonique.
Nous devons ainsi faire face à 1500 euros de charges fixes par mois. Le salaire d’Emilie n’y suffira pas, « il est donc incontestable que l’exécution de cette décision est de nature à bouleverser les conditions d’existence du requérant et de sa famille.
Dans ces conditions, poursuit l’avocat, il y a lieu de considérer que les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, son exécution soit suspendue.
»

« Un doute sérieux quant à la légalité de la décision »
De jurisprudence constante pour évaluer le stagiaire, le jury et l’autorité administrative sont tenus de prendre en compte tous les éléments qui constituent des composantes de la manière de servir (voir notamment CAA Paris, 28 mars 2006, req. n°05PA02257).
L’appréciation doit donc se porter sur la manière de servir et sur l’aptitude à exercer les fonctions de professeur. Ainsi, de nombreuses absences, un manque de respect de la hiérarchie, une réticence à travailler en équipe constituent des éléments de nature à justifier le refus de titulariser un stagiaire (CAA Paris précitée).
Au cas présent il convient d’observer qu’aucun élément n’est de nature à justifier un refus d’admission à l’examen de qualification professionnelle.
En effet, pour justifier cette décision, le jury académique, et par suite, le recteur devaient se fonder sur l’ensemble des résultats obtenus dans le cadre ma formation, en prenant en compte les différents rapports établis lors des inspections, visites… Or, il ressort des pièces du dossier, que je présente incontestablement les capacités professionnelles nécessaires pour enseigner les arts plastiques.
A cet égard, mes compétences professionnelles n’ont jamais été remises en cause.
A l’inverse, les mérites de mon travail ont été soulignés, comme en attestent les différents rapports.

Conclusion : à quoi servent les tribunaux ?
Il aurait pu plaire à Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant le tribunal administratif de Bordeaux, de bien vouloir : « Suspendre l’exécution de la décision du recteur de l’académie de Bordeaux en date 11 juillet 2008, enjoindre au recteur de l’académie de Bordeaux de réexaminer le dossier de M. Orange, Condamner l’État, pris en la personne de Monsieur le Recteur de l’académie de Bordeaux au paiement d'une somme de 1000 euros à M. Nicolas ORANGE en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative. » (Nicolas Becquevort, mon avocat)
Mais rien ne lui a plu, le jugement du référé vient de nous parvenir, ne remettant nullement en cause mon licenciement. On a l’impression au syndicat que cette justice est avant tout une administration, et qu’elle ne saurait prendre une décision à l’encontre d’une autre administration telle que le rectorat.
Les Juges, les recteurs, les inspecteurs au service du ministre, et du « dégraissage du mammouth », je les emmerde tous qu’ils aillent au diable ! Qu’ils exploitent un jeune collègue sans formation, remplaçant vacataire, ultra-précaire de condition ou qu’ils suppriment les matières artistiques et manuelles. De toute façon ils feront l’un comme l’autre, avec la complicité des syndicats traditionnels et des tribunaux administratifs.

Il me reste à présent à payer l’addition juridique tiré par l’avocat, 1436 euros !
Histoire d’être perdant sur toute la ligne…
Merci aux compagnons cénétistes de leur soutien.

Nicolas, Syndicat Intercorporatif de Bordeaux
Floirac, fin d’été 2008.
(Le Combat syndicaliste CNT-AIT – pages confédérales – septembre/octobre 2008 n° 217) Imprimer