Jeudi 20 novembre était la journée réservée aux inquiétudes de l’éducation nationale. D’abord prévu pour se mobiliser contre les suppressions de poste, l’appel s’est étoffé pour devenir une journée de mobilisation contre la casse du système éducatif français par les réformes bombardées à tout va.
Jeune militant de la CNT-AIT, j’ai ressenti cette journée comme particulière. Cela fait au moins six ans que je participe à divers mouvements contre les réformes visant à briser le système éducatif ou du moins à l’empirer... J’ai toujours participé à ces mouvements en tant qu’individu non syndiqué, ni étiqueté où que ce soit. Depuis le mouvement étudiant de l’année dernière, j’ai pu rencontrer des personnes avec lesquelles je partage ce que certains appellent un « carcan » idéologique, à savoir des militant-e-s de la CNT-AIT, et c’est ainsi que de fil en aiguille, j’en suis venu à « prendre ma carte ». La journée du 20 était donc ma première grande journée de mobilisation en tant que militant de la CNT-AIT. Je m’en vais donc vous conter ce que je pourrai qualifier de sortie de retour à la réalité après des années à plus ou moins suivre les mouvements.
Arrivé à l’Assemblée générale des personnels de l’éducation trente minutes après le début de celle-ci, je me trouve dans une sorte de jolie salle de classe aux allures de bureau stalinien. Tous les participants sont assis et miroitent dans le même sens, celui du bureau des responsables syndicaux ou des futurs pensionnaires de la maison de retraite en construction sur ma commune. Par chance, les personnes présentes dans l’assemblée ont le droit à la parole, j’ai failli avoir peur, me voilà rassuré, pour l’instant. Les tours de parole s’enchaînent, et quelque chose commence à me titiller, c’est que deux types de personnes prennent la parole : celles parlant à titre individuel et se présentant (nom et lieu d’enseignement) ce qui est la moindre des politesses, puis celles qui mélangent tout et s’expriment à la fois en leur nom propre et au nom de leur syndicat, dont elles sont parfois les seules représentantes sur leur école. Ce mélange de fonctions sent bon les élections prud’homales, et permet ainsi à certains qui d’habitude sont mous comme des flancs d’ici avoir des positions radicales ; finalement ce mélange sent mauvais, très mauvais. Rien de nouveau jusqu’ici, mais ceci étant ma première Assemblée générale avec autant de syndicats, je me devais de partager ceci. D’autant qu’il m’aurait paru normal que les gens parlent soit en leur nom propre, soit expriment le mandat donné par leur syndicat, mais pas les deux. Je mens, ce qui m’aurait paru normal, c’est que chacun parle en son nom propre, et non en celui de la direction de son parti, syndicat, association...
Autre fait choquant, on ne peut s’arrêter en si bon chemin. Les gentils syndicats qui prenaient les tours de parole ne pouvaient en fait pas être si gentils que ça. Il s’avère que quand ça leur prend, ils ont le droit de prendre le tour de parole (mélange de mandats ?) pour faire soit une intervention pour le coup au nom de leur syndicat (là au moins c’est clair), ou alors de faire une « synthèse » censée reprendre l’important de ce qui vient d’être dit, mais qui en fait essaie de gagner du temps en brassant de l’air, beaucoup d’air pour finir sur un avis personnel ou syndical (là je n’ai pas pu le déterminer). Le problème, c’est que l’heure tourne et que la manifestation va commencer sans que l’Assemblée n’ait pu prendre de décisions. Dommage, le tour des syndicats s’auto congratulant des chiffres de mobilisation aura été fait, et puis c’est tout ? C’était sans compter sur le fait que les participants, pour certains, sont remontés et veulent aller plus loin que l’autosatisfaction. Ainsi, des voix s’élèvent pour voir ce qui peut être fait. Le bureau syndical essaie alors de gagner un peu de temps en tournant autour du pot pour ne rien proposer mais le faire voter quand même (histoire d’être démocratique). Hélas, les vilains petits canards de la salle lancent des propositions allant même jusqu’à parler d’une mobilisation la semaine suivante, et lâchant le mot de « grève reconductible », et ceci sous les applaudissements de l’assemblée. C’en est trop pour notre bureau qui rappelle une fois de plus qu’il ne faut pas applaudir... Finalement, la salle semble l’emporter, et ainsi chacun dans son secteur va travailler à lancer une mobilisation pour la semaine suivante, faire de l’information et voir la position de chacun sur la possible reconduite de la grève.
Passons maintenant à la manifestation en elle-même. Ma petite expérience m’a permis de faire des kilomètres et des kilomètres de manifestation, mais sans doute pas avec le mode de pensée qui est le mien aujourd’hui (quoique...). Ainsi, les « grands pontes » de nos syndicats après avoir fait leur discours à la foule se jettent sur leur bannière « unitaire » pour aller se placer en tête de cortège et le mener, suivis par le camion de sonorisation. C’était sans compter sur les jeunes et les moins jeunes de la CNT-AIT et d’autres. En effet, décidés à ne pas être une fois de plus des moutons de panurge de syndicats institutionnels, nous avons individuellement tenté de mettre un peu de fraîcheur dans ce défilé de vieux routiers. Certes, ça n’a pas été grand chose, mais ça nous a permis, du moins à moi, de voir que la manifestation ne se résumait pas à suivre un cortège, à scander les slogans amenés par les meneurs et à suivre tous les ordres reçus par ces mêmes meneurs, qui eux-mêmes obéissent aux forces policières.
Ainsi, quelques militants, sympathisants ou autres ont décidé qu’ils pouvaient eux aussi se placer en tête de cortège. Et même devant la bannière des syndicats étatiques. Les fous ! Nos amis syndiqués en ont presque mangé leurs cartes de voir ces jeunes petits vilains passer devant eux. Mais en vieux renards, ils ont trouvé un subterfuge, et se sont arrêtés, bloquant le cortège (normal, ils décident), et laissant nos jeunes petits vilains continuer tous seuls. Ils ont ainsi pu repasser en tête de cortège (pour l’instant). Le jeu du je-bloque-le-cortège m’ayant paru très drôle, j’ai décidé d’en faire autant en m’arrêtant quelques secondes devant le camion, et, ils ont continué tous seuls, et ont dû attendre que le cortège revienne à eux pour repartir. Par la suite, nous avons pu repasser devant eux, et même derrière eux, tout en étant aussi présents au sein du cortège. Certains ont paru être verts. C’est sans doute idiot de s’extasier devant une chose si insignifiante, mais ça fait du bien de les voir comme ça, ne plus être totalement maîtres des événements, et devoir se plier à des volontés individuelles et collectives.
Finalement, le défilé a quand même suivi son cours, mais les « camarades syndiqués » ont pu, une nouvelle fois je pense, voir qu’il fallait apprendre à composer, et voir que les gens sont prêts à agir par eux-mêmes, et non dans les cadres définis par la police et les syndicats.
Pour conclure, je dirai que cette situation qui doit être banale pour nombre d’entre vous, était plutôt nouvelle pour moi (du moins dans le cadre d’un défilé organisé par les syndicats). Ainsi, de nouvelles idées ont pu germer dans ma tête pour sinon semer la pagaille, du moins rendre les défilés plus vivants, et ainsi permettre aux individualités de s’exprimer, et non plus de subir. J’y réfléchis encore, mais promis, si j’ai de nouvelles idées ou expériences, j’en reparle.