Là c’est trop. Cette année, à l’école primaire, les changements dus à la réforme sont énormes. Tout d’abord, l’aide personnalisée. La semaine d’école est passée de 4 jours ½ à 4 jours. Cette diminution de temps scolaire pour tous les élèves a permis de dégager 2 heures par semaine d’aide personnalisée à consacrer aux seuls élèves en difficulté. Mais conjointement à cela, on apprend que le Réseau d’Aide Spécialisé aux Elèves en Difficulté est supprimé. 3 000 enseignants qui vont repartir dans les classes au lieu de s’occuper des élèves en petits groupes pendant le temps de classe. L’aide personnalisée remplace donc le RASED, mais sans enseignant formé et sur un temps supplémentaire de classe pour les élèves. Il s’agit d’une suppression pure et simple de l’aide aux enfants en difficulté.
De plus, nous avons dû organiser cette aide personnalisée comme nous avons pu, avant même d’avoir pu échanger entre écoles pour trouver la moins mauvaise solution pour les élèves. Nous avons dû l’organiser parce que ça nous est tombé dessus tellement vite qu’aucune résistance n’a pu s’organiser. Pas de kamikaze dans les rangs pour résister tout seul. Il a fallu répondre aux questions des parents d’élèves en ayant nous-mêmes de nombreuses interrogations. Comment faire pour que les élèves ne se sentent pas montrés du doigt ? Pourquoi les élèves ayant moins de difficulté auraient-ils moins d’heures d’école pour assimiler le programme scolaire ? Comment faire pour respecter les rythmes de l’enfant ? Les réunions administratives entre collègues se sont enchaînées. On n’a pas eu le temps de se voir pour mettre en place les projets habituels entre classes. Plus possible.
Courant octobre, nombreux d’entre nous se sont rendu compte que l’aide personnalisée n’aidait que les élèves en difficulté très momentanée. Pour les autres élèves, ceux qui ont de grosses difficultés, ça se passe malheureusement comme on le redoutait. Les élèves qui ont des apprentissages volatiles n’ont pas fait de progrès à la fin des séances d’aide personnalisée. Nous n’avons pas eu de bonne surprise. Sans RASED, ils garderont donc leurs problèmes.
En plus de cela, nous avons été infantilisés comme jamais. L’administration nous a demandé de remplir comptes-rendus et tableaux pour prouver que nous faisions notre travail, autant de temps en moins pour préparer la classe du lendemain. Et quand on résiste, on reçoit des pressions et des menaces. C’est ridicule quand nous savons que nous faisons très largement ces heures. Cela nous a assommés. Nous croyions avoir atteint le pire. Et bien non. Il y avait encore pire.
Après les milliers de postes d’enseignants supprimés, les atteintes au droit de grève et le service minimum d’accueil qui rend nos grèves invisibles, les surveillances accrues de l’inspection académique, les surveillances des parents d’élèves rendues possibles par la distribution à chacun d’un exemplaire des programmes (programmes dont nous avons eu connaissance a la rentrée, simultanément aux parents), la disparition prochaine du Réseau d’Aide Spécialisé pour les Enfants en Difficulté qui ne sera pas remplacé par l’anti-pédagogique aide personnalisée irrespectueuse de l’enfant, les stages de rattrapage en CM pendant les vacances payés en heures supplémentaires défiscalisées, voilà que l’on nous présente les nouvelles évaluations nationales.
Ces évaluations nationales se situent à la fin du cycle (3 années d’école). Elles ne visent donc pas à organiser les apprentissages du cycle. Elles seront inutiles aux enfants et aux enseignants puisque trop tardives. Elles ne visent qu’à évaluer l’enseignant. Les résultats de l’élève et ceux de l’école seront donnés à l’oral ou sous forme papier par les enseignants. Les résultats départementaux, académiques et ceux de la France entière seront ensuite accessibles par Internet. Les enseignants toucheront (au moins dans un premier temps) 400 € de prime. Ils se disputeront ensuite les écoles où il est plus facile de faire progresser les élèves. Peu d’enseignants résisteront à la pression de l’image de l’école et le temps attribué aux matières non évaluées va diminuer drastiquement dans les emplois du temps. Il faudra être rentable. Et l’élève là-dedans !
Les élèves restent notre première préoccupation. Nous redoublons donc d’efforts pour que l’aide personnalisée, septième heure de la journée en classe, soit la plus agréable possible, en tout cas la moins néfaste possible. Mais il faut encore trouver l’énergie pour conserver des relations non conflictuelles avec les communes, qui au mieux, manquant de courage, ont organisé le Service Minimum d’Accueil. Enfin, il faut encore trouver les arguments pour expliquer aux familles que les heures d’aide personnalisée ne seront pas une recette magique, qu’elles ne remplaceront pas le RASED, et que leur enfant sera épuisé si on lui rajoute trop souvent une heure supplémentaire de ce « cours particulier gratuit ».
Cette énergie que nous dépensons n’est pas une source d’énergie inépuisable. Pour ma part je pense ne pouvoir la transformer en énergie renouvelable que si je vois un espoir, que si je vois du monde et de la solidarité pour organiser la lutte. Nous avons besoin de nous parler en assemblées générales pour nous organiser. Nous avons un gros travail d’information à faire. Dans d’autres départements, des écoles ont commencé à impliquer les parents dans la lutte contre la disparition de l’aide maternelle. Des collègues ont distribué aux familles des autocollants à faire compléter par les élèves. Chaque autocollant permettait de dire ce que les enfants apprenaient à la maternelle. Ce genre d’action permet aux parents d’élèves de prendre conscience de la gravité de la situation et peut-être leur mettra le pied à l’étrier pour participer à cette lutte.
Il faut qu’on fasse quelque chose. Les enseignants ne peuvent pas continuer à rester le nez dans leur classe, les familles et le reste de la population doivent se battre aussi. Cette fois, il ne s’agit pas d’une lutte de l’éducation comme les autres. Cette fois, tous les niveaux de la scolarité sont attaqués à la fois. Et il ne s’agit pas d’une lutte qui, une fois perdue, nous permettra de travailler encore correctement dans les classes. Nos classes ne pourront pas fonctionner si tout s’écroule autour, si on n’a plus d’aide extérieure, si on n’a plus de maternelle, s’il n’y a plus de formation, si la pression sociale augmente et si les préoccupations des enseignants se tournent vers le maintien de la « réputation des écoles » au lieu de leurs préoccupations pédagogiques. Et puis, l’éducation, qu’elle se passe dans l’école ou hors de l’école, c’est quand même un de nos seuls espoirs.
Avant que le mot « pédagogie » ne devienne un gros mot, les enseignants doivent réagir pour organiser la lutte, s’organiser à la base et se retrouver en Assemblée Générale. Ce sera le seul moyen d’éviter que les hiérarchies syndicales ne trahissent. La tentation sera d’autant plus forte pour eux que les diminutions de postes ne les épargneront pas. Que seront-ils prêts à vendre pour conserver leurs délégués permanents déchargés ?