Un seul sujet compte désormais, la campagne présidentielle. Solution unique à tous nos problèmes, le choix de notre nouveau maître doit sceller le « sort de la France ».
Force est de constater que cette sur-médiatisation porte, en partie, ses fruits : nombre de conversations du quotidien portent la marque de ce conditionnement. Comme à l’accoutumée, aux veilles des présidentielles, les mouvements sociaux disparaissent du tube cathodique mais aussi, hélas, de notre quotidien. Faute aux syndicats institutionnels, bien sûr, la conception léniniste du « syndicat, 5e roue de la charrette » perdure : priorité à la politique pour l’accession au pouvoir. Faute également à beaucoup d’entre nous, obnubilés par les débats pipés des présidentielles, en attente d’on ne sait quoi, triste réalité : mobiliser en temps d’élection est plus difficile. C’est pourtant le moment où le pouvoir est le plus vulnérable dans les démocraties parlementaires. Jamais nos dirigeants ne sont plus enclins à l’écoute et aux concessions…
L’illusion que les élections peuvent changer les choses a d’autres effets pervers. Elle nous place dans une impasse, qui limite notre imagination politique à des choix par défaut, pour le moins pire « des candidats et des programmes ». Vote de refus ou vote utile, les discours véhiculés par les partis s’inscrivent dans une logique institutionnelle qui réduit les idées et les valeurs à quelques réformes, quelques mesures précises dont chacun constate qu’elles ne changeront pas radicalement la réalité de notre quotidien.
Ainsi, les partis de gouvernements se partagent les rôles, déclinant l’idéologie libérale à différentes sauces. Il faut toute l’ingéniosité des experts en communication pour les différencier. Reste que les « réalisa-tions » de la majorité actuelle (sécurité sociale, retraites, flexibilité accrue, sécurité, privatisation des services publics…) ne font qu’honorer les engagements nationaux et internationaux pris par le gouvernement de la gauche plurielle, avant 2002 (cf. LOLF, sommets de Seattle, de Lisbonne et de Barcelone). Dans l’alternance, aussi, les rôles sont bien partagés…
A coté, la gauche « antilibérale » joue sur le rejet de ce programme… mais ne propose rien d’autre qu’un replâtrage du système, une pâle réplique du programme commun de la gauche pour les législatives de 1978… L’utopie est enterrée, la réforme admise comme une évidence : taxe Tobin, interdiction des licenciements, voilà l’espoir que l’on nous offre, pas plus aguichant qu’une soirée verveine devant Navarro.
Reste Le Pen. Celui-là est d’autant plus serein qu’il devient de plus en plus difficile à diaboliser, puisque tous les candidats piochent plus ou moins dans ses thèmes de campagne. Son électorat ne s’émiette pas, son principal problème n’est pas chez ceux qui votent. Au soir du deuxième tour de l’élection de 2002, il fut le seul à constater que le taux d’abstention était le même qu’en 1995, pour Chirac/Jospin. Entre 30 et 40 % des Français ne croient plus aux politiques mais ne veulent pas de Le Pen, non plus. A ceux-là, il faut proposer d’autres perspectives en complète rupture avec le système électoral.
Cette rupture doit passer par une réflexion sur les luttes sociales, nous devons nous donner les moyens d’être efficaces. Nous savons bien que « l’après 2007 » sera rude. Bien conseillés par les spécialistes (cf. cahier no 13 de l’OCDE), les dirigeants sont conscients que les deux années qui suivront l’élection seront les plus propices pour imposer de nouvelles attaques antisociales, qui marqueront une dégradation accrue de nos conditions de vie. Depuis plus de vingt ans, les mouvements sociaux, seuls à même de les contrer, n’ont pas trouvé d’expressions efficaces. Incapables de nous autogérer sur une échelle qui dépasse le niveau local, nous sommes à la merci de directions syndicales qui sabordent des luttes qui, pourtant, ont gagné en ampleur. L’immense mouvement de 2003 a ainsi laissé un goût amer chez tous les participants. Les mobilisations de solidarité avec les étudiants, autour du CPE, prennent la couleur d’une lutte par procuration, comme si les travailleurs – persuadés de ne pouvoir agir eux-mêmes – s’en remettaient à ceux qui, loin des contraintes financières, peuvent se mobiliser à l’abri des syndicats institutionnels : les étudiants. Les partisans de la gauche antilibérale ont cru se voir pousser des ailes lors du référendum sur la Constitution européenne, mais, là encore, le « non » majoritaire n’était-il pas surtout l’expression d’un « ras le bol » de ce que l’on nous impose, bien plus que la reconnaissance de leurs programmes inexistants ?
La masse des mécontents est perdue, sans perspective, tout comme cette « jeunesse des quartiers difficiles » en profonde révolte mais qui n’arrive pas à s’organiser de façon autonome.
Nous devons réfléchir sur le sens de nos luttes et la méthode qui nous permettra de nous organiser de façon autonome. Court-circuiter les syndicats institutionnels pour redonner toute sa force au mouvement social, mais aussi élaborer un projet de société révolutionnaire, basé sur les idées anticapitalistes et antiautoritaires, voilà l’enjeu qui doit mobiliser nos énergies. Nous ne pouvons faire l’économie ni de l’un, ni de l’autre. L’utopie est nécessaire, elle donne une perspective à long terme, seule capable de donner du crédit à la radicalité. Un fonctionnement autogéré est indispensable, car lui seul peut nous permettre de nous défendre et d’envisager qu’un changement est possible en dehors, et en dehors seulement, des logiques politiques et institutionnelles. Le consensus autour de la démocratie libérale s’effondre, il y a de la place pour une démarche en rupture et révolutionnaire, encore faut-il que nous lui donnions de la pertinence en prouvant son efficacité dans la résistance aujourd’hui, et sa capacité de proposition d’une autre société, pour demain.
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