La « grève générale » est sans aucun doute une arme de lutte puissante aux mains du prolétariat ; elle est ou elle peut être une façon et l’occasion de déclencher une révolution sociale radicale. [...] la grève générale pourrait être un moyen efficace de transformation sociale, mais à condition de la comprendre et de l’utiliser autrement que ne le faisaient les artisans de la grève générale.
Aux premier temps du mouvement socialiste, on comprenait clairement que le régime soutenu par la force des baïonnettes ne pouvait être abattu que si l’on amenait une partie des soldats à se transformer en défenseurs du peuple et si on battait dans une lutte armée les forces de police et ceux des soldats qui étaient restés fidèles à la discipline. [...] C’est pourquoi on conspirait, c’est à dire qu’on faisait une propagande active parmi les soldats, on cherchait à s’armer, on préparait des palans d’action militaires. A vrai dire, les résultats étaient maigres parce que nous étions peu nombreux, parce que les buts sociaux pour lesquels on voulait faire la révolution étaient méconnus et rejetés par l’ensemble de la population ; parce que, en somme, « les temps n’étaient pas mûrs ». Mais la volonté de préparer l’insurrection existait et elle trouvait peu à peu le moyen de se réaliser, la propagande commençait à toucher plus de gens et à porter ses fruits ; « les temps mûrissaient », ce qui était dû en partie à l’action directe des révolutionnaires et plus encore à l’évolution économique qui, en aiguisant le conflit entre travailleurs et patrons, développait la conscience de ce conflit, ce dont les révolutionnaires tiraient parti. Les espoirs placés dans la révolution sociale augmentaient, et il semblait certain qu’à travers les luttes, les persécutions, les tentatives plus ou moins « inconsidérées » et malheureuses, les arrêts et les reprises d’activité fébrile, on arriverait dans un temps assez proche à déclencher l’explosion finale et victorieuse qui devait abattre le régime politique et économique en vigueur et ouvrir la voie à une évo-lution plus libre vers de nouvelles formes de vie en |
en commun fondées sur la liberté de tous, la justice pour tous, la fraternité et la solidarité entre tous.
Mais le marxisme vint freiner de ses dogmes et de son fatalisme l’élan volontariste de la jeunesse. [...] Et malheureusement, avec ses apparences scientifiques (on était en pleine ivresse scientiste), le marxisme leurra, attira et fit se fourvoyer la plupart des anarchistes. Les marxistes se mirent à dire que « la révolution ne se fait pas, elle vient » ; que le socialisme viendrait nécessairement suivant « le cours naturel et fatal des choses » et que le facteur politique (à savoir la force, la violence mise au service des intérêts économiques) n’a, aucune importance, le facteur économique déterminant la vie sociale tout entière. Et ainsi la préparation de l’insurrection fut laissée de côté et pratiquement abandonnée. Je ferai remarquer au passage que si les marxistes méprisaient toute lutte politique lorsque c’était une lutte qui tendait à l’insurrection, ils décidèrent soudain que la politique était le principal moyen, et presque le seul, pour faire triompher le socialisme dès qu’ils entrevirent la possibilité d’entrer au parlement et de donner à la lutte politique le sens restrictif de la lutte électorale. Et ils s’employèrent ainsi à éteindre dans les masses tout enthousiasme pour l’action insurrectionnelle. C’est alors que, devant cet état de choses et cet état d’esprit général l’idée de la grève générale fut lancée et accueillie dans l’enthousiasme par ceux qui n’avaient pas confiance dans l’action parlementaire et qui voyaient dans la grève générale une voie nouvelle et prometteuse qui s’ouvrait à l’action populaire. Mais le malheur, c’était que la plupart ne voyaient pas dans la grève générale un moyen de pousser les masses à l’insurrection, autrement dit à abattre par la violence le pouvoir politique et à prendre possession de la terre, des instruments de production et de toute la richesse sociale. Pour eux, la grève générale remplaçait l’insurrection ; ils y voyaient un moyen pour « affamer la bourgeoisie » et la faire capituler sans coup férir. |
Et comme il est fatal que le comique et le grotesque soient toujours mêlés jusque dans les choses les plus sérieuses, il y en a qui entreprirent de chercher des herbes et des « pilules » capables de soutenir indéfiniment le corps humain sans qu’il soit nécessaire de se nourrir, et ceci, afin de les signaler aux travailleurs et de les mettre en mesure d’attendre dans un jeûne pacifique que les bourgeois viennent présenter leurs excuses et demander pardon. Voilà pourquoi j’estime que l’idée de la grève générale à fait du tort à la révolution.
Mais j’espère et je crois que cette illusion faire capituler la bourgeoisie en l’affamant a complètement disparu ; s’il en restait encore, les fascistes se sont chargés de les dissiper. La grève générale de protestation pour appuyer des revendications d’ordre économique ou politique compatibles avec le régime peut être utile si elle est faite à un moment propice, quand le gouvernement et les patrons trouvent opportun de céder tout d’un coup, par peur du pire. Mais il ne faut pas oublier qu’il faut manger tous les jours et que si la résistance se prolonge, ne serait-ce que quelques jours, il faut soit se courber ignominieusement sous le joug des patrons, soit s’insurger [...] même si le gouvernement ou les forces spéciales de la bourgeoisie ne prennent pas l’initiative de la violence. Il s’ensuit que si on fait une grève générale, que ce soit pour résoudre définitivement le problème ou que ce soit dans des buts transitoires, on doit être décidé et s’être préparé à résoudre la question par la force. |